#écopoétique #02 | dimanche matin

Hier j’étais le septième à foutre dans l’urne une enveloppe marron, il était huit heures dix, à la main le sac en plastique noir du supermarché où j’avais mis la pelle le manche à balai rétractable bleu et jaune et la brosse qui va avec, j’avais le garage à nettoyer – il a été mis à sac durant le premier confinement comme on dit, des crakeux je crois on ne peut pas leur en vouloir – un tel bazar tu ne peux pas imaginer, j’y suis allé quatre ou cinq fois déjà, je ne peux pas y rester plus d’une demi-heure, trop de poussières, trop de choses brisées, éparses un puzzle sur le sol, des diapositives des boites des choses des souvenirs des images des photos passées – à cette heure-là le dimanche, quand même c’en serait un de votation, il n’y a personne dans les rues, c’est calme c’est frais j’aime le matin pour ça surtout en été surtout en mai juin, même pas la pensée d’aller boire un café, tout l’immeuble est en travaux, j’ai pressé le bouton de la télécommande – le film ne s’est pas arrêté mais la porte s’est ouverte, il y en a deux c’est tellement idiot et inutile mais tant pis, j’ai vu l’ancien box, le 102, un balai rouge et noir, fort bien rangé mais sans auto – je me suis rendu au 118, j’ai ouvert, la clé est prise dans un jonc d’acier où se trouve aussi une représentation d’un avion, un cadeau d’anniversaire, sur la clé on a mis un scotch noir avec écrit au feutre le numéro du box, tout est là, un carton pourri, de la poussière noire, des meubles, un canapé en osier, un petit fauteuil de la même facture, au fond sous des cartons, les fauteuils de mon grand-père (il a vu le jour la quatre-vingt-sixième année du dix-neuvième siècle – un bail hein) j’ai déplié le manche du balai, vissé dessus la brosse, ce que j’avais à faire, je l’ai fait, dans des sacs en plastique blanc pour gravats, la petite pelle en plastique vert, les pièces les photos les légumes en plastique – j’ai vingt ans sur cette image-là, pour tout bagage disait Léo on a vingt ans – l’expérience des parents – reprise par Julien Clerc, on me comparait à lui dans le temps, la Californie et Hair surtout Étienne Roda-Gil et le clignotement des cils des feux rouges sans arrêt – non mais bien sûr aussi tous ces trucs plein de suie tentés d’être sauvés, la puanteur du feu, les doigts noirs, les deux tomes des mémoires du duc de Saint-Simon recouvert de plastique transparent, qu’est-ce que ça fout là ? comment ils disent parfois ce papier, cristal ou je ne sais plus bien des livres de bouquinistes sur le bord du fleuve – ou alors le tulle devant la scène et son quatrième mur tsais, quelque chose du transparent, un calque, on dit qu’il a fait recouvrir les façades immeubles de la petite Venise à Livourne d’un tissu transparent pour faire comme si il y avait du brouillard, oui Les nuits blanches et Visconti parce que il y a là, sur la table qui se replie, là la pochette et la jaquette on y voit de profil ce prince, et de ce même esprit les tiroirs de la commode de la princesse emplis de dentelles qu’on ne verra évidemment pas à l’image – je ne sais pas, le cinéma surtout, évidemment – je vais mettre un lien, tiens, je vais aussi mettre une photo – décidément il y a de la poussière, un bruit de moteur et une petite caisse une nissan je crois bien grise qui arrive, je sors pousse le sac à dos noir et jaune, le carton pourri, le type au volant passe sans même un regard, je reviens à mes devoirs – dans ces cas-là je jure intérieurement ou tout haut si je me sais seul quel sale con je (me) dis, avec sa petite voiture de merde pourrait dire merci et la poussière qui dans le noir du fond du box, le gros sac rouge à roulettes, à jeter, le plastique noir avec des pulls usagés, on allait les acheter à Saint-Ouen, des pièces du puzzle encore, la chaise à l’assise en paille abîmée mais pourquoi garder tout ça, à jeter à jeter – dans les premiers temps, il y avait au fond du premier garage, la vieille Underwood achetée à Aligre son rouleau encré rouge et noir et les disques noirs tombés du camion qu’on achetait devant Jussieu, l’odeur des merguez et des équations de Maxwell, les discriminants et l’ordinateur qui occupait toute une pièce, les cartes perforées qu’on mettait ici, pour aller récupérer le listing là de l’autre côté de la pièce, volés envolés – encore un peu pour faire propre s’il te plaît, voilà, j’ai pris un sac que j’ai flanqué dans un autre, avec les deux autres, puis encore un, j’ai remis mon blouson, fermé à clé le 118, démonté le balai, avec la télécommande, j’ai ouvert la porte – le film ne s’est pas toujours pas arrêté, j’ai déposé les sacs quelque part, dans la rue (en face vit Tony Gatlif ou alors il y vivait) les rues disent et parlent, il y avait là une asiatique respectueuse qui s’en allait vers son ouvrage, le type l’attendait, il lui a ouvert la porte – il y avait du soleil, les échafaudages des travaux, j’ai emporté avec moi le disque du Guépard – neuf heures huit

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

3 commentaires à propos de “#écopoétique #02 | dimanche matin”

  1. « je me sais seul quel sale con je (me) dis, avec sa petite voiture de merde pourrait dire merci » … te dit merci le texte est très beau

  2. encore plus de merveilles dans les mots que dans le garage (que j’aime la façon dont cela se tresse, souvenirs, allusions; objets, même vote, etc… merci Piero)

  3. Non mais quel beau périple dans le temps,le cinéma, la poussière et le passage des sales cons… ah oui les rues parlent et de plus en plus avec les années