Il dit en soupirant : – Elle ne veut pas jeter les choses… Il ne sait pas trier ce qu’elle pourrait jeter s’il ne prenait pas toujours l’initiative et le faisait à son insu. Elle s’est foutu plusieurs fois en pétard contre cette attitude contestable. Elle remplit volontiers les poubelles pourtant et c’est bien lui qui les descend au sous-sol pour rejoindre son vélo. Au début, il y avait une colonne vide-ordure (c’était la mode) à chaque étage. La gardienne se coltinait le nettoyage de ce qui débordait invariablement. La suppression du vide-ordure dans les six immeubles de résidence de 4 à 6 niveaux lui a donné du temps pour autre chose, et notamment la disponibilité envers les personnes âgées délaissées par leur famille. Les odeurs nauséabondes n’ont manqué à personne et tout le monde s’y est mis pour le tri sélectif première mouture.
Une voisine un peu folle avait volé la clé de l’accès au sous-sol, et elle est longtemps venue, de nuit, récupérer les papiers et les prospectus dans les poubelles triées, pendant un moment, elle a même pu accéder aux boîtes aux lettres pour voler du courrier… La colère a monté dans le voisinage et une enquête a été ouverte. Elle vivait avec sa vieille mère un peu complice, un peu dépassée, on n’a pas trop su… La voleuse traquée et admonestée est devenue plus maline, elle disait que la gardienne faisait mal son boulot dans la Résidence, justifiant ainsi ses interventions… Mais son statut psychiatrique lui a valu quelques semonces et parfois des hospitalisations d’office. Les boîtes aux lettres trop vulnérables ont été changées et on a installé une serrure sur la porte d’accès de la cave au hall d’entrée. La voleuse de papier, impénitente, revient de temps en temps prélever les prospectus en journée, tandis que les voisin.e.s essentiellement des retraité.e.s , s’arrangent entre eux pour récupérer leur courrier au passage du facteur. La plupart d’entre eux ont mis une étiquette de refus des publicités sur leur boîte au nom de l’écologie puisqu’il existe une boîte centrale pour rassembler tous les papelards de marabouts, de prospecteurs immobiliers et de chaînes de grands magasins … La quantité a diminué depuis les réseaux internet et chacun.e se débrouille avec ses pollutions numériques dans son coin en achetant des protections de compte personnel de plus en plus chères et invasives. Les distributeurs de prospectus avec leur petit chariot à deux roues ne viennent plus aussi souvent encombrer les boites aux lettres, et personne ne s’en plaint…
A la sortie du lycée, elle avait tenté les Beaux-Arts et elle s’était mise à ramasser toutes sortes d’objets dans la rue pour préfigurer les idées d’installations préconisées par des professeurs très férus d’Art contemporain aux prises avec la société de consommation avec ses montagnes de déchets non recyclés encore à cette époque. Elle préférait pourtant le dessin et la peinture, mais elle n’a pas eu le choix cette année là. Elle s’est mise à trier des objets et à en faire des petits tas dans les angles d’un appartement partagé en coloc. Elle les a photographiés et intégrés dans des compositions aux thématiques étranges. Elle est même allée prélever un arbre chu dans une tempête pour l’installer tout arcbouté sur un socle des plus rustiques… une sorte de catapulte domestiquée.. Elle n’a jamais voulu montrer son œuvre aux parents, elle avait trop honte… L’année suivante elle s’est inscrite en fac de langues. Elle était dégoûtée…
Un vieux texte que j’ai gardé. Je ne jette jamais mes textes.
Je les oublie…
Je les retrouve et je les modifie. Je ne les perds jamais tout à fait.
Ce sont les squames de ma mémoire endormie.
J’aime beaucoup la fin, « je ne jette jamais mes textes, je les oublie »
resurgissement inattendu d’un texte oublié, ça fait du bien parfois…
il, elle, une voisine, différentes facettes d’un monde
et bien contente de te retrouver par ici…
Comme c’est beau ces squames de la mémoire endormie
Merci, Perle, Françoise et Catherine pour vos mots d’accompagnement pour ce texte surgi de nulle part et pourtant contextualisé.