Ce cycle d’atelier hebdomadaire entre à voix pleines sur des préoccupations que la littérature et les médias ne cessent d’amplifier. Il nous oblige à déambuler entre lectures et écritures et à réactiver nos capacités de réflexion personnelle et collective pour envisager la prise de conscience autant que l’action au quotidien. Ce n’est pas un chemin facile puisqu’il requiert une grande capacité d’écoute et de partage. Poétique par goût. Ethique par nécessité.
SOMMAIRE provisoire
# 01 | Silence on tourne
#02 | l’Art volontaire et le Vol
#03 | L’ensauvagement utile
#04 | Intempestive effluve
#05 | L’infatigable misère sociale
#06 | La chasse au « Ô ».. oh…oh… oh !
# 07| 50 Nids pour Nini
# 08| Traversée de la Vie
#01 SILENCE ON TOURNE
Elle dit : – la Nature fait de nous ce qu’elle veut… Elle incline le dos pour ramasser les débris boueux autour de sa maison, elle relève de temps en temps la tête pour répondre au journaliste. On ne voit pas le micro ni la caméra. Cette jeune femme en tenue souillée, semble plus affairée qu’atterrée, l’heure est à l’action incontournable. D’autres silhouettes furtives, regards détournés, s’agitent lentement autour d’elle. La séquence très ciblée n’aura pas duré plus de trente secondes. La télé coûte cher et ce n’est pas là qu’on pourra placer des publicités pour les nouvelles bagnoles … Celles que l’on aperçoit sont enchevêtrées sous des marmelades de murs effondrés ou des troncs d’arbres mêlés à des tôles informes engluées dans la terre liquide. Violents orages, suivis de pluies torrentielles, la rivière et les canalisations ont débordé. Lui, nous montre jusqu’où l’eau est montée en désignant une différence de couleur sur le mur, 1m50 à l’intérieur ! Derrière lui des objets et des appareils électroménagers pêle-mêle, inutilisables en l’état, peut-être définitivement. On ne parle pas de çà pour l’instant… On se demande pourtant à leur place comment sortir de ce bourbier et toute question supplémentaire risque de faire déborder la colère ou les pleurs. On dose ce genre d’images sur l’écran. Il ne faut pas effrayer le téléspectateur… juste vendre un peu d’émotion de catastrophe. L’alibi implicite : rallier les empathies spontanées et les aides de secours. Une image vaut mieux que de longs discours. C’est compter sans la saturation de telles images et du « on s’en fout- c’est pas nous » enfantin chanté au passage de la sirène des pompiers. Les bateaux pompiers dinghies ne font pas de bruit , ils évacuent les plus vulnérables en premier. Trente secondes pour dire le désarroi, le désespoir et la mouise des victimes d’inondations brutales n’est pas suffisant. Cette fois là, on n’ indique aucun numéro d’appel pour recueillir des dons, on attend le bilan officiel pour répartir les dégâts entre les assurances et les subventions locales, régionales ou plus rarement nationales. On sait déjà que beaucoup y perdront de leurs revenus et de leurs épargnes. Les plus démuni.e.s n’auront que leurs yeux pour pleurer et attendre de l’aide publique hypothétique. La solidarité s’arrête là où recommence le chacun.e pour sa pomme et son petit panier perso. Certains resteront en dette pendant des années, ayant perdu leurs biens et devant continuer à rembourser leurs crédits. On parle d’eux brièvement, ils ne seront plus aussi « naturellement » dans la ronde des spéculations capitalistes. On ne prête qu’aux riches et aux ambitieux… Dans les yeux des perdants, se lit l’hébètement et la colère sourde, l’abattement en première intention involontaire…De la désolation en bandes désorganisées… Le journaliste lève vite le camp… Il a fait son job … Show must go on…
#02 L’ART VOLONTAIRE ET LE VOL
Il dit en soupirant : – Elle ne veut pas jeter les choses… Il ne sait pas trier ce qu’elle pourrait jeter s’il ne prenait pas toujours l’initiative et le faisait à son insu. Elle s’est foutu plusieurs fois en pétard contre cette attitude contestable. Elle remplit volontiers les poubelles pourtant et c’est bien lui qui les descend au sous-sol pour rejoindre son vélo. Au début, il y avait une colonne vide-ordure (c’était la mode) à chaque étage. La gardienne se coltinait le nettoyage de ce qui débordait invariablement. La suppression du vide-ordure dans les six immeubles de résidence de 4 à 6 niveaux lui a donné du temps pour autre chose, et notamment la disponibilité envers les personnes âgées délaissées par leur famille. Les odeurs nauséabondes n’ont manqué à personne et tout le monde s’y est mis pour le tri sélectif première mouture. A la sortie du lycée, elle avait tenté les Beaux-Arts et elle s’était mise à ramasser toutes sortes d’objets dans la rue pour préfigurer les idées d’installations préconisées par des professeurs très férus d’Art contemporain aux prises avec la société de consommation avec ses montagnes de déchets non recyclés encore à cette époque. Elle préférait pourtant le dessin et la peinture, mais elle n’a pas eu le choix cette année là. Elle s’est mise à trier des objets et à en faire des petits tas dans les angles d’un appartement partagé en coloc. Elle les a photographiés et intégrés dans des compositions aux thématiques étranges. Elle est même allée prélever un arbre chu dans une tempête pour l’installer tout arcbouté sur un socle des plus rustiques… une sorte de catapulte domestiquée.. Elle n’a jamais voulu montrer son œuvre aux parents, elle avait trop honte… L’année suivante elle s’est inscrite en fac de langues. Elle était dégoûtée… Une voisine un peu folle avait volé la clé de l’accès au sous-sol, et elle est longtemps venue, de nuit, récupérer les papiers et les prospectus dans les poubelles triées, pendant un moment, elle a même pu accéder aux boîtes aux lettres pour voler du courrier… La colère a monté dans le voisinage et une enquête a été ouverte. Elle vivait avec sa vieille mère un peu complice, un peu dépassée, on n’a pas trop su… La voleuse traquée et admonestée est devenue plus maline, elle disait que la gardienne faisait mal son boulot dans la Résidence, justifiant ainsi ses interventions… Mais son statut psychiatrique lui a valu quelques semonces et parfois des hospitalisations d’office. Les boîtes aux lettres trop vulnérables ont été changées et on a installé une serrure sur la porte d’accès de la cave au hall d’entrée. La voleuse de papier, impénitente, revient de temps en temps prélever les prospectus en journée, tandis que l’alentour, essentiellement des retraité.e.s , s’arrangent entre eux pour récupérer leur courrier au passage du facteur. La plupart d’entre eux ont mis une étiquette de refus des publicités sur leur boîte au nom de l’écologie puisqu’il existe une boîte centrale pour rassembler tous les papelards de marabouts, de prospecteurs immobiliers et de chaînes de grands magasins … La quantité a diminué depuis les réseaux internet et chacun.e se débrouille avec ses pollutions numériques dans son coin en achetant des protections de compte personnel de plus en plus chères et invasives. Les distributeurs de prospectus avec leur petit chariot à deux roues ne viennent plus aussi souvent encombrer les boites aux lettres, et personne ne s’en plaint…
Un vieux texte que j’ai gardé.
Je ne jette jamais mes textes.
Je les oublie…
Je les retrouve et je les modifie.
Je ne les perds jamais tout à fait.
Ce sont les squames de ma mémoire endormie.
#03 L’ENSAUVAGEMENT UTILE
Il n’y a rien de plus infidèle qu’un jardin d’agrément et de plus ingrat qu’un jardin potager ! Cette réflexion ne vient pas d’un jardinier réel mais d’un contemplatif désireux de ne plus intervenir sur l’agencement de la Nature. Un sourire un peu las au coin de sa barbe hirsute, une cigarette plate roulée au coin des lèvres, il a pratiqué autrefois la permaculture avec des cornes de vache remplies de bouse et d’ingrédients chamanes, il a fait l’indien dans des huttes de sudation. Il en est revenu, ou plutôt il a poussé la spiritualité plus loin, du côté des religions imparfaites car criminelles. Il prie des femmes dans les chapelles et les églises marginales dont l’état immobilier est de plus en plus précaire. Les croyances s’effritent comme le reste. Il n’y a pas de miracle dans ces domaines. Aujourd’hui, il préfère marcher et manger ce qu’il trouve le long des chemins, et dans les jardins généreux des autres contemporains. Il sait que tout cela est éphémère…
Elle fait peur la Nature… Enfant, je n’avais pas peur des arbres et puis ils se sont mis à tomber comme des bâtons de mikado, de plus en plus souvent, ou tout au moins les reportages se sont multipliés et rassemblés dans des flash d’infos, juste le temps de s’apitoyer et de zapper, on se dit que ça peut arriver, on ne sait pas quand, ni où. Il y a des tas de gens qui vivent dans des régions dangereuses et qui s’y habituent en priant le ciel de ne pas leur tomber sur la tête. Pareil pour les épidémies, pendant longtemps, elles ont été confinées en des régions lointaines et défavorisées. Aujourd’hui , l’idée de Pandémie a tracé ses circuits et ses nouvelles normes de promiscuité et de sécurité sanitaire. Elle a réhabilité les contrôles stricts aux frontières et ostracisé des nations ou des communautés entières. Enfant, je n’avais pas peur des maladies, on en parlait beaucoup, mais c’était chez les autres, et on croyait au pouvoir médical. Enfant , je n’avais pas peur de l’eau de boisson, on avait des combines lorsqu’elle se mettait à couler glauque… La chimie paternelle résolvait (presque) tout… Enfant, je n’avais pas peur des animaux ordinaires tels que les chiens et les chats, les oiseaux et les poules, les lapins et les mulots… On vivait avec, on avait lu le Petit Prince… Enfant, je n’avais pas peur du ciel, aujourd’hui, je rejoins sans rire les superstitions gauloises… On ne sait pas ce qui peut nous dégringoler sur le crâne. Enfant , je ne savais pas que le Monde allait autant changer et tout chambouler. Enfant, je croyais que les guerres ne reviendraient plus…
Tu me croiras si tu peux. Les paysages sont inépuisables et ils ne racontent pas la même chose à chacun.e d’entre nous. En lisant le dernier livre d’Amélie NOTHOMB, L’impossible retour, tu te prouves à chaque page que nos visions et nos projections mentales respectives sont inconciliables. Interroger la beauté d’un paysage en présence de quelqu’un d’autre, c’est l’édulcorer d’avance et le réduire à sa portion pingre…C’est la fameuse question du « point de vue » qu’ont souligné les premiers photographes. Une question de focale et de lumière mais pas seulement. A une époque où on zoome à mort pour traquer l’infiniment petit et l’infiniment grand, l’oeil humain paraît infirme et empêtré dans son empan étroit…Certains poètes comme Bernard NOËL, imaginait même un regard scrutateur dans son dos pour l’aider à concevoir l’espace, celui du dehors comme celui du dedans. Il faut préciser aussi qu’il avait lu Henri MICHAUX et ses expérimentations d’écriture sous substances psychotropes. Quelqu’un s’interrogeait dans le Tiers Livre, à propos du Réel, Gilda , je crois…Elle rouvre ta propre question sur l’utilité ou non du voyage, pour savoir à quels paysages nous pouvons nous arrimer ou nous amarrer pour écrire … Pour vivre, a-t-on besoin de le savoir ? Il semble que pour la plupart des gens, le choix n’existe pas.
#04 | INTEMPESTIVE EFFLUVE
Quelque chose d’implacable
qui saute aux narines
puanteur réhaussée
par les vents du sud
une fragance récurrente
par intermittence
une nuisance olfactive
connue depuis l’enfance
pas n’importe où
c’est juste à l’entrée du village
les touristes questionnent
on leur rit au nez discrètement
les gens sont habitués
la commune est viticole
et il faut bien gagner sa vie
une cinquantaine d’employés
on a déplacé la cave coopérative
neuf kilomètres plus bas
on a fait un gros truc promotionnel
combinant oenologie et vente directe
regroupement longtemps rêvé
assemblée de producteurs
la fautive n’était pas la cave
on le croyait avant
et c’est elle qu’on accusait
en Septembre et après
Souvenir d’un mal de tête
systématique à chaque retour
de pension ou de voyage
ça ne risque rien nous dit-on
c’est juste désagréable
et ce n’est pas tout le temps
Pour une bourgade touristique
tout de même ça la fout mal
disait ma mère ça n’existe qu’ici
Tu pourrais faire quelque chose Robert ?
Robert n’a sans doute rien fait
Oenologue de vocation
ce n’était pas son créneau
Il a soigné les Vins d’Ardèche
a introduit des méthodes Beaujolaises
et la technique de macération carbonique
il avait d’ autres odeurs à surveiller
Contraste des bons parfums de cave
ou au débouchage d’un bon crû
Enfance embaumée des choix paternels
Visites curieuses et sacralisées
au Laboratoire en dessous
de chez nous lui Directeur
en lien téléphonique avec Patrons à Montpellier
Magie des pipettes et des chromatogrammes
Analyses artisanales et scrupuleuses
La machine à écrire trépidante
de la secrétaire tapant sur double papier carbone
tous les résultats chiffrés avec des virgules
taux d’alcool taux de sucre aspect des échantillons
Aller -retour dans les quarante deux
caves du département pour récupérer
de petites bouteilles brinquebalantes
dans les casiers de bois
et les bonbonnes prometteuses
à l’arrière de la citroën -cargo
Les odeurs de cave sur terre battue
m’enchanteront toujours
Les odeurs de distillerie industrielle
n’ont pas su me convaincre
La Distillerie incriminée a beau défendre sa production nauséabonde en relookant les bâtiments et en créant de nouvelles utilisations des déchets ( gel hydro acoolique et colorants), je reste persuadée qu’elle n’a pas trouvé sa justification dans un emplacement contestable, entre le cimetière où reposent nos parents et un stade sans ombrage où l’on parque aussi des dromadaires et d’autres bêtes de cirque malheureux comme des cailloux.
#05 | L’INFATIGABLE MISERE SOCIALE
L’infatigable misère sociale
Il y a plein d’adjectifs pour la qualifier sans l’éradiquer.
Pas besoin d’aller très loin autour pour la trouver.
A la lisière de la capitale des Gaules
Délimitée par le périphérique sud – est
Elle ne se montre pas d’emblée hostile
Elle se devine pourtant aux grappes de dealers
Silhouettes fuyantes aux vêtements sombres
Casquettes à capuche regards sans regard ou appuyé
Défi larvé et bagnoles rutilantes crissement de pneus
Certains disent bonjour ils ont appris à la petite école
Ils en sont sortis sans diplôme ils ont trouvé mieux
Ils furètent et rouillent ou foutent la trouille
au bas des escaliers maussades
Ils ne se cachent pas et jouent à semer la police.
L’été les ados font des rodéos sans casque
Ce sont les petits frères, le filles rasent les murs
ou s’exposent en nymphettes insolentes et maquillées
Beaucoup sont voilées (plus qu’avant)
La religion fait le partage entre les comportements
Les mères protègent les petits mâles jusqu’au collège
Cela ne suffit pas en filigrane les dés sont pipés
Les jeunes qui croient au futur ont des ambitions
Toutes et tous ne sont pas logé.e.s à la même enseigne
Derrière eux la misère sociale s’organise en ghettos
Elle se confine dans ce vieux quartier au long passé ouvrier
Entre usines démantelées et hôpitaux déclassés
La destruction de l’autopont en 2018 a donné le signal politique
« zone de redynamisation urbaine » tel est le message
Les artères philanthropiques de Tony Garnier
Boulevard des Etats Unis début XX° siècle
Cité Gerland – Longue Rue Berthelot
coupant l’agglomération entre Bron et le Rhône
ont irrigué l’habitat et l’ont figé jusqu’à saturation
Sans ascenseur les ancien.ne.s habitant.e.s
n’y vieillissent plus ou y sont mort .e.s. peu à peu
La promotion immobilière a fait imploser ces quartiers
annexés aux 3° et 7° jusqu’aux portes de Vénissieux
Ainsi le malheur social a trouvé refuge dans les plans
d’urbanisation toujours insuffisants et sélectifs
Un foisonnement de comités de quartier
débats houleux entre porte-parole délégués et médiateurs …
Les premiers représentant.e.s de locataires élu.e.s
remplacé.e.s demain ou après-demain par des propriétaires
Lissage et mixage des prétendant.e.s au logement
Recherche de salubrité et de solvabilité
Halte aux punaises de lit, aux rats et aux cancrelats !
Les projets bienveillants sont affichés
à longueur de palissades et de flyers
On y voit des gens actifs et heureux
des commerces prospères et des services publics rénovés
Entre l’image et la réalité il y a des années de gravats
et de désillusions aggravées
l’augmentation des loyers devient justifiable
par les normes écologiques et leurs effets de surcoût
Ce qu’on ne dit pas : Le Grand Lyon a besoin de s’étendre
et de rendre visible le commerce à haut débit
Il grignote peu à peu les terrains constructibles
On rachète même des villas des années 50 ou plus
On les remplace par des immeubles en co-propriété
Une part minime de logements sociaux pris d’assaut
L’heure est à la rentabilité.
Toute misère sociale est reléguée
aux parcelles non encore démolies.
ça va très vite désormais
le confinement avait retardé les destructions
mais tout se rattrape aujourd’hui .
On a observé la métamorphose du quartier Mermoz
coupé en deux par la ligne D du Métro et le T6 du Tramway.
Plusieurs années de chantier
« quartiers qui craignent » lit-on dans les journaux.
Jusqu’à la démolition des immeubles et de l’école Pasteur
Le centre social est devenu le point stratégique des infos.
La misère sociale s’affiche au fil des mois
La peau des murs la révèle
La couleur des visages aussi
Quartier Sud Quartier Nord
Concentration d’étranger.e.s
Primo arrivant.e.s au gré des exils
Tout le brassage des populations s’accélère.
Les logements sont trop étroits
La misère sociale s’installe dans les rues.
#06 | LA CHASSE AU « Ô ».. OH…OH… OH!
[…] Les pluies nomades venues de l’Est, tinteront encore au tambourin tzigane ; et les belles averses d’été, descendues de haute mer en toilettes de soirée, promèneront encore sur terre leur bas de jupe pailletées.
SAINT-JOHN PERSE, Sécheresse, Vents
Ici cette pluie n’a pas d’ombre ! On ne sait d’où elle vient Ce poète ancien l’encombre : exclamations béates, emphase désuète, arguties soporifiques. Manies intellectuelles, langage de salon, œuvre au pire louant tantôt la main de fer plus tard la vulnérabilité sensuelle de la femme. Pas de juste milieu.
Ô mélancolie de la pluie, analogie des larmes. Parole déferlante truffée de mots spécieux. Redoublement de la faconde. Complaisance à l’orage. Sauve qui peut. La pluie désacralise et tu le savais ! La pluie prend toute la nature de court. Parfois elle dévaste. Ne dit-on pas, une pluie de bombes !?
Ô générosité de la pluie, verseuse maladroite. Rigolade et dégringolades en ruissellements. Sur la vitre toc toc elle frappe au carreau. Voici des gouttes de ciel en exil. Les plantes dociles les réclament en été. La pluie exagère souvent en automne et de plus en plus à contre-saison. Ô déluge ogre humide et sans pitié.
[…] Ô menteur ! qui disait la vie
Nouée au fuseau de mon sort,
Jurant au ciel que son envie
Était de mourir de ma mort !
Échos sous le feu de mon âme ?
Tremblant de s’y brûler un jour,
Il jeta des pleurs sur la flamme :
Ô menteur ! ô menteur d’amour !
Marceline DESBORDES-VALMORE, Les pleurs, XVII, seule au rendez-vous
Le ciel jette des pleurs sur l’âme brûlante de Marceline. A moins que ce ne soit qu’une divinité implorée en rescousse à la chair désirante. Le lyrisme prend appui sur la Nature et se répand dans le poème comme une huile essentielle parfumée qui vire au vinaigre. Outil de séduction charme à double tranchant. Il s’agit pour elle de conjurer le sentiment de solitude et d’abandon. Tous les moyens sont bons. Dis-nous si ça a marché chère Marceline !
[…] Tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse.
La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde.
Paul CLAUDEL
Sous la douceur la convoitise percutante ! Le poème mondain n’échappe pas à l’intention voilée. Est-ce pour cela que je me méfie des mots câlins et coquins en habits de vocabulaire… et de cet exercice d’atelier qui nous ressert les mêmes plats pour maintenir l’ordre du monde entre prédation et captation des sentiments par commerce interposé. L’éternelle fiancée et le héros fatigué ne font plus rêver.
Ô, combien sont perméables les frontières humaines !
Voyez-vous ces nuages qui passent impunément,
ces sables du désert filant d’un pays à l’autre,
ces cailloux des montagnes pénétrant chez l’ennemi
en d’insolents sursauts
[…]
Dans l’essaim des insectes je prendrai la fourmi
qui, entre le pied droit et gauche du douanier
ne se sent pas tenue d’avouer ses vadrouilles
Wislawa SZYMBORSKA, De la mort sans exagérer
Quel que soit le sujet, le poème s’aventure depuis toujours dans l’indicible avec des ruses de sioux. Je ne lui en veux pas de ne pas me convaincre même si son chant m’hypnotise un instant. Comme les vertébrés le poème a des os ou des arêtes. Le poème est un cheval de Trois qui n’a pas d’architecte attitré.e. Il se reconstruit sans relâche et ne reste jamais au même endroit où il a surgi et où on l’a quitté. Le poème versifié a quitté la place et il est revenu non plus lyrique mais politique dans nos oreilles surchargées. Le slam d’aujourd’hui est le nouveau perturbateur citoyen. Il sera demain dans les manuels scolaires.
#07 50 NIDS POUR NINI
Je suis droit
Je suis gauche
J’écris avec mes poings
Sans virgules
Sans points
Sans coco
Sans pernod
Sans muselière
PAUL VALET, Sans muselière, à Vladimir Maïakovski 1949
Paul VALET bonne piste celle d’Amandine ANDRÉ attendra L’écriture vient sans peine Comme un jeu mais sérieux Impression d’écrire acculée au mur des affirmations naïves. Dazibao en démocratie (encore) L’intolérance au Mal immémorial est pourtant à l’intérieur imputrescible le sourire aussi L’exercice me plaît.
Les Ni sont présentés par ordre d’arrivée sans relecture immédiate comme une langue morse pour un message inconnu lesté d’entropie Ce sont les premiers mots qui ont trouvé leur veine associative L’idée de « Nids « vient de là Des « Nids dénichés un à un Quant à Nini vous ne m’en voudrez pas il me fallait bien un personnage…
Ni plainte
Ni mensonge
Ni feinte
Ni fuite
Ni promesse
Ni sanction
Ni conjecture
Ni masque
Ni certitude
Ni volte-face
Ni résolution
Ni serment
Ni perfidie
Ni indulgence
Ni aveuglement
Ni coups et blessures
Ni grimace
Ni gloriole
Ni Ange
Ni Bête
Ni Taureau
Ni Scorpion
Ni Vierge
Ni Gémeaux
Ni Balance
Ni Bélier
Ni Cancer
Ni Capricorne
Ni Poissons
Ni Lion
Ni Sagittaire
Ni fatalité
Ni dieu
Ni maître
Ni onction
Ni maléfice
Ni grivèlerie
Ni grossièreté
Ni insulte
Ni soumission
Ni surdité
Ni condescendance
Ni cruauté
Ni indifférence
Ni préemption
Ni abandon
Ni traîtrise
Ni Toi
Ni Moi
En sommes garant.e.s
#08 | Traversée de la Vie
Ils n’auront que l’embarras du choix. Deux fleuves, plusieurs rivières, cinq cours d’eau et bien plus, fréquentés depuis toujours avec beaucoup d’infidélités. La mer et l’océan comme estuaires involontaires. A l’échelle de leur vie, ce ne sera pas grand-chose de spectaculaire à raconter. Ils se foutent de la couleur des sémaphores et des lampadaires. Seulement des flashs d’étonnement ou d’ennui sur les berges qu’ils frôleront fascinés en frissonnant. Ils plongeront dans l’eau plus rarement, l’été, généralement. Ils seront des nageurs apnéiques et velléitaires.
Le véritable objet flottant sera la parentèle, c’est lui qui hantera la plupart des rêves. Il n’est pas exact qu’il puisse parvenir une nuit plus qu’une autre à rejoindre l’amont, c’est même dangereux d’y croire. On ne boit jamais la même eau, tous les bois flottés vous le diront. En cas d’oubli elle stagne et croupit…
Encore un scénario furtif au réveil, rescapé des eaux sombres. Le narrateur sait qu’il ment. Il est encombré de réminiscences. Ni ses cartographies, ni ses recherches géologiques et historiques, ni ses gestes musculaires et mécaniques ne lui serviront. Avant son plongeon, Tel Narcisse penché sur son reflet glissant, il n’aura pas le choix de rester le même. Le courant impétueux floutera son existence. Peut-être même qu’un jour se réincarnera-t-il en castor ?
Avec la fiction, on ne sait plus dans quelles eaux l’ on trempe. L’eau ne parle pas, elle est moléculaire, sa transparence est une illusion d’optique. A l’état sauvage, elle gifle bien plus qu’elle ne caresse, tout dépend de ce qui la contient. La faire parler est une lubie de rêveurs hallucinés. Je ne sais lequel d’entre eux questionner. Pour l’instant je reste accoudée à la rambarde d’un pont. Ce n’est pas n’importe lequel. Je pourrais aussi me poster au bord d’une rigole, sur un chemin pierreux remontant une colline villageoise. Ma vie ne manque pas d’eau … (pour qui peut savoir).
ça résonne évidemment, et douloureusement. Oui, la nature fait de nous (apprentis sorciers) ce qu’elle veut.
merci Marie-Thérèse pour cette entrée en matière
la désolation dont tu parles me touche à cœur pour l’avoir moi-même traversée il y a quelques années et on ne peut pas imaginer ce que ça fait vraiment quand ça n’a jamais arrivé pour soi…
désormais je ne peux plus regarder ce genre de scène à la télévision, s’annonce une marée douloureuse d’images que je tente de chasser depuis longtemps…
Merci Perle et Françoise pour vos réactions à ce texte écrit à partir de l’actualité récurrente sur les effets de plus en plus préoccupants des dérèglements climatiques et le manque d’anticipation.
Merci Marie-Thérèse pour cette évocation dramatique qui malheureusement ne va que se répéter avec le changement climatique. Et le show télévisé misérable qui suit… l’écriture colle au plus près..
On se croise dans l’épisode #4 avec une distillerie commune (vignoble s différents), et des mots familiers comme « échantillons ».
Foisonnement de formes où glaner, se promener. Bonne suite (je commence et vais aller à on rythme).
Merci Isabelle et Nolwenn pour votre intérêt pour ce texte qui tente de décrire les protagonistes sans intrusion rajoutée. Aller chercher la parole de sinistré.e.s me parait souvent comme une violence supplémentaire. Retrousser les manches serait plus judicieux. Comme sur un champ de batailles, les journalistes ne sont là que pour prélever des secondes d’images » des échantillons » qui n’expliquent rien et mettent mal à l’aise. Avec le vin heureusement on ne fait que traquer le nectar…