Au dessus de la rue, un grand ciel de vase. Tant de nuages et de mèches emmêlées. Une fois par semaine je vais nager à la piscine couverte. Odeur de chlore. Autour ce n’est pas le jaune de la lumière naturelle du jour. Ce n’est pas non plus le jaune du soleil. C’est celui de l’éclairage artificiel. On s’en fout. Sourire juvénile et aimable du maître-nageur. Regard sur la pendule. Une heure pas plus. C’est écrit. Les séniors c’est avant les bébés-nageurs.
Nous sommes cinq dans le bassin. Glisser dans l’eau. Les bras le long du corps. Sans intention de rien. Inspirer. Expirer. Nager à pleine brasse. Perdre la mémoire. Se sécher. Reprendre la voiture.
C’est une matinée de fraîcheur subtile. Humer l’air. S’intéresser au décor. Vision d’un employé municipal balayant le trottoir. Par terre, il n’y a rien. Cette période hivernale transpire le dénuement. Pourtant il traque. Le moindre Kleenex. La moindre capsule de bière. Le moindre masque. Écouter ces trucs-là.
Au marché la devanture de la poissonnerie expose. Des crevettes aux yeux énormes. Des seiches. Un espadon. De pâles pavés de saumon d’élevage. Les avant-bras tatoués le poissonnier s’affaire sur une raie. Juste observer. Les longues mains rougies de l’homme. La bête luisante roulée dans du papier sulfurisé. Penser à acheter le pain. Préciser aux céréales. Entendre la boulangère affirmer que son chat est un salopard. Remercier pour le pain. Rajouter une galette. Préciser avec deux fèves.
Penser au gratin de courgettes bios. Ne pas mettre de fromage. Penser au riz. Le jeter cru dans l’huile et l’oignon émincé. Le regarder devenir transparent. Verser le vin pour déglacer. Placer deux grosses poignées de salade d’hiver dans un grand saladier. Choisir le blanc avec un liseret doré. Rajouter quelques noix. Finir de lire Rien à déclarer. Ouvrir la Maison des Feuilles. Essayer d’en découvrir les codes. Lentement se laisser emporter. Lentement dériver. Bleu. Chaque fois le mot Maison écrit en bleu.Tous ces trucs-là.
Écarter le rideau. Observer le goéland fidèle debout sur le rebord de la fenêtre. Besoin de croire que c’est le même chaque jour. Son oeil rouge et rond sans paupières.
Dresser la table pour deux personnes. Deux verres à pied. Une bouteille de Sancerre domaine Vacheron. Déplier la nappe. Sentir le parfum de la dernière lessive. Amande douce. Peut-être fleur d’oranger.
Accueillir l’amie. Parler. Parler encore. Se raconter la marche dans la montagne. Les Pyrénées. Les cascades. Ces choses-là sont plus que du paysage. Cueillir du bout des yeux le bleu profond des gentianes acaules. Parler de la femme qui a vu l´ours. Dire. Les chamois. Les izards.
Changer de paysage.
Sortir. Marcher au bord de la mer. Voir les mots-galets. Les mots-couleurs. Voir les phrases accrochées à l´estran. Rire. Briser le silence. Briser tous les silences. Sable gris et coquillages pulvérisés sous nos pieds. Les entendre craquer sous la semelle. Au large la barge dorée d’un chalutier à l’arrêt. Rentrer.
Se régaler d’un thé chaud. Découper la galette. Chacune sa fève. Se déclarer collectivement les reines de la journée.
Se poster devant la bibliothèque. Ouvrir des livres. Déclamer des phrases qui ne nous appartiennent pas. Recommencer.
Plaisir enfantin des images accumulées. Faire La la la … écouter tous ces trucs là.
Fin de la journée.
…à vous lire, je viens de passer une bonne journée …
Merci ! Petits événements rapportés ! Plaisirs partagés.
J’ai vu Alexandre le bienheureux, je connais Monique la bienheureuse. J’ai passé une très agréable journée en ta compagnie.
Lire ces trucs-là. Sourire à ces trucs-là. Se glisser dans leurs atmosphères. Dans l’infinitif des verbes, goûter cette journée-là. Savourer.