1.hier le ciel était jaune. elle n’avait pas su dire si cela venait d’un vent du désert ou de flammes d’incendies. sans doute des deux. sans doute aurait-elle pu trouver aussi une autre explication celle-ci surnaturelle qui aurait fait passer les deux premières pour de simples anecdotes. désormais il y avait souvent vu le contexte de la guerre cette sorte d’escalade dans son esprit. toujours est-il que le ciel hier était de feu. et qu’au travers des branches des arbres qui au-dessus d’elle gentiment défilaient dans sa marche dessinaient une voute aérée presque un dessin japonais une estampe quelque chose dans sa gorge la brûlait. parce qu’elle devait s’en aller. elle pensait à cet exilé dans ce film de Raul Ruiz lui qui souvent pour des scènes colorait ses pellicules. y appliquait des sortes de filtres. rouges et verts ou jaunes dans Le toit de la baleine. Jaune au début des 3 couronnes du matelot quand le protagoniste chilien justement doit quitter sa terre et prendre le bateau à Valparaiso. ce ciel incendié lui parlait violemment de tous les morts, de sa mémoire, d’un présent qui la brulaient. un présent et à la fois un passé. en une combustion rapide. gravés aussi quand elle y pensait dans le bois couleur miel ambré de certaines marqueteries anciennes. celles par exemple d’après les dessins de Lorenzo Lotto quand ils représentent des passages de la bible là où il s’agit de transformations de métamorphoses dans un désert. un processus si savamment décrit aussi sous le jour même religieux de l’alchimie. elle voyait le feu l’eau la terre et l’air hier dans ce ciel. comme elle les avait vus aussi dans cet autre film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet Sicilia ! dans lequel les images à l’écran disons liquides terriennes se dissociaient de la parole énonciatrice aérienne. où les images n’avaient rien à voir avec le dit dans l’air. où les images dans une autre épaisseur tendue vers le bas et loin du visuel renvoyaient à quelque chose d’invisible de souterrain. dans ces films elle n’avait pourtant rien vu d’autre ici que ces branches se découpant contre un ciel jaune. là sur les braises d’un feu un poisson qui avait cuit.
2. hier au moment du départ alors que sa ville lui avait semblé si étrangère elle avait vu une autre ville superposée mais similaire en terre inconnue. qu’elle connaitrait. ou peut-être avait-elle cherché du regard sur sa route des constructions similaires. sur cette pellicule liquide mouvante du film Le toit de la Baleine le metteur en scène chilien montrait sur des cartes postales une maison des Pays-Bas et une de la Patagonie en tous points identiques mais sous des filtres de couleurs différentes. à d’autres moments du film des personnages censés écouter de grands voyageurs en arrivaient à raconter à leur place ce que ces voyageurs dans la vraie vie avaient vraiment cherché. soit pour ces personnages, des villes qui finalement se ressemblaient dont le passage de l’une à l’autre n’impliquait pas le voyage mais de simples déconstructions reconstructions déplacements et échanges d’éléments de tonalités
3..demain elle se reverrait dans cette chapelle comme dans ce bateau qu’elle avait pris hier. avec ce même petit nombre de gens de la chapelle dont les tableaux maintenant dans son esprit lui rappelaient en chair et en os ces hommes ces femmes ces enfants croyants ou martyres impuissants qui avaient été ses compagnons de voyage sur l’eau noire et claire. les scènes comme dans un rêve se dédoublaient encore à présent avec ce même petit nombre de passagers dans cette promiscuité son compartiment du train qu’elle voyait adjacent en même temps à la chapelle et au bateau. même si en se raisonnant elle pensait qu’elle délirait que demain tout irait mieux. maintenant que l’Assomption lumineuse colorée souriante de la vierge transfigurée du Carracci pourrait éclipser à côté d’elle les deux toiles du Caravage. et que les matelots du bateau de Valparaiso (Ruiz) aussi bien les gens du train ? lui apparaissaient. et comme dans le film lui parlaient de façon sympathique avec d’autres voix accents qui n’étaient en fait pas les leurs parce que c’étaient ceux d’êtres familiers disparus. dans cette odeur d’humidité de moisi du dehors la nuit de la campagne sicilienne lui rappelant celle à Rome des murs de pierre du petit lieu de culte. l’odeur de sel et stagnante de l’eau hier où s’agitaient spéculaires des portes ouvertes sous une mer et un sol