Réveille-moi, Oksana, de ce jour funeste quand pleuvent les bombes, quand fleurissent les tombes. Réveille-moi lorsqu’en haut de ma montagne, je te devine au loin rejoindre la marche des réfugiés qui saignent la folie. La marche des migrants que notre indignité qualifie comme elle nous arrange. Réveille-toi, Oksana, je ne vois plus rien derrière tes yeux humides.
Assomme-moi, Volodymyr, tu ne joues plus dans un film à vouloir tout faire péter. Il tombe des bombes dans ce ciel de guerre, comme une fille-mère engendre et succombe. Catacombes. Assomme-moi, Volodymyr, hier acteur, te voilà chef de guerre, sur l’écran de ma télé je ne distingue plus le faux du vrai. Assomme-toi, Volodymyr, j’ai perdu ma télécommande.
Écoute-moi, Nathalie, ton ami, ton mari, ton amant, ton enfant est juste là derrière le fracas des avions qui dégoulinent. Le doigt sur un bouton qui assassine. Écoute-moi, Nathalie, je chante encore la place Rouge, le café Pouchkine et le tombeau de Lénine. Je pense à toi en marteau et en faucille. Écoute-toi, Nathalie, mes souvenirs ont froid.
Rappelle-toi, Pierre-Paul-Jacques, de ce temps de paix où nous nous croyions en guerre. Prendre un virus pour ennemi. Rappelle-toi combattre un masque sur le nez, discuter du vaccin, applaudir des infirmiers. Rappelle-toi, Pierre-Paul-Jacques, et dis-toi qu’aujourd’hui en temps de guerre, nous oublions lentement la paix. Rappelle-moi, tu oublies tout en ce moment.
Pardonne-moi, vent de l’est, de tout ramener à moi, c’est pratique, je ne sors pas. Je me crois au centre, je philosophe. Pardonne-moi, les bombes, elles sont pour toi. Et les morts, et l’exil et se battre. Pardonne-moi, vent de l’est, j’ai la vue d’un poisson rouge, je guette le champignon nucléaire sur ma ligne d’horizon. Pardonne-toi, j’ai perdu l’image et le son.
Devant ma télévision, ma radio, mon journal, je mets des mots là où il n’y en a pas. Colorie-moi, images en suspens, un paysage sans éclair, un tableau sans bombes. Parfume-moi de senteur slave, odore-moi un sourire au levant. Dessine-moi les choeurs de l’armée rose, souffle-moi un peu d’espoir sur les braises de tes ruines.
Explique-toi, esprit de la guerre, entre épopée antique et massacre à la chaîne. Apprend-toi la liberté, celle d’un seul homme et celle de tout un peuple. Chante-toi l’épique du stratège, dissèque-toi l’éthique de l’horreur. Pleure-toi la mort. Anarchise-toi la révolte populaire avec le sang de la vengeance. Héroïse-toi un despote sur les réseaux sociaux. Exalte-toi, esprit de la guerre, de la beauté des martyrs et de l’innocence des cadavres.
Après tout ça, vent du matin, raconte-moi une histoire de paix.
c’est comme une litanie – et la forme épouse le fond – merci JLuc
Merci Cécile. Le tout est un peu maladroit, mais c’est une exploration. Une litanie et une exploration à la fois.
Tu adoucis l’impératif avec de texte sensible et fluide, bravo. Dis-moi ton secret !!!!!
Merci Laurent. J’ai essayé de garder des sonorités de mots dans certains versets (bombe, tombe, succombe catacombe ou dégouline, assassine, Pouchkine, Lénine). Ce ne sont pas des rimes, juste des odeurs (en l’occurrence, plutôt mortifères). Je ne sais pas si ça joue au final. J’explore.