Si j’étais peintre, je représenterais la lagune de Venise. Après avoir parcouru de long en large la cité des doges, je sais quel est l’endroit unique où le ciel et la mer se confondent. Il faut prévoir, comme l’ont fait les impressionnistes, d’y passer des journées entières afin de saisir les variations de la lumière. Je peindrais cinquante tableaux pour parvenir à ce moment d’épiphanie. Mais la qualité unique du lieu ne tient pas seulement aux reflets chatoyants d’un paysage chromatique. Je placerais au centre de ma composition les éléments essentiels de cette mise en scène : une gondole, un batelier et des personnages homme et femme. C’est vers eux que l’œil serait attiré.
Je ne suis pas peintre et je me console en imaginant ma carte postale idéale de Venise pour tous ceux qui n’effectueront jamais le voyage ou, même s’ils en avaient l’occasion, ne pourraient pas adopter une perspective depuis l’eau, devraient faire abstraction de la foule grouillante des touristes, du soleil brûlant et de la cacophonie des gondola signorina, gondola, gondola.
La beauté de l’œuvre tiendrait à la maitrise des couleurs pastel, à la légère nuance des jaunes entre le ciel et la mer ainsi qu’à la subtilité de la lumière du soleil sur la transparence de l’eau. C’est la projection dans ce cadre parfait qui permettrait au spectateur de rêver devant les personnages de la gondole et d’imaginer leur histoire : Valentina et Adriano fileraient un amour tranquille sous l’œil complice du gondolier, Dino, mettons. Mais si cette débauche de sentiments amoureux les écœure, ils pourront aussi envisager une autre histoire : deviner le catafalque noir et doré qui se dresse, apercevoir l’ombre mystérieuse du village silencieux des morts sur son île.
Impossible de savoir ce que les gens voudront voir, les gondoles de Venise ne sont peut-être pas la représentation idéale de l’amour et ceux qui ont le mal de mer ne pourront jamais contempler, même en peinture, une barque voguant sur des eaux calmes.