le bruit infime de sa pipe qui tombe de ses lèvres endormies sur la toile de son pantalon et roule sonner sur les tomettes
le caramel brun de sa voix aux mots rares dans le concert murmuré des timbres de femmes et de filles que transpercent par moment des cris ou crispations aigus
le choc assourdi d’un sac à voiles lâché plus que posé sur un quai, le bruissement échevelé qui sent le chanvre d’un bout qui se déroule
la vibration de la toile qui vit dans le vent, le cliquetis d’une manille, la voix de baryton qui s’en va courir sur la mer, discrète d’abord avant que, dans le plaisir de chanter et de séduire le public faussement inattentif, l’intensité augmente avec des effets, des modulations joueuses
le claquement d’un ordre
en rive des conversations mondaines de sa femme, de sa descendance, de ses amis et des leurs qui ne sont pas tous les siens, le bruit discret de sa canne-siège qui s’enfonce dans la terre et le frottement d’un pied qui joue sur la terre pendant qu’il écoute et sourit
le bruit imaginaire des pattes d’un chien qui le suit quand il s’en va longeant le fleuve
le souffle de sa main qui vient entourer une épaule pour la serrer avec tendre chaleur
son rire glorieux éclatant sur un petit film muet très ancien, silhouette blanche descendant d’entrechat et entrechat une allée entre des buissons, et le claquement des semelles de ses sandales visible à chaque saut
le bruit délicat de son rabot sur une planche sur laquelle il se penche dans le garage derrière une haie de rosiers, son application joyeuse en fabriquant un minuscule dériveur pour ses petits enfants en sifflotant comme le faisait peut-être le grand oncle charpentier de marine
le bruit impatient du moteur de sa voiture dans le jardin, le frottement du portail sur le gravier, les roues sur le béton du seuil, le moteur arrêté, le claquement métallique du portail que l’on ferme, le claquement de la porte du passager, l’énergie du départ
sa voix disant le bruit des cartes renversées dans un réduit du lycée à Alger quand il passait par la fenêtre pour retrouver son petit voilier sur la cale du cercle nautique
Vivaldi sortant du transistor posé à terre près de la porte ouverte de la chambre où il s’en va vers la mort, juste assez fort pour qu’il l’entende sans trouble
image ©Brigitte Célérier – Toulon
Bien émouvant. Touchée.
merci 🙂
Merci Brigitte. Cette autorisation de monter à bord suscite une grande émotion et d’intimes résonances. J’entends paré à virer. J’entends la voix de mon ami disparu, nous criant « bordez ». Merci Brigitte encore une fois.
sur un port une rencontre (sourire)
j’ai glissé dans les interstices, là où ça sent le chanvre, et j’ai entendu…
merci Françoise… sa discrétion (enfin le plus souvent)
C’est beau, précieux, simple. Touchant et délicat. Très émouvant. Un sentiment qui résonne longtemps. Merci.
et grand merci à vous dont je ne commente pas (sais pas et puis suis pas dans mes marques encore en ce moment tout à fait) commenter les textes que j’admire
J’ai oublié la proposition. Je passe et cueille ce texte. Comme il paraît simple à vous lire de faire presence de queques fragments. Alors que… Merci, Brigitte.
merci Anne
Très beau… ( dès le début la pipe qui « roule sonner sur les tomettes » )
résultat d’une profonde « réflexion » en écoutant la radio
Je ne peux résister au rire éclatant muet. Le tout (au présent) sonne comme un très délicat et bel hommage
Merci pour ce texte très émouvant, c’est un beau cadeau qui est fait au lecteur.
C’est magnifique, et envoûtant…. Homme de la mer
Sa vaillance