Quand Claude Monet s’installe dans son automobile, une BMW, il commence par remuer les fesses, ressentir le cuir en son séant. Le peintre mondialement connu découvre là le plaisir du toucher des profondeurs, le roi des fleurs s’aventure en un luxe satisfait. Il sourit. Avec tout le fric que valent ses peintures il a bien droit à un peu de plaisir pour lui.
Quand Claude Monet s’installe dans son automobile, une BMW, il pose d’abord la main sur le volant. Il fait comme un geste d’amitié. L’autre main ferme la porte. Il entend le bruit que fait la porte qui se ferme. Pour une fois il oublie sa vue et donne attention à ses oreilles. C’est un bruit agréable. Il sait, ce bruit a été étudié, mesuré, testé, conçu par des générations de designers, sans beaucoup de designeuses, mais des gens un peu comme lui, pas tout à fait quand même. Ces artistes, eux, restent anonymes. Ils font un job. D’ailleurs, ils ont une sécurité sociale, des vacances… Lui aussi, aujourd’hui. Revenant du bruit, Claude Monet retrouve sa vue, mais par delà le pare-brise. Ça n’est plus la vue directe, comme il aime la peindre, mais la vue à travers le pare-brise. Il s’amuse du léger dérivé bleu, de la légère déformation des traits. Il s’amuse à essayer de recréer, mentalement, par son art, cette lumière. La lumière est un acte de création. Il veut voir si, à travers le pare-brise, il peut jouer comme avant.
Quand Claude Monet s’installe dans son automobile, une BMW, un jour, il avait oublié ses pinceaux. C’était au moment où il faisait la cathédrale de Rouen. La route était longue et heureusement il s’en est tout de suite aperçu. Il s’est senti idiot. Que se serait-il passé s’il avait été obligé d’expliquer à la lingère de la boutique de lingeries autour de la place de la cathédrale d’où il peignait ses toiles qu’il avait oublié ses pinceaux ? Il frémissait à y penser. Par métier, il regarda son portrait dans le rétroviseur, un réflexe pour se retrouver. Le rétroviseur était un peu son collègue, son confident. Il s’amusait quelque fois à le régler uniquement pour chercher un cadrage élégant. De son portrait, le rétroviseur lui donnait un aspect un peu bombé ; une faute de débutant. Ses yeux un peu jaunes montraient de lui une certaine honte, suite à l’oubli. Ses cheveux en bataille inspiraient une réaction dynamique. En plus, sa bouche fermée sa détermination d’homme blessé pour se relever – ou bien qu’il ne raconterait jamais rien à personne de cette histoire.
Quand Claude Monet s’installe dans son automobile, une BMW, il change de dimension. Ses jambes, son ventre, ses épaules, deviennent des organes du corps « automobile ». Il sent instinctivement ses nouvelles formes, il dirait « aie » si on lui arrachait une plaque d’immatriculation. De fait, sortant du garage, roulant sur l’allée gravillonnée de son jardin, franchissant le portail de sa propriété, il se calcule automatiquement aux dimensions de sa voiture, non aux siennes. Il se voit comportant un capot, une portière, un coffre. « Si je devais me peindre, j’utiliserais des cubes », se dit-il, à part lui.
Quand Claude Monet voit cube en BMW on vit une grande aventure de lecture à travers un pare brise