Est-ce dans le geste qu’on accède à l’être ? Le geste n’est-il pas autre chose que la trace fugitive de l’être absent ? Ou plutôt de l’être faisant effort pour accéder à sa réalisation. On est une personne qui existe dans un geste particulier. Mais le geste existe avant même l’être. On avance avec une démarche particulière une démarche qui pourrait tout aussi bien être celle d’un autre. On accomplit le geste dans l’incertitude d’être au bout du compte. De sorte que même si on est unique on peut être comme n’importe qui d’autre. On se souvient de ce geste de la main venant caresser le bout du nez. C’était son geste. Répété jusqu’à devenir comme une sorte de définition, sa définition propre. Une manière d’affirmer une présence ou plutôt de rendre présente l’affirmation de l’existence. Une sorte de légitimation de l’être dans l’incertitude de sa venue au monde. Un geste comme une demande d’autorisation d’existence. Et pourtant un geste sans signification particulière. Juste un frôlement qui revenait dans certaines situations de gêne ou de sentiment d’illégitimité. On aurait pu dire qu’on accédait ainsi à une manière d’être particulière. On devenait un être singulier dans l’accomplissement d’un geste banal. Un geste sans emphase, accompli sans y penser particulièrement. Presqu’un réflexe, une chorégraphie du hasard qui venait s’inscrire dans l’espace sous l’apparence de cette personne particulière. N’importe qui aurait pu accomplir ce geste, n’importe qui accomplissait ce geste. Et pourtant c’était son geste particulier. Un geste qui faisait apparaître sa singularité. On n’y prêtait pas particulièrement attention, mais on se disait que ce geste était son geste. Si bien qu’on se représentait sa personne sous l’apparence de ce geste particulier qui aurait pu être tout aussi bien le geste accomplit par une autre personne. Et longtemps après qu’il fut disparu même si les traits de son visages s’étaient dissouts dans le temps, il restait ce geste particulier qui aurait pu tout aussi bien être celui d’une autre personne. Mais on se représentait ce geste-la comme l’a présence de son être particulier. Si bien qu’un geste éphémère était devenu la présence obstinée dans la mémoire de son existence. On inscrivait désormais sa présence dans la trace éphémère d’un geste sans véritable signification que pouvait reproduire n’importe quelle personne particulière. Même parfois il arrivait qu’on se surprenne à accomplir ce même geste s’emparant pour ainsi dire de sa personnalité, la réincarnant l’espace d’un instant. La trace du geste accomplissait dans l’espace sa présence dans le temps.
La trace d’un geste transposé dans le temps…
Pas facile tout de même d’avoir choisi d’écrire au passé, cette définition de l’autre (qui n’est plus…)
La lecture de Gertrud Stein y est pour beaucoup. Elle écrit au passé et c’est ainsi que m’est venu le texte. J’avais aussi en tête une remarque de Kundera (dans L’ignorance je crois) qui disait qu’il y avait moins de gestes que de personnes. Je crois que j’ai écrit cela pour me débarrasser de cette idée.
oui, j’aime cette idée qui est vraie, chacun a sa carte d’identité gestuelle, son empreinte gestuelle dans nos mémoires, c’est peut-être ce qu’on oublie le moins des autres, et c’est très poignant d’y repenser.
J’avais en tête une remarque de Kundera (dans la L’ignorance je crois) qui disait qu’il y avait moins de gestes que de personnes. Je crois que j’ai écrit cela pour me débarrasser de cette idée
« Même parfois il arrivait qu’on se surprenne à accomplir ce même geste s’emparant pour ainsi dire de sa personnalité, la réincarnant l’espace d’un instant. La trace du geste accomplissait dans l’espace sa présence dans le temps. » J’ai beaucoup aime cette notation si vraie.
Cela arrive souvent à notre insu de mimer les disparus, parfois même des gestes qu’on n’aimait pas.
Merci de votre lecture. Le point de départ se trouve un peu dans ce qu’écrit Gertrud Stein : « She was one and was then like some one. She was one and she had then come to be like some other one. »
« Si bien qu’un geste éphémère était devenu la présence obstinée dans la mémoire de son existence. » et ce matin en lisant « un geste » je cherche d’elle ou ou de disparut, ce geste de présence. Peut-être cette façon d’obliquer la tête à droite pour elle, et celui de tapoter le rebord de la table en rythme pour lui … Merci
« Un geste comme une demande d’autorisation d’existence. » c’est tout à coup cette retenue, comme une pudeur inégalée
le geste qui fait sens
et tout le déploiement sur la singularité, j’ai beaucoup aimé