Par la fenêtre l’odeur est de sucre et de curry, le tout monte des marmites, et plus bas encore les excavations rances que forment les poubelles renversées, beau séjour des princes et des rats, coléoptères et corneilles qui ne migrent plus mais s’installent en rapaces familiers dans les cours, on y sent leurs yeux quand on descend les derniers étages tremblants pour y déposer le sac noir dans la benne à ordures, toujours ouverte malgré les plaintes réitérées en panneaux rageurs dans le vestibule, rien n’y fait, personne n’ose y porter la main, le dernier coup de coude pour abaisser le couvercle, et de là les odeurs sortent, montent le long des gouttières, il y fait presque chaud l’hiver dans ces odeurs lourdes, des phoques en plein air dorment dans les narines. On retient sa respiration, on la retient comme un sacre de la ville, un flot d’intimité vilaine et interdite, on remonte en courant, les marches grimpées par trois, la corvée joyeusement bâclée. Tout en haut, la mince préoccupation du retour au bercail : mettre la casserole d’eau à chauffer, faire le guet devant les bulles, soupirer comme l’eau soupire, y verser les méandres des pensées, paquet de pâtes pour la marmaille, le riz blanc, le thé noir, revenir à la charge comme les bulles tournoient légèrement, et c’est dans cet effort respiratoire les yeux commencent à savourer la pleine pause, petit ronron savoureux de l’eau contre l’aluminium, l’eau scintillant de lumière contre ses bords, le frémissement instruit l’oreille comme on rentre dans une exposition de musée très vaste et claire, sous une verrière les cuisses étalées des toiles dormantes, leurs palettes de couleurs qui reforment les entrailles du visiteur, lissent l’intérieur, l’y éclairent tout à fait, comme on voit à notre porte le grand bond d’un dauphin joyeux, comme si la vie pouvait bouillir, être simple et joyeuse, l’impossible des bulles et cet effort d’eau prise dans un syphon qui plaît et qui monte, qui bruit, gonfle de souvenirs, l’agitata des bulles, les pas précipités des gens qui courent dans le métro, courent après les pas le monde le pan le pouls du plein, danse damnée des foules et des couloirs, rames suffocantes, écharpes en soie, longs visages penchés, renversés, brûlants, poignée de foule jetée dans l’eau bouillante, la chair grisée de pouvoir, après tout, rentrer chez soi.