Au volant de ma voiture, à l’arrêt devant un feu rouge. Je ferme les yeux, le temps s’arrête. J’entends le projecteur super 8 se mettre en route, le cliquetis caractéristique prend son rythme de croisière. Rejoindre le vide. Le rien, le néant. Images obscures, noires. Beaucoup de nuages passent. Des idées en forme de photographies, de dessins, des couleurs, d’objets mêmes. Un stylo, un caramel, une échelle, un vélo. | La montée vers le sommet du col est difficile, éreintante, haletante. Il fait chaud, le cycliste transpire et sourit. Ses mollets sont tendus comme des cordes de guitare et luisent comme un poulet dans un four. Le vélo chancelle, hésite, joue l’équilibriste. Le replat du sommet est libératoire. Sans l’obstacle de la pente, le vélo avance tout seul, sans plus d’efforts. Le corps suffocant s’affale sur le guidon, le front posé sur la potence, quelques filets de baves perlent. Puis la tête se relève, visage hilare, un regard porté vers le ciel et un cri. Jusqu’aux nuages, jusqu’au ciel. | Décollage d’un parapente. Le moment où le pied quitte le sol avant que le corps ne s’installe dans le harnais, les mains en l’air agrippant les suspentes, est une promesse. Comparable à l’instant où l’on s’endort ou quand on étanche sa soif avec un grand verre d’eau fraîche. D’un seul coup, c’est l’invisible qui commande. L’air joue avec la voile au gré des courants, de ses envies, de son humeur. Les montagnes alentours virevoltent, le vent d’été remontant la vallée apporte des bouffées de chaleur. Juste en-dessous, un troupeau de moutons s’agite libérant une bulle d’air chaud qui propulse le parapente. Voler et s’envoler, se libérer. Icare, l’appel du haut est irrésistible. Quitter le monde d’en-bas. | Engoncé dans sa combinaison, le cosmonaute semble figé dans l’espace. L’immobilité universelle. Même ses gestes s’inscrivent dans l’immobilité. Ses pensées, ses désirs. De temps à autre, le sifflement de son propulseur le réveille, le ramène à sa réalité d’humain. Un fil, minuscule dans cette immensité, le relie à la station spatiale. Le seul lien qu’il possède, à cet instant, avec cette grosse boule bleue qui lui fait face. Elle lui est étrangère. Lui, il est le vide, le tout. Couper le cordon, ne plus être humain, être l’au-delà. Flotter dans l’errance. Être tenté de partir. Flotter dans l’errance contrôlée. | Au fond de la mer règne une musique sans notes. Le rythme, c’est celui des expirations du plongeur et la libération d’énormes bulles depuis son détendeur. C’est aussi le ressac qui le fait danser avec les algues entre les rochers. La symphonie silencieuse, c’est un banc de poissons-perroquets qui surgit d’un récif de corail, c’est un requin-moine qui dort sur le sable comme un chien ferait la sieste, c’est un poisson-coffre jaune qui nage à reculons, c’est un ballet de crevettes tachetées qui narguent un crabe araignée. | Une araignée descend sur son fil depuis la branche de l’arbre pour se poser sur le front de l’homme endormi. Il ne se réveille pas. Un papillon bleu s’approche, quelques fourmis sortent de leur trou dans le sable, un bourdon se pose au coeur d’une fleur rose. L’homme rêve de la ville. Vu de loin, le flot de voitures ressemble à un serpent qui cherche son chemin entre des rochers-immeubles. La caméra remonte ce long corps recouvert d’étranges écailles multicolores. Zoom, derrière les vitres des voitures se devinent des visages humains, impassibles, immobiles. | J’ouvre les yeux et le feu est toujours rouge. Le temps se remet en route. J’ai vécu une heure en un instant, je l’ai volée au temps. Ne dites rien, il ne s’en est pas aperçu.
JLuc, ma lecture est gênée par le feu rouge. Un automobiliste ne peut rester une heure au feu rouge sans que klaxons, cris, insultes ne viennent troubler sa rêverie ! Sinon l’espace remplit bien son heure de rêve et l’on se met à voler. Merci
L’idée, c’est une heure volée au temps. Comme si le temps s’était arrêté, comme si le narrateur avait vécu une heure en un instant qui ne dépasse pas l’attente à un feu rouge. Mais ta réflexion me montre que je n’ai pas été assez explicite. Merci, en tous les cas, de ta lecture et de ta réaction. Je vais me pencher sur une correction.
Voilà, j’ai modifié l’une des dernières phrases : « J’ai vécu une heure en un instant, je l’ai volée au temps. » En espérant que ça fonctionne.
ou alors c’est qu’on est en plein rêve
on décolle avec une voile qui se gonfle et entraîne « au gré des courants »…
c’est vrai que ça pourrait mieux fonctionner sur une minute (et c’est peut être bien le type d’exercice qui pourrait nous être proposé bientôt ?! à suivre)
Je ne sais pas, je voulais que le vol de cette heure place le lecteur hors du temps. Ça n’a pas l’air de fonctionner.
Tout le texte est comme un rêve éveillé, les images sont foisonnantes.
j’aime : « d’un seul coup c’est l’invisible qui commande »
cela induit tout le texte
Merci Huguette. C’est ça, un rêve éveillé. Merci pour ta lecture.