Lissieu fait partie de ces communes qu’une autoroute a coupées en deux. C’était il y a longtemps, cinquante ans au moins, et puis c’était l’autoroute du soleil et le bruit on s’y était habitué. Aujourd’hui Lissieu se bétonne, Lissieu est livré à une intense passion édificatrice, comme une fièvre nouvelle, aujourd’hui Lissieu se constructionne.
Vous entendez le tut,tut, tut des engins qui reculent ? Le chuchotis du sable que la benne déverse ou celui plus intense des graviers qui tombent ou le grondement des galets ? La terre qu’on charge, décharge, qu’on emmène, qu’on transporte, emporte et rapporte. Vous entendez le bruit de la pelleteuse qui creuse, le godet qui cogne, qui pivote et déverse son chargement dans la benne ? Entendez-vous la bétonnière qui tourne avec son poids de sable et de ciment ? Le camion-toupie qui malaxe en continu, mélange (doux murmure), monte sur ses verrins, déploie sa goulotte et crache la future dalle de béton ? Et le bruit des grilles métalliques transportées, déchargées, déposées qui dormiront pour l’avenir dans les dalles. Entendez-vous les travailleurs qui s’appellent, rectifient la position, indiquent où et quand doit s’épandre le produit, se poser la grille ? Entendez-vous les échafaudages qu’on monte le long des façades, la souffleuse qui projette l’enduit et les sons plus doux des palettes, raclettes, balais qui étalent le produit ? Il faudrait des mots pour dire tous ces engins et leurs cris. On apprend que la poule caquette, le chien aboie, l’âne braie, l’éléphant barit, mais on n’a pas de mots pour dire celui de la grue qu’on installe, des poulies qui fonctionnent, des charges qui montent et descendent, le bruit de mâchoires de la grue de déchargement qui s’ouvrent et se ferment, celui de l’enrobé qu’on déverse du camion pour combler les trous de la route, des palettes qui répartissent le produit, des balais qui nettoient, de la dameuse et du rouleau qui entrent en action… et toujours les éclats de voix des travailleurs dont vous ne savez pas s’il s’agit d’indications , d’ordres, de blagues ou d’engueulades sur la marche à suivre et toujours le tut, tut, tut du camion qui recule, le tut, tut ,tut entêtant du camion qui recule
Lissieu se bâtit, Lissieu se transforme, Lissieu se contorsionne, Lissieu vit un printemps bruyant. Écoutez les bruits des chantiers de Lissieu, ça change du bruit des tailleuses de haie, tronçonneuses et autres tondeuses à gazon. Bientôt il n’y aura plus d’herbe à couper ni d’arbres à tailler. Et le souffle étouffé des sécateurs pneumatiques dans les vergers ne sera plus qu’un souvenir. L’autoroute continuera à nous bercer de son bruit de fond qu’on percevra plus ou moins au gré des vents.
codicille : En m'essayant à la littératube, j'avais rencontré cette histoire de bruits et déjà écrit ce texte. Il me semblait que comme le ralenti qui nous emporte ailleurs comme délivré des catégories habituelles de la perception , seule la vidéo rendait correctement ce monde de bruits dans lequel nous vivons, mais que les mots peinent à faire entendre. J'avais fait une vidéo pour mon texte que vous pouvez voir ici https://www.youtube.com/watch?v=wQoX9AVvnL0