Dans la quiétude d’une belle soirée printanière, une matinée, une nuit, assis sur un banc, un fauteuil, un strapontin, les yeux à la lecture et la tête dans les étoiles. Respirez. Quelques grandes bouffées d’air frais, chaud, pur, vicié. Les pieds ancrés dans le sol, le sommet du crâne relié par un fil invisible à l’espace, au cosmos, au plus haut. Remplissez-vous d’air, faites-le circuler. Laissez-le vous envahir et vous apporter des nouvelles du monde à chaque inspiration. Laissez-le emporter avec lui votre part la plus secrète à chaque expiration. Fermez les yeux et imaginez.
Vous êtes assis au centre de l’endroit le plus bruyant de la planète. Dans un tunnel au passage d’un train, sur un pont d’autoroute, au milieu de la salle des machines d’un paquebot filant à plein régime, devant une enceinte lors d’un concert de métal, au coeur d’une chute d’eau vertigineuse, au centre d’un volcan en éruption. (Vous êtes le sang qui s’écoule de votre oreille.) Lentement, sans brusquer vos gestes, échappez-vous sur la pointe des pieds. Puis, retournez-vous subitement et capturez l’instant. Tenez-le fermement dans vos mains pour ne pas qu’il s’échappe. Puis rasseyez-vous, reprenez votre respiration. Gardez l’instant quelques minutes dans le creux de vos mains et, une fois apprivoisé, posez-le doucement sur vos genoux. Regardez-le, observez-le. Cette fraction de temps faite de douleurs et de chaos ressemble à un oignon. Il est inoffensif, il n’est que du temps, quelques secondes, minutes tout au plus. Il est encore chaud.
La première couche qui le recouvre est épaisse, son contact est rugueux et douloureux. Elle est le bruit insupportable, celui qui recouvre tous les autres, celui qui règne en despote. (Il est le sang qui coule de vos oreilles.) Avec vos doigts, vos ongles s’il le faut, enlevez délicatement cette coque et séparez-la du coeur. L’oignon parait plus petit mais bien plus délicat aussi. La pelure que vous sentez sous vos doigts est plus douce. Vous y entendez les rires d’un enfant dans un wagon du train, la musique qui s’échappe de la radio d’une voiture, le cliquetis d’une bielle en mouvement, le battement de pied d’un guitariste en plein solo. Vous y entendez les bruits d’une nature qui chante son innocence. Avec soin et attention, enlevez également cette pelure plus délicate. Puis celle du dessous, encore plus fine. Encore une, la peau est translucide et paraît si fragile.
A vos oreilles, résonnent de douces mélodies. Les soupirs de deux amoureux assis côte à côte en deuxième classe, le souffle d’un bébé qui dort dans la nacelle installée sur les sièges arrières de l’auto, le frôlement de l’eau sur la tôle du navire, le cliquetis du médiator sur les cordes de la guitare. Le clapotis des vagues sur le lac, le grincement des pierres de lave qui fondent au coeur du cratère. (Vous êtes le chuchotement qui guérit vos oreilles.) Puis, vous entendez quelques froissements, un tintement, un pétillement. Un coeur qui bat. Le coeur de la vie bat son rythme immuable et fait danser les soleils, les astres, les nuages, jusqu’à ce grain de poussière qui est au creux de vos mains. Vous ne le voyez pas s’envoler, vous ne l’entendez pas se poser sur le sol.
Vous n’entendez pas le silence de son essence. Vous n’entendez pas le calme de son chant. Vous n’entendez pas non plus la fureur de son cri. Vous n’entendez pas l’explosion assourdissante de la sève qui remonte dans les veines de l’arbre, la déflagration de l’abeille qui se pose sur une fleur d’oranger, le coup de tonnerre de la brindille qui cède sous le poids de l’oisillon dans le nid. Vous n’entendez pas le bruit absolu. Le bruit de tous les bruits.
Alors, vous refermez vos mains l’une dans l’autre et vous vous mettez à rêver.
Merci, pour ce texte qui commence par évoquer le bruit, d’une façon presque mystique, qui après, nous dévoile couche après couche tous les bruits du monde.
« Gardez l’instant quelques minutes dans le creux de vos mains et, une fois apprivoisé, posez-le doucement sur vos genoux. Regardez-le, observez-le. Cette fraction de temps faite de douleurs et de chaos ressemble à un oignon. Il est inoffensif, il n’est que du temps, quelques secondes, minutes tout au plus. Il est encore chaud »
Ce paragraphe a été écrite par un moine un chaman, un druide, ou un bonze?
J’ai voulu passer pour (au choix). Juste. Merci de ta visite, Laurent.
oh oui, je veux bien rêver…
en arrière du cœur qui bat (le vôtre sans doute…)
Merci Françoise. Se mettre à rêver ? Pourquoi s’arrêter, plutôt ?