l’homme survivant se tient proche de l’oiseau Kaja | Kaja plumage crissant et noir | Kaja lancé vers le ciel immense criant à la façon des créatures de son espèce | liberté | et cette impulsion à voler jusqu’au débarcadère de l’autre côté des remparts puis revenir en dessinant une large boucle au-dessus des taillis de Sisenthal | l’homme survivant devient Kaja | l’homme survivant s’arrime à son corps noir | secondes extirpées du temps ordinaire après le décollage | l’air | sensation de l’air | s’appuyer sur l’air | découvrir à plein la sensation particulière d’être suspendu très haut au-dessus de la terre | résister au vertige qui se dessine alors que le temps s’est effondré dans cette vision panoramique du monde transfiguré par le truchement du corps d’oiseau | plus rien de contraint : souffle aux tempes, rumeurs amplifiées en provenance des canopées, régions rocheuses presque scintillantes, zones enneigées, zones buissonnantes vaguement ambrées habitées de lueurs | vibrations dans ce rêve de voler émanant du cerveau jusque sous les paupières, vibrations puissantes | surtout ne pas revenir à soi | prolonger | prolonger encore | prolonger le vent contre le cou contre le ventre | l’homme survivant devient Kaja | plus tard il ouvrira les yeux pour reconnaître le battement des bras ailés et la silhouette trapue posée sur l’accoudoir de son chariot d’infirme | mais là maintenant il est dans le corps de Kaja, il devient Kaja, il tend la main pour caresser ses plumes comme une crinière | l’homme survivant n’est plus seul | sa faille dans le cœur, apaisement et oubli des blessures | l’homme survivant se laisse habité par cette brève expérience qui sublime sa vie immobile, voit loin, au-delà des méandres du fleuve | voit à l’intérieur de lui | et rien de plus admirable que ce ciel plombé recouvrant la terre avec lambeaux de brume enveloppant les bois mauves de Sisenthal
J'ai emprunté cette proposition pour travailler un extrait de mon chantier en cours autour des hommes du Nord. Eu envie de retrouver Waralin dans l'expérience transcendantale du vol... ce rêve...
Très beau Françoise….émouvant…
par quoi, par quels mots, par quelle forme se transmet l’émotion ?
ton retour de lecture m’aide à prendre conscience de mon personnage qui à ce stade de la partie ne peut plus se déplacer et contemple le paysage depuis son chariot d’handicapé
merci Sandrine pour cela
Tel un vol chamanique au-dessus du fauteuil roulant…j’aime beaucoup la dynamique du texte et sa scansion (tu sais pourquoi)…
oui Bruno, ces échanges si précieux de sensations, de perceptions autour de nos écritures…
merci d’avoir volé avec Waralin et Kaja
Ce beau texte me fait penser à Castaneda.
Ce vol de l’aigle kaja, ces vibrations partagées avec Waralin construisent un univers de champs d’énergie et de lumière.
mais pourrait on écrire tout un roman sur ce mode ?…
je pense peut être pouvoir insérer des pages telles que celle-ci comme une « illustration », un ajout, une proposition hors champ du récit lui-même
merci H. pour ton passage dans mon ciel
l’infinie lenteur puisque le désir ne cesse, infini rêve planant du rêve
passionnante cette proposition autour de la lenteur, mais y parvient-on vraiment ?
le vol, cette suspension, peut nous donner cette impression de détachement de toute chose et d’éternité