Il… faut… arriver… au bout… de là… au bout du bout… C’est ce qu’elle ne cessera de se dire tout du long. Elle marche dans une crucifixion jusqu’à atteindre l’autre rive, l’autre bord, comme d’un fleuve, avec des alligators aux dents aiguisés, des moteurs grondant rutilants qui n’en ont rien à faire de cette enfant qui marche comme un vieillard, à pas serrés, un pas après l’autre, elle vise la rive où elle sera sauvée oui, mais ça n’avance pas, avenue du Prince aimant, elle craint la paralysie, il faut marcher, marcher encore, elle n’en est qu’au tiers de ce passage piéton-qui-ne peut-pas-avancer -ça n’est pas prévu- ce passage somme toute large mais qu’elle doit achever/parcourir, absolument, sous peine d’être avalée, écrasée, effacée de la surface du monde, enfoncée sous le bitume, elle entend l’aspiration la succion. sous les voitures dans un bruit de ferraille et de succion. Elle se dit Qui sait si je ne serai pas vieillarde quand j’approcherai de la fin de ce chemin de croix chaussée passage clouté zébré disque rayé d’où je ne parviens pas à bouger. Plus je bouge moins je bouge. Succion et aspiration dans le bitume. Cette voiture rouge qui rigole, elle est toujours à peine dépassée, mais la suivante côte côte apparaît à peine or le temps marche plus vite, le cliquetis du feu audible, et la voix automatique se fait entendre, comme celle des ascenseurs -pauvre femme condamnée à prononcer ce genre de phrases : «La porte est ouverte», ici, «Le feu passe au vert dans un instant», elle sait ce qui la rive sur place, ce qui l’encre à jamais peut-être, ce qui renâcle, qui se fait prier se raidit, l’empêche de se pousser vraiment en avant, et d’en finir avec cette peine. C’est vrai que c’est de sa faute. Elle sait, elle promet intérieurement de ne plus jamais se mettre dans cette situation et supplie ses jambes d’articuler un pas après l’autre, d’enchaîner jusqu’au trottoir, un marionnettiste à qui la marionnette n’obéit plus, voilà ce qu’elle a failli devenir quand elle se hisse sur le refuge
… une bien longue traversée ! trop vaste, la chaussée et trop lourd le temps à porter – de la marionnette ou du marionnettiste, qui veut, ne veut pas, peut, ne peut pas obtenir de l’autre ce qu’il attend pour que le temps reprenne ? Merci pour ce texte..
Magnifique. Je m’étrangle de ne pas savoir dire plus et mieux en réponse à ce texte
Merci de vos appréciations ! -Je n’étais pas sûre de moi, là, ayant en tête « Tous ceux qui tombent », mais l’orientation, au final, est différente-. Je suis heureuse que cela vous ait fait écho.