Je veux saisir Marcel à cet instant précis où il pousse la porte du bar La Perruche de Villeneuve-les-Coquettes. Marcel qui se questionne. Qu’est-ce donc que ce nom-là, le bar LA Perruche. Ça vole groupé les perruches. Le barman dit c’est à cause du port, de la base de loisirs, La Perruche, un tour du monde et le détroit de Gibraltar. Marcel assis, les tabourets surélevés, les coussins rembourrés recouverts de skai noir. Des perruches, il y en a partout. C’est vrai, c’est fluo. Je veux saisir Marcel qui ne comprend pas bien mais ne pose pas de question. Jean-François de la Perruche. Le nom vient de là. Capitaine de vaisseau. Et comme à côté il y a la base de loisirs. Le port aux truies bleues. De Villeneuve-les-coquettes.
Je veux saisir Marcel à cet instant précis où il pousse la porte du bar La Perruche de Villeneuve-les-Coquettes. Un matin cette fois-là, très tôt, le premier client. Il fait nuit encore. La gare éclairée fort comme un stade de foot. Les trains qui frottent contre les rails. A cette heure les wagons fermés, couleur rouille, les trains de marchandises. A travers la baie vitrée, le tunnel de dessous la gare, qui mène à dessus le quai. Les gars en gilet jaune qui refont le bitume. Le beau bitume chaud, luisant comme de la réglisse et l’odeur jusqu’ici, du graillon de pétrole qui fond dans le café, qui fume juste là sur le comptoir, le comptoir du bar La Perruche de Villeneuve-les-Coquettes.
Je veux saisir Marcel à cet instant précis où il pousse la porte du bar La Perruche de Villeneuve-les-Coquettes. Le chat qui se frotte aux jambes. La fin du match et les gars qui ont ri, contents d’avoir gagné et offert la tournée. La nuit est bonne. La vapeur se condense et l’eau dégouline contre la baie vitrée. La lumière est jaune à l’intérieur. L’éclat de la tireuse est chaud comme un grog. Il pleut dehors. Ça s’entend quand la porte s’ouvre puis se referme, quand un client entre ou sort, un habitant du quartier Saint-Just ou Port au truies, quartier Sud et Sud-Ouest de Villeneuve-les-Coquettes.
Je veux saisir Marcel à cet instant précis où il pousse la porte du bar La Perruche de Villeneuve-les-Coquettes. Que la peinture du garage est repeinte désormais. Que c’est rouge incarnat. Que c’est pas donné. Que ça brille comme neuf. Que la peinture ça sent bon. Que ça brille autant que la carrosserie de la voiture. Que les enjoliveurs aussi ça brille. Qu’on pourrait faire du feu si le soleil frappait contre les enjoliveurs, comme à travers une loupe. Qu’il faut éviter quand même, le feu dans le garage. Que cette peinture est belle et douce, lisse, brillante comme le pelage d’une panthère. Que c’est un peu tard c’est vrai. Qu’il va faire la fermeture. Qu’il n’y a pas grand monde. Qu’il n’y a plus grand monde. Que la baie vitrée est encrassée. Il tourne la tête et au travers, il voit la voie ferrée et regarde passer les trains qui s’arrêtent, un sur trois, à la gare de Villeneuve-les-Coquettes.
Je veux saisir Marcel à cet instant précis où il pousse la porte du bar La Perruche de Villeneuve-les-Coquettes. Fin de journée mauvaise journée, et dans l’air humide des odeurs d’un autre âge, et sur le comptoir, des traces et des coulures, comme des membres fantômes. Ça colle comme il y a vingt ans, ça colle comme le fond des bocaux en verre où s’agglutinent les bonbons moites, la gélatine luisante que traverse la lumière d’une ampoule jaune, résidus colorés translucides, comme des amibes. A ses pieds le cuir défoncé d’une paire de godasses, usées jusqu’à la corde, la même corde que… Marcel à son comptoir, allons bons, à Villeneuve-les-Coquettes.
… on le saisit comme il est, où il est, Marcel, jusqu’à cette corde – belle chute !
Merci Christiane, j’espère que l’on saisit aussi que c’est un peu une farce et un décor de carton pâte