le bras tendu d’un gradé désigne un mur blanc au soldat casqué qui entraîne un vieil homme en le tirant par le revers d’un veston | femmes assises en bas à gauche au pied du mur | la caméra suit le déplacement des deux hommes | le bras du gradé s’abaisse trois femmes au sol un enfant agenouillé de dos | apparaît face caméra un soldat en béret à l’arrière-plan entre les deux hommes | le soldat et son captif arrivent au mur | s’y détache un autre prisonnier face au mur les mains levées djellaba et veston noir turban blanc son ombre s’étend à quarante-cinq degrés cadran solaire immobile | le soldat son captif et le gradé marchent l’un à côté de l’autre alignés sur une droite dont le civil déjà assigné au mur est le point fixe le gradé à l’autre extrémité semble celui qui parcourt le plus d’espace | le gradé sort du champ et rompt l’illusion d’une parade militaire | sur le mur blanc grandit l’ombre fantastique du captif tête difforme main griffue | l’aberration visuelle s’évanouit quand le soldat pousse son prisonnier contre le mur le corps blanc recolle à son ombre noire le soldat lâche l’homme || la mère regarde hors champ à droite à ses pieds la petite fille fixe l’objectif la main droite à hauteur des yeux comme pour saluer le cameraman ou faire visière contre l’éblouissement | la mère revient dans l’axe de la caméra les yeux au sol les yeux de l’enfant ne dévient pas la caméra l’hypnotise | soudain son regard décroche se tourne vers la mère qui s’est elle aussi retournée chacune s’abîmant dans les yeux de l’autre || travelling rapide et flou à droite vers des ombres un couple vieille femme en djellaba qui discute avec un homme à son côté lève le bras attire l’attention d’un second couple une autre vieille femme accompagnée d’un garçonnet un timon de charrette inscrit sa diagonale sombre en bas à droite | un militaire en treillis et casque lourd entre dans le champ à gauche allure résolue les deux couples et le soldat semblent isolés conjonction de trajectoires particulières saisies par le cadre le soldat va passer et sortir du champ à droite figures captives et fugaces | il n’en est rien le soldat lève le bras et saisit le veston de l’homme au centre de l’image la caméra accompagne la saisie du veston et révèle que le timon est celui d’une citerne tractée | l’homme surpris se retourne vers l’inconnu lien physique qui réunit dominant et dominé le veston noir passé sur la djellaba résiste à la traction soustrayant le fils à sa famille la bascule entre deux mondes est soudaine elle capte le regard de la vieille femme au garçonnet elle rajuste son turban blanc au bras gauche un tout-petit au fond passe un half-track où pointe une mitrailleuse lourde un coup d’archet dramatique appuie soudain le geste prédateur du soldat qui tire plus violemment sur le veston déséquilibre le fellah pivote sur place et l’envoie contre le mur la grand-mère a détourné le regard l’homme se réceptionne gauchement sur le mur blanc et fixe la caméra le soldat crie contre lui le corps arqué les mains en serre de rapace au bout des bras tendus || trois paires de mains noueuses se détachent maintenant au-dessus des turbans et mur blancs plan taille sur leur obéissance aux ordres des militaires les têtes se tournent vers la scène de l’arrestation récente || bande-son dérangeante crépitement semblable à celui d’un compteur Geiger-Müller sur fond de note basse étirée au violon et coups d’archets || plan d’ensemble colonne de fellahs les mains sur la nuque remontant un chemin caillouteux flanquée d’un soldat casqué à droite d’un gradé en képi à gauche | plan poitrine sur un jeune garçon de la colonne portant veste sur djellaba turban les mains sur la tête puni comme écolier rebelle | il regarde de côté la caméra immobile qui suit l’avancée de la colonne | derrière l’enfant deux hommes encore l’un a les yeux au sol visage crispé engoncé dans sa veste trop grande son voisin épie de côté la caméra le pas de la marche fait onduler les corps comme une houle || gros plan de visage poupin regard fuyant prononce un mot ou deux dans le triangle formé par son bras et son avant-bras replié sur la nuque apparaît le visage goguenard d’un soldat heureux d’apparaître sur le film || travelling à droite gros plan sur le profil gauche d’un militaire en képi qui occupe la moitié droite de l’écran il ressemble vaguement à Saint-Exupéry | recul de la caméra sur le faux Saint-Ex qui regarde l’objectif de trois-quarts face sourit de toutes ses dents le jeune garçon au visage poupin est sombre défait vaincu l’œil soudain attiré par l’intrusion brève d’une baguette ou baïonnette dans son champ de vision on ne voit pas qui tient la pointe agressive si proche de l’œil || plan rapproché quelques soldats entourent un fellah au centre de l’image tous face caméra le fellah regarde fixement l’objectif et attend la suite des évènements les soldats sourient avec décontraction le bras d’un soldat debout disparaît derrière la tête du prisonnier | l’image blanchit surexposée redevient normale | le turban bouge tout seul il est en fait soulevé par le militaire jusqu’à dénuder un crâne rasé le turban devient corde de pendu suggérant la farce d’une pendaison | un soldat en képi entre dans le champ par la droite simulant une garde de boxe vers le fellah qui a dû réagir à un ordre | il lève ses poignets entravés de menottes les mains ouvertes paumes cachant visage il lève encore plus haut et redécouvre son visage digne inaltéré || gros plan sur les yeux clos et les lèvres entrouvertes d’affliction de colère rentrée | deux mains surgissent de derrière pour saisir la tête du prisonnier imprimer des plis de contrainte sur sa tempe l’homme garde les yeux mi-clos et les lèvres entrouvertes il a fixé sur la caméra son regard malgré le mouvement violent imprimé par les mains étrangères il veut regarder l’objectif témoin de son humiliation et poursuit sa résistance | les mains desserrent leur étau quittent les tempes | une claque vole sur le haut du crâne | une main furtive entre et sort du champ faisant cligner le fellah des yeux | derrière lui un militaire pose durement sa main sur la tête rasée et la tire à lui obligeant le prisonnier à accompagner la bascule de ce geste millénaire l’exhibition du réprouvé du trophée dont on s’amuse de l’homme chosifié par l’entrave et la vexation qui ne cesse pas de fixer l’objectif
Retour au chantier ! Passe comme au ralenti la minute de ceux qui souffrent.
la persistance du titre miroir dans le regard de l’enfant adossé(e) au mur. La tension ( millénaire ) de cette minute en éclats… sa violence n’a pas de fin (Je n’ai pas encore lui Algésie)…merci Bruno
sans doute que tout est déjà contenu dans les regards des mère et fille l’une sur l’autre, des grand-mère et garçonnet
mais que d’images dans cette minute interminable d’où émane beaucoup de souffrance…
Quelle précision ! Dire la barbarie d’un côté, l’humiliation, la fierté de l’autre. Résister.