Une sonnerie retentit, en dehors des quatre murs, la porte s’ouvre, en un souffle, des bruits de pas, de bouche, de vestes qui frottent le mur, deux trois personnes entrent d’abord, les lumières s’allument, elles se dirigent vers des tables, marron et vertes, qui étaient jusque là vides, la plupart des chaises sont rentrées sous des tables, d’autres sont de biais, occupent l’espace entre les rangées, ces premières personnes se dirigent vers les tables collées au mur, elles y vont mécaniquement, elles ont à peu près le même âge, une femme est entrée en même temps qu’elles, son corps occupe l’espace entre la porte et une table, dos à un tableau, sur laquelle elle a jeté négligemment un sac et posé délicatement son téléphone et une tasse qui fume, elle hoche la tête ou sourit glissant un bonjour aux autres personnes qui entrent, il y en a eu 4 ou 5, puis d’un coup une quinzaine, derrière d’autres trainent la patte, la femme a quelques années de plus que les jeunes filles et jeunes garçons, certains parmi eux ne savent pas où s’asseoir, il y a un brouhaha, des bruts diffus et des voix qui s’élèvent plus que d’autres, la dame, qui a rejoint sa table seule, demande le silence, elle interpelle plusieurs d’entre eux, elle leur demande de rester debout, certains sont avachis sur leur table, d’autres s’appuient à leurs chaises, elle quitte sa table, marche un peu dans les rangs, demande qu’on arrête de mâcher, qu’on se tienne droit, elle dit « allez on avale les chewing-gums et la langue », ça semble l’amuser, elle rappelle plusieurs fois qu’ils sont en cours, elle cherche à s’en convaincre elle-même, asseyez-vous maintenant, des bruits de chaises qui se tirent des manteaux qui s’ouvrent des rires qui s’étouffent dans des écharpes des regards encore pleins des brumes du sommeil, on va reprendre là où on était la dernière fois, qui peut nous le rappeler, elle dit cela, depuis le tableau, elle est debout et a un feutre en main, madame, j’ai pas mon cahier, pfff moi ça m’intéresse pas, j’ai rien madame, deux d’entre eux s’échangent des regards, on pouffe, des mains se lèvent, une fille, coupe carrée, allure nonchalante, elle lit les lignes de son cahier « le portrait de la Princesse de Clèves nous donne à voir une personne extraordinaire », ok nous reprendrons d’ici, aujourd’hui, on part du portrait, qu’est-ce qu’un portrait, c’est la question du jour, ça va pour tout le monde, elle regarde l’un des élèves, celui qui parle le plus, puis lui lève la main, elle lui donne la permission de parler, il demande à sortir, elle demande à un autre de l’accompagner, leurs regards se croisent, ils sortent, ils sont dans le couloir, il lui dit attends un peu ici puis tu rentres et tu lui dis que tu m’as laissé avec un surveillant, l’autre acquiesce s’adosse au mur et sort son téléphone portable, il y a peu de lumière dans le couloir, son écran illumine ses traits, il ne regarde pas l’autre garçon qui avance, s’enfonce dans le couloir, doucement, prend la dernière porte au fond du couloir, il monte un étage et s’engouffre dans une autre porte, des toilettes aux couleurs un peu nauséeuses, il s’assoit sur la cuvette, tout habillé, sa respiration est de plus en plus courte, il sort un objet, la lumière s’y reflète, il commence à inciser, des marques existent déjà sur ses bras, rougies, il continue, quelques gouttes, de la sueur perle à son front, elle ne semble pas le gêner, sa respiration se calme un peu, il appuie sa tête contre la paroi, il trempe son index dans sa plaie, il pose une marque sur le mur, une empreinte, il y a une rangée d’empreintes, des sillons creusés dans ce mur aveugle, des marques comme les cernes d’un tronc, il reste assis, il est perché sur la cuvette, et essaye d’attraper un bout de papier toilettes, le distributeur est vide, il remonte son pull et essuie sa main sur son t-shirt, noir, il lèche la plaie, la renifle, repose sa tête contre le mur, il sort ses écouteurs, la musique semble apaiser ses traits, le temps est long, il somnole, ses cils se rejoignent, il reste plusieurs minutes, il n’y a plus de bruit, sa respiration est régulière, d’un coup une sonnerie, stridente, l’arrache de son sommeil, il ouvre la porte, surgit devant le lavabo, il manque de se le prendre, il prend la porte, court, se précipite dans les escaliers, des groupes de personnes ont envahi le couloir tout à l’heure vide, il court, dépasse plusieurs portes et arrive enfin là où il avait laissé ses affaires, il rentre, elle est toujours là, son bureau est entouré de plusieurs adolescents, elle répond à des questions, est interpelée de tous les côtés, elle le voit en essayant de se hisser par-dessus les têtes des autres qui lui parlent tous en même temps, fait porter sa voix au-dessus du brouhaha qui l’entoure, je n’ai pas de mot du surveillant, tu as vu l’infirmière, ce n’est pas la première fois que tu disparais pendant une heure, je dois en parler à la responsable, il va vers la table où il était assis, récupère ses affaires, la regarde et lui dit que l’infirmière était trop occupée, elle essaye de capter son regard, de l’interroger de ses yeux, mais il y a un mur entre eux, il y a les autres adolescents qui l’entourent, il y a lui qui fuit, merci madame, on doit aller en maths maintenant, bonne journée, wesh madame c’était bien, ils sortent tous ensemble de la salle, lui en marge du groupe, elle prend sa tasse de café, toujours pleine, en boit une gorgée, surement froide, elle grimace.
Codicille : J’ai lu Marge Brute de Quinteau y a quelques années, et j’avais adoré le fait de resserrer tout le récit à travers les voix des agents d’une multinationale, faire résonner l’intime et la violence de l’entreprise et des rapports sociaux, et j’ai tout de suite eu envie de faire la même avec une heure de cours enfin 55 minutes d’ébullition, dans la tête d’un prof. J’ai fait un peu dans ce texte-là, et dans celui-ci, j’ai voulu suivre un peu un élève. C’est encore très difficile pour moi d’écrire sur ce sujet, même si je me force à le faire. Ce fut très pénible de me forcer à réécrire une heure de cours. J’ai essayé.
Ici donc, 55 minutes + plusieurs autres minutes pour tenir à la consigne des 60 : de toute façon, on sait tous qu’une heure de cours dure toujours plus qu’une heure.
j’ai bien reconnu l’ambiance scolaire, j’ai suivi l’élève avec intérêt et une certaine angoisse
difficile certainement mais réussi.. et je l’aime cette femme et ce qu’elle porte outre le désir (je pense) d’enseigner