vers un écrire-film #01 | une heure de ta vie

Les portes du bus s’ouvrent. Apparait derrière une vitre de protection le chauffeur. Il penche la tête à regarder qui entre. Passent des têtes. Peu de monde dans le bus, des places assises restent. Un peu froid ou gris. Deux copains entrants hésitent depuis le couloir, s’ils s’assoient sur les sièges de droite ou de gauche. Une dame, déjà assise, les regarde. Elle a un masque, ne dépassent que les yeux. Vivement elle ne s’y intéresse plus et tourne sa tête à travers la vitre couverte de buée. Elle a un pantalon seyant, ses cheveux, ceux qui sortent d’un foulard, sont beaux, son manteau un peu négligé. La file de gens s’éparpille aux places disponibles. Le bus ferme ses portes. Il démarre. Les deux copains prennent vite une place. Un cahot bouscule l’un d’eux. À travers les vitres un petit bois vite remplacé par des immeubles, un trottoir encombré de poubelles, des garages et des rues adjacentes. Des murs cachent des jardins. Un coup de frein, un autre arrêt. Les portes du bus s’ouvrent. Apparait derrière la vitre de protection le chauffeur. Il regarde dans une autre direction. Il a l’air un peu vague. Sans y penser il referme les portes et redémarre. Un croisement, un feu rouge. Un autre arrêt, un autre arrêt, un autre arrêt. Entre une place avec des rails de tram qui dessinent des cercles, une gare routière avec la moitié des panneaux indicateurs cassés, plus loin des parkings et une zone commerciale d’un style aire d’autoroute de village vacance. Des mendiants se tiennent à l’entrée du tabac-journaux, des gens font la queue devant la pharmacie. Arrive un tram. Il ressemble à une Caravelle sans hotesse de l’air. Vitres spacieuses malheureusement bouchées par les réclames qui couvrent tout. Intérieur design. Des gens. Immeubles de plus en plus hauts. Belle perspective dans le sens de la marche, plus troublée sur les cotés. Tantôt des trous de travaux qu’entourent quelques maisons détruites, tantôt de beaux batiments de banques, des stations services transformées en boulangeries, d’espaces formes. Conduite assez douce, mais le chauffeur, la chauffeure, demeure invisible. Un rayon de Soleil éclaire. Bas sur l’horizon, vite caché par des reliefs de ville à mesure du parcours, il envoie des éclats sur un passager, qui pourrait se croire désigné par le Ciel. À cause de Lui ce passager n’arrive plus à voir l’écran de son portable. Un arrêt sans arrêt. Les gens se regardent. Un arrêt en rase campagne à la ville. Sans arrêt, sans quai pour descendre, sans que les portes s’ouvrent. Les gens se regardent encore, sur certains visages une inquiétude de ne pas comprendre, de prendre un retard. Le temps s’allonge, mais l’habitacle ne s’ouvre pas. Une sédimentation. Le taux de personnes hypnotisées par leur écran diminue, à 80 %. Cela redémarre. Aussitot le taux repasse à 98 %. C’était un feu rouge un peu long, peut-être. Un arrêt. Un vrai. Une bousculade à l’entrée. Des ombres montent et descendent. Le sol devient goudron. Quelques mégots, papiers, flaques. Un pigeon s’invite. Derrière des magasins. De l’autre coté, un parc. Au milieu le tram s’éloigne laissant le quai vide. Un carrefour le fait traverser une rocade accompagnée d’un viaduc pour les trains. Au feu vert les voitures ronflent et s’envolent. Passage piéton, trottoir, passage piéton, trottoir, passage piéton. Sous une arcade du viaduc, rien. Arcade suivante, une voiture garée. Une rue passe à travers l’arcade suivante. Arcade suivante. Arcade suivante, un matelas d’un sans domicile qui dort là. Le viaduc est son abri. À coté une tente igloo. Dans cette tente, des couvertures horribles en désordre, que la tente tante de vomir par sa bouche ouverte. Quelques duvets de nuit étalés dans de la pisse. Une passante, sans regarder, comme tous les passants. Une autre jette un œil, en habituée. Sous l’arcade un passant entre.

– vous regardez la misère moi quand je vois ça je m’imagine des trucs qui vit donc là je n’ai jamais vu personne je vois des traces là un petit verre là une bouteille d’eau là-bas quelques paquets de gateaux vides j’imagine que je rentre sous ces couvertures dans le vent le froid l’humidité telle est ma peau. SACHEZ QUE J’AI FAIT LA PRISON J’AI VÉCU DANS LE TROU MAIS J’AI UNE FEMME DEUX EN VÉRITÉ ET J’AI DEUX ENFANTS DEUX FILLES QUI ME TIENNENT DEBOUT ALORS AYEZ CONFIANCE C’EST LA SEULE FAÇON DE S’EN SORTIR C’EST LES AMIS SOYONS EN CONFIANCE. Avez-vous une expérience du malheur avez-vous seulement un jour passé une nuit d’hiver dehors dans une ville personne ne vous aide vous êtes comme le pigeon que vous avez vu tout à l’heure car je sais que vous avez vu un pigeon tout à l’heure et c’était peut-être moi mais vous voyez on se connaît je sens que vous êtes un bon copain ah ah ah j’ai une idée passez-moi votre téléphone ce soir nous ferons une petite fête je vous invite je ne sais pas encore dans quelle maison mais je vous appelle vous ne serez pas déçu merci non, je ne vous donne pas mon téléphone pourquoi à quoi cela sert-il nous sommes amis attendez mon appel vous ne regretterez rien

Le pilier des arcades s’avance et cache l’arcade. S’évapore l’homme. L’air glisse vers la place. Un bateau traverse. Un autre bus attend. Son chauffeur est absent, c’est la pause du terminus. On peut quand même entrer. Un courant d’air. Il s’étale sans bruit, s’assoit partout, se tient à toutes les rampes. Une chienne entre, lentement, contemple un siège, avance, en contemple un autre, en choisit un autre. Entre d’autres. L’intérieur s’anime. Voilà 10 jeunes qui s’esclaffent. Le monde est à eux. Ils se dirigent vers les sièges arrières, ouvrent toutes les portes, dans la seconde voiture, posent leurs pieds partout. Bonjour, dit le chauffeur en entrant. Personne ne lui répond. Il installe d’abord sa veste sur le siège. Il cale son cul, respire un grand bol, contrôle ses manettes, fait le tour des rétroviseurs, ferme les portes, lance son chargement. Mais feu rouge tout de suite, faux départ. Un retardataire surgit dehors et demande à pouvoir entrer. Ok dit le chauffeur, il entre. Une femme arrive en courant avec trois momes et une poussette. Elle entre. Feu vert. Un cri, une femme derrière demande au chauffeur de l’attendre. Attend le chauffeur. Après le bus part enfin. Se glisse à la rocade. La route monte d’abord, redescend ensuite, donne une légère variation des sentiments. Passe sous une autre pont de train, suit un peu la voie de chemin de fer, oblique vers la droite, entre dans une zone d’activité, un stade, des bureaux de notaires, un théatre, des halles, des serveurs informatiques, un centre de quelque chose. Passe au dessus de l’autoroute, oblique à gauche. À un arrêt une autre maman, en couple avec son mome. Même si l’enfant est petit, ils ont tous les deux la meme taille, vu que la mère est accroupie, du dos appuyée sur la cloison de l’arret de bus, concentrée sur son portable. Elle est impassible. Toute de noir vêtue, ses cuisses galbées, ses seins pressés par ses jambes recroquevillées, sa chevelure ondulante, vive, forte. Affecte d’ignorer son enfant. Un garçon, sa tête amusante réagit à la moindre mouche. Il est sage, reste droit, debout, posé auprès de sa mère concentrée. L’enfant sautille autour de l’abri bus, revient vite. Il garde un regard toujours vers elle. Elle l’ignore, indifférente à tout. Il la regarde. Elle l’ignore. Il la regarde, il la regarde. De son sac elle sort un tube de compote sans quitter de vue son portable. Elle lui tend autoritairement, il l’attrape. Mais elle, elle ne lache pas le tube de compote. L’enfant le tient déjà, mais ne peut le prendre, regarde sa mère sans comprendre. Elle regarde indifférente son écran de portable et garde serré le tube de compote. Sa bouche reste silencieuse. L’enfant n’ose interroger sa mère immobile. Il cherche, parle. Sa mère lache. Son enfant a dit merci.

4 commentaires à propos de “vers un écrire-film #01 | une heure de ta vie”

    • Merci, mais je me demande si c’est une bonne idée de mettre comme titre le titre de l’atelier ?… Mais si tout le monde faisait comme moi, n’aurait-on pas toujours le même titre, semant la confusion ?…
      Mmmmm……

  1. vous vous le demandez vraiment ? la malice retrouvée…
    j’aime être derrière l’oeilleton du texte, j’aime aussi l »incise du paragraphe central (me tente d’imiter mais non… en resterai à trouver que c’est belle idée)