Il va sur le balcon. Les mains sur la rambarde, il se penche légèrement et regarde. La croix verte clignote et une pluie de couleurs s’affiche, se retire. Il prend son porte-monnaie posé sur la console de la petite entrée, il enfile son manteau décroché du mur. Il sort. Dehors l’air est vif car il relève son col, met les mains dans ses poches, il cligne des yeux car le soleil d’hiver, pâle, l’éblouit.
La pharmacie est toute en longueur. Il passe les linéaires de shampoings, de soins capillaires et se range derrière plusieurs clients éloignés les uns des autres d’un mètre. Des bandes au sol à intervalles réguliers Respectez la distance. Tous ces dos à doudoune ne disent rien, pas même l’impatience. La file se meut pourtant. C’est son tour. Est-il possible de passer un test ? Oui, dans 20 mn. Il va s’assoir d’un pas lent mais ferme sur une des chaises. Ses pieds sont chromés, son assise en skaï noir. Ses pieds à lui sont joints, tranquilles. Il balaie l’espace du regard.
Plein champ sur l’officine. Une signalétique qui court sur trois pans de murs : Beauté et cosmétiques/Minceur sport alimentation/Premiers soins/Bébé/Hygiène/Animaux/ Médicaments sans prescription. Face à lui, trois clientes de dos dont une avec poussette sans bébé visible. Elles sont devant trois comptoirs avec derrière elles, quatre pharmaciennes-troncs. Une, pas très jeune la cinquantaine, les trois autres, des sans rides mais sérieuses. Une qui apprend peut-être car elle a l’air concentrée sur ce que dit et montre sa collègue. Peu importe. Il attend. Un homme avec une valise veut aussi se faire tester avant de prendre son train. Oui. Dans 30 mn et 10 mn de plus pour le résultat. Il a le sourire aux lèvres, l’oeil vif, le mouvement rapide. Il détonne en ce lieu si blanc qu’il en devient artificiel.
C’est son tour. Il se dirige vers l’arrière-boutique. Changement de décor. Lieu exigu. Boîtes d’archives grisâtres d’un côté, de l’autre d’autres boîtes contenant des bas de contention, des attelles, des trucs du même genre. Docile, il se laisse faire. Puis repart s’assoir sur la même chaise. Il attend. Sur sa gauche, une petite table vert pomme avec un puzzle posé dessus et deux petites chaises autour. Pas d’enfants sages. Flash-back Les trois petits ours. En se contorsionnant, derrière lui à sa gauche, il avise les rangées de Vitamines Compléments alimentaires classés par ordre alphabétique. Des couleurs vives pour soigner les abcès dentaires, les acariens, l’acnée modérée, l’acuité visuelle nocturne, l’aérogastrie, l’agitation… En se contorsionnant, derrière lui à sa droite, des pilules pour soigner les chocs, le cholestérol, les cicatrices, la circulation artérielle, la circulation veineuse, la concentration, la constipation…Il s’arrête là. Ses mains jumelles se tiennent compagnie, l’une sur l’autre. Il a enlevé son manteau, l’a mis sur le dossier de la chaise qui est désormais sa chaise. Devant lui, une dame de grande taille avec de grands pieds. L’un a quitté le sol et se frotte sur l’arrière de l’autre. Ses bottes de cuir souple font des plis sur la jambe. Flash-back Sa sœur jeune fille encore fille met ses premiers collants qui tournicotent sur ses jambes encore gambettes. A quoi pense-t-il ? Le temps semble s’être arrêté. Image fixe. Ses mains à lui maintenant ont entrecroisé les doigts. Il relit mentalement les linéaires. Il dénoue ses doigts, il se tâte machinalement la joue, soulève sa manche, regarde son poignet et se rend compte qu’il n’a pas de montre. Rien ne presse. Il recroise ses doigts. Une blouse blanche guillerette fend l’espace, vient vers lui. Test négatif. Il remercie. Il se lève, remet son manteau. Sans relever son col, il rentre chez lui. De dos, il a plutôt l’air alerte avec sa silhouette droite, ses épaules déployées. Mais un peu plus tard, dans son entrée, son visage à découvert montre une lassitude, une pesanteur du temps qui a passé. Il enlève son manteau. Hors champ, soudain une voix T’es là ? C’est toi ?
super Louise ce moment d’époque, je me demande l’effet que cela nous fera quand tout ça sera fini, qu’on aura un peu oublié, j’aime beaucoup ce regard qui passe sur tous les médocs pour tromper l’ennui, le regard qui cherche un appui…
Oui, ça commence à faire bien long. Merci beaucoup pour votre lecture et son encouragement… Je me remets à l’atelier avec ce texte. Bonne journée à la dame qui a un corps à suivre.