L’ombre d’un corps sur le carrelage d’un mur, le rideau se ferme, des étoiles blanches sur le rideau, transparence et opacité à la fois, la main sous le pommeau, l’eau sur la main, de l’autre côté du rideau une buée envahit le miroir, contours flous du corps, blancheur, formes peut-être masculines, le mouvement de va-et-vient d’un linge gris, celui de la brosse à dents électrique, les doigts boutonnent la chemise, serrent la ceinture, attachent les lacets, cliquetis d’une clé, lumière qui s’éteint, escaliers, lumière qui s’allume dans la nuit, les phares d’une voiture, l’autoradio – quelque air classique, des violons – une ferme, une forêt au loin, un pont – la voiture passe sous le pont – Garage Rossy, concessionnaire Volkswagen, le clignotant de la voiture, une Polo blanche parquée devant la gare, les phares éteints, une portière claque, il est seul, debout sur le quai, une dame à cheveux noirs, un homme avec une valise à roulette, d’autres silhouettes, il n’a pas bougé, d’autres sont arrivés, la démarche claudicante d’un moustachu – ils se saluent – le train, des étincelles vertes au-dessus, des carrés de lumière avec dedans des gens masqués penchés sur des téléphones, la porte s’ouvre, il entre, ils entrent tous, il s’assied, ouvre un sac à dos noir, y prend un livre, un livre épais, L’ombre du vent de Carlos Ruiz Zafón, il n’en est qu’à la première page, il lit, le train roule, des silhouettes entrent, sortent, s’assoient, se lèvent, personne ne parle, on entend seulement le nom des arrêts – Grolley, Belfaux CFF, Givisiez, Fribourg gare terminus tout le monde descend, s’il vous plaît – à chaque fois il lève la tête, jette un regard sur ce qui est autour, la repenche vers le livre, les yeux vont et viennent, il reprend son bonnet sur le siège d’à côté, ferme le livre, le range dans le sac à dos, se lève, ils se lèvent tous, la femme de la banquette à côté, ses bas, ses jambes, le regard de l’homme s’attarde, elle tourne la tête, le regard de l’homme se détourne, il passe devant, il sort, ils sont tous sur le quai de la gare, descendent des escaliers, marchent vite, passent devant un étalage de croissants et de sandwichs, certains s’arrêtent, il passe tout droit, tourne, des bus à l’arrêt, des flots de passagers en descendent, il marche vite, traverse la route, des graffitis, il marche vite, il fait nuit, une porte de garage, il marche vite, croise une femme – bonjour – temps d’arrêt – bonjour – il marche vite, une grille, un chantier, des affiches – Non aux milliards du contribuable pour les millionnaires zurichois des médias – il s’arrête, porte sa main à sa tempe, repart, il marche vite, tourne, son reflet dans les grandes vitres, des tables derrière les vitres, sa tête tournée vers son reflet dans les vitres, la veste verte, le bonnet, la barbe, il marche moins vite, des escaliers, une rampe, un passage piétons, il marche vite, une balayeuse de la voirie, il fait un détour, il marche moins vite, il s’arrête, ouvre la porte, de la buée sur ses lunettes, il descend des escaliers, ouvre une porte, une autre porte, il n’y a pas de lumière, il agite le bras, il n’y a pas de lumière, il saute, agite les deux bras, il n’y a pas de lumière, il enlève sa veste, son bonnet, son écharpe, il n’y a pas de lumière, il tâtonne dans la nuit, ouvre la porte, il y a de la lumière, il descend des escaliers, ouvre une autre porte, il n’y a plus de photocopieuse.
En en heure je suis allé en suisse aller et retour. Merci pour ce voyage en train.
… et en voiture et à pieds, le voyage, heureux d’avoir permis ce voyage en Suisse.
J’ai d’abord pensé une heure sous la douche et puis non, en sortir et suivre cette marche forcée que rien n’arrête sauf le point final. A bien y réfléchir, nombreux sont les films dont la première image se passe dans une cabine de douche… Les mots coulent dans le texte comme l’eau en mouvement du fleuve.
Merci Cécile, j’aime cette idée de marche forcée que rien n’arrête.
très énigmatique au commencement et puis on s’installe dans le train, on lit L’ombre du vent, quelques pages, on lève la tête aussi pour voir si on est bientôt arrivé… et puis très belle accélération dans les dernières lignes
merci pour le voyage, cher Vincent (d’autant que je connais bien peu vos contrées…)
Merci pour la lecture, Françoise. Ni l’aspect énigmatique, ni l’accélation n’étaient voulues, mais peut-être que j’étais pressé d’arriver à la fin de cette heure.