C’est l’été, le milieu de la nuit. Pays de campagne à découvert. Lune basse à l’horizon de la plaine. Au carrefour de deux petites routes il y a des champs, au milieu une ferme. Tout est calme, silencieux, de ces silences d’avant tempête. L’air fixe, chaud, s’anime parfois d’un bruissement flou. C’est un été de canicule. La chaleur s’insinue partout. Elle entre dans les maisons, fouit les pierres sèches, elle envahit les chambres, les serrures. La chaleur tiédit l’eau des verres posés sur les chevets. Dans la ferme une famille endormie, un couple, deux petites filles. Tout le monde dort d’un sommeil sans rêve. Les corps en étoile, éviter les contacts, les peaux contre peaux. La chaleur tape malgré les murs épais, malgré les fenêtres ouvertes, les volets ouverts, les portes à l’intérieur ouvertes aussi. La chaleur enfle, elle se glisse derrière les rideaux, elle enveloppe les meubles, les corps endormis, elle creuse les plis des draps repoussés au pied des lits. La chaleur alourdit les cranes, fatigue les membres. Elle donne la fièvre. Rien ne bouge dans la ferme isolée, rien ne bouge au dehors. Pas un souffle de vent. Pas un nuage en formation. Pas une promesse d’orage. Le temps ralentit, à l’arrêt. Une porte claque — la femme se réveille en sursaut — elle écoute le silence. L’impression de silence. Il y a des sons graves comme des frôlements. Une présence feutrée, intermittente. Quelque chose est entré dans la maison — se déplace — un souffle chaud sature la chambre d’une peur nouvelle. La femme se redresse — ouvrir les yeux — dehors c’est la nuit avec vague clarté de lune. Elle entend la respiration régulière de l’homme qui dort profondément à ses côtés — ne pas bouger, penser à respirer. Les sons montent doucement — des glissements — des frottements, l’air parait pourtant tout à fait immobile. Il y a une odeur suave. Une odeur de fruits murs — de melons, de tomates cuites sur pieds. Dans l’obscurité guetter, scruter le silence tombal, convoquer la torpeur du paysage — la plaine, les meules craquantes, les routes sans arbres. Rétablir la géométrie de la chambre — l’embrasure des fenêtres, la commode, l’armoire, les tableaux, le jaune sur les murs, le rameau séché. L’air s’épaissit d’une présence ennemie, elle est peut-être dans la chambre voisine où dorment les petites — des images effrayantes surgissent, des images de films américains, de routes désertes de champs brûlés de tueurs en série. Ça monte — la rumeur insistante de la maison — une pendule, des rongeurs sous le toit — la rumeur fragile des champs, assourdie. Quelque chose dans la maison. Dans la chambre, l’ombre s’évanouit lentement sous la clarté de lune ascendante. Enfoncer ses ongles dans le bras de l’homme qui dort à côté — d’une voix blanche dire Il y a quelqu’un dans la maison, il y a quelqu’un qui marche dans la maison. L’homme entend l’urgence, la peur — un intrus dans la maison — il ne doute à aucun moment — il sort du lit — il est nu — il allume la lampe de chevet — il enfile un slip, une chemise — il commence une lente exploration. L’entendre marcher, qui appuie sur les interrupteurs, qui ferme les volets, ça efface la présence ennemie. Le grésillement d’un insecte sur l’ampoule fait sursauter la femme. L’homme revient, Il n’y a personne, les petites dorment, j’ai fermé les volets. Il se déshabille, se recouche, éteint la lampe. Sur le mur face au lit il y a une flaque de lumière molle projetée par la lune.
Ce matin éprouver la chaleur. Sa tension moite « La chaleur tiédit l’eau des verres posés sur les chevets. »
La châleur lie le dehors au dedans (ou c’est l’inverse ).
Images d’insomnie (« rétablir la géometrie de la chambre « ).
Ce matin froid, éprouver la chaleur merci Caroline
ça fait presque rêver la chaleur par ce grand froid, j’avais pas réalisé. Merci à toi.
J’aime le parallèle invasion de la chaleur/ intrusion sentie comme hostile ; c’est bien de ne pas avoir mis de mot sur la présence : un côté fantastique. Une coquille à l a5e ligne : « fouit » et non « fouisse ». Toujours autant de plaisir à te lire ;o)
Merci Bruno, et merci pour la veille, corrigé… (d’habitude c’est Piero qui s’y colle)
Cinématographique, c’est sûr. Et ce qu’on peut se faire comme film justement, la nuit ! J’ai senti le parfum des melons et des tomates cuites… A lire lentement !
c’est ça, je me suis fait un film, et figure toi que longtemps après, même rentrée à Paris j’avais parfois l’impression que quelqu’un rodait dans l’appartement…
Je lis ton texte avec trois pulls sur le dos et une veste et un plaid sur les genoux… car il fait très froid à la campagne en ce moment, la terre ne dégèle pas et les salades sont pétrifiées
pourtant je sens l’air chaud sur ma peau et les ongles dans la chair du bras…
on ne sait pas vraiment combien de temps ça dure…
il caille à Paris aussi ! et oui le propre de l’insomnie, de pas vraiment mesurer le temps qui passe…
« Tout est calme, silencieux, de ces silences d’avant tempête »
Oui la chaleur monte, envahit, se diabolise et la peur se déchaîne.
Frisson communicatif
beau texte
La lourdeur sans fin des nuits de canicule qui nient le repos et rendent probables ou désirables un évènement quelconque…