Il n’y a pas de blanc dans les films en couleurs. La véritable blancheur, celle de la neige, celle de l’écume, celle des fleurs blanches les nuits de lune, elle n’est rendue que par le noir et blanc
Marguerite Duras – Les yeux verts – Petite bibliothèque des cahiers du cinéma
Préavis de digression ( ou bande annonce)
Tu décides de mettre exactement une heure pour écrire ce texte et débroussailler une idée de film . regarder ce que ça produit sur l’écran blanc de l’ordinateur. – à noter que tu avais fait un premier essai d’immersion dans « une heure de ta vie » en tournant une vidéo tremblante qui partait en bas de chez vous et se terminait dans le cinéma art et essai où se projetait le film « jane par charlotte » . Tu imaginais faire un film en rentrant dans un film, pour de vrai ,Malgré l’impossibilité légale de filmer à L’intérieur de la salle – tu ne savais pas trop comment contourner mais c’est ta carte mémoire de téléphone qui t’a lÂchée et tu n’as engrangé que 40 minutes de ta vie principalement dans l’automobile que tu ne conduisais pas en imposant le silence sauf auto radio france culture et france inter pour ne pas déprimer.
BREF ! C’était loupé, mais tu peux toujours en faire quelque chose autrement
.
Un blanc devant la consigne. Prendre le train avec Blaise Cendrars te fait peur à l’avance.A toute berzingue la lecture du texte locomotive.Ne pas perdre de temps avec cela. Image de gare immédiate et d’un souffle verbal bruyant émanant d’une locomotive à charbon. Des grincements lugubres et du fracas métallique. Un monstre à roues en fonte qui s’ébranle, un peu fou, déterminé , implacable même, carrément burin. Tu n’aimes pas les trains depuis les récits de la Shoah. Les trains de far-west sont des mythes secondaires. La ruée vers l’or et les raisins de la colère, les chevauchées de cow-boys et d’indiens excités, les squaws plutôt secondaires elles aussi, et le gros rustre détachant de sa large poitrine musclée ,les blanches mains de la belle amoureuse pour repartir vers ses crimes et ses embrouilles entre mecs.
Les petits trains de campagne sont plus pittoresques qu’utilitaires. On prend le train pour monter à Lyon dans les années 50 et on a une carte de réduction familiale. 50% c’est déjà çà, mais ça ne suffit pas à couvrir le montant des billets.Alors ne pas voyager ne manque à personne, on lit Tout l’Univers et on regarde la télé en noir et blanc chez les voisins jusqu’au départ d’Amstrong sur la lune. L’achat de la télé change tout. Elle est le robot principal et capricieux de la maisonnée. Ses boutons sont inaccessibles, ils sont la propritété patriarcale et matriarcale par délégation alternée.
Le train est une fausse maison, inhospitalière. Les gares sont toujours celles des pas perdus et non retrouvés, on y piétine avec la trouille de se faire voler ses bagages.
C’est toujours un miracle de pouvoir revoir les gens au bas d’un escalator affublé d’une grosse lettre d’alphabet ou au point de rencontre indiqué par les panneaux. L’abandon et la solitude sont des sentiments inhérents à ce genre de bâtiments à courants d’air.
Voyage binaire entre départ et arrivée, celles et ceux qui ne sont pas monté.e.s restent à quai.
Travelling sur quai vide Malgré les apparences, le train comme le film , à quelques flashback près, ne revient que en arrière. Il n’attend pas les retardataires et l’indécision.
Il faut voir une voiture de tête changer de rail pour savoir que la puissance n’est que dans la vitesse et l’élan. La mécanique est belle en photo et en rouages solides, elle reluit pour conjurer la rouille qui guette. Elle est impressionnante.Encombrante aussi.
Tu n’as jamais compris comment faisaient les tunnels pour ne pas sortir de leurs montagnes à l’ arrivée de ces mastodontes
La bête humaine, Jean GABIN et tout son cambouis,ses yeux bleus de parigot en salopette surlignés par la crasse.
A l’arrêt le lecteur ou la lectrice peut reprendre sa respiration .
Gare à souvenirs superposés. Celle de Perrache, rénovée par un maire qu’on appelait Zizi Béton. Celle des Brotteaux. Années 1900. Des zooms sur les hommes à moustache, canne et haut de forme, des femmes à derrière surélevé et des fanfreluches au dessus des globes de seins, un foulard pour couvrir un peu mais qui glisse, des paysannes , des ouvriers, des cheminots , des enfants à qui on tient la main bien fort..Années 1900, pas encore la panique boursière. Le transsibérien est loin et loin l’idée de quitter la vieille France pour des contrées où l’on risque d’attraper la mort et le mal du pays. Le bilinguisme est rare à cette époque et les voyageurs écrivains n’ont pas encore de smartphone ou de tablette pour commenter les paysages,les moeurs et en faire de la Weblittérature.
Cendrars dit qu’il est parti ou il le fait croire…Sa tête est un réseau ferroviaire fiévreux . « Quand on aime il faut partir… quitte ta femme, quitte ton enfant … etc… C’est là que tu le quittes précocémént, il nest pas fiable, il est égoïste, va voir maman papa écrit c’est marre. Tu décroches gentiment les wagons. Tu penses au poème de Charles JULIET sur la petite fille en pleurs qui ne fait pas de bruit . Elle voit s’éloigner sa mère…sur un quai de gare. Un film encore…
Et puis il y a Le voyage en hiver de Bernard NOËL chez P.O.L , il l’a écrIt dans un train
(A suivre)…
Votre « préavis de digression » serait un codicille, dans les ateliers de François Bon… Vous livrez finalement votre contrainte d’écriture et cette liberté va bien avec le thème du train, outil d’évasion ! J’ai vu un puzzle d’images dans ce texte aux nombreux « blancs », comme un montage de photos ou de petits films, j’entendais en voix « off » les commentaires de la narratrice… Du blanc et du noir, des souvenirs plus ou moins anciens, que l’on peut partager d’ailleurs, télévisuels ou littéraires, et un pari tenu graphiquement, de rester dans le « noir et blanc ». (J’aime bien votre blog !)
D’abord Merci ! Les appellations qui circulent dans les ateliers d’écriture ne me sont pas familières. Je n’en ai pratiqué aucun jusqu’ici et ceux que proposent F.B. sont des expériences qui me tentent depuis longtemps, déjà à l’époque de Remue Net, mais ma vie professionnelle et familiale ne me donnaient pas la disponibilité suffisante pour m’y atteler. J’ai commencé à bidouiller sur internet à Noël 2004. J’ai toujours gardé un oeil sur les outils, les références bibliographiques mais c’est avec les vidéos que j’ai compris qu’il fallait rejoindre cette weblittérature militante qui déverticalise tout en nappe phréatique bienfaisante. Même s’il faut apprendre à écrire en apnée ou avec des bouteilles, cela vaut le coup d’explorer les « arrière-pays » partagés. Merci pour vos commentaires et cette image du puzzle qui m’est chère, je la vois partout dans la vie et sur les écrans, les pièces sont souvent en désordre et il faut une attention soutenue pour en reconstituer des morceaux parlants. Quant au noir et blanc, au cinéma comme dans la vie ils indiquent une possible interférence entre la saturation et la clarté des situations.Le lourd et le léger. L’opaque et la transparence. Certains peintres comme Truphémus à Lyon ont conclu leur oeuvre avec des peintures de plus en plus blanches, Opalka n’y a pas échappé, Soulages a fait la même chose avec le noir. La valence est pleine de nuances et de gradations. Oui la liberté se construit dans les espaces blancs à gravir dans la langue. Ce sont aussi des respirations. La compacité des textes m’étouffe littéralement.
La citation de Duras ! ( Les yeux verts en noirs et blancs ).
J’aime ce texte collage: de gares, trains, tunnels (enracinés) … avec le charbon et la vitesse, les pas perdus, la mort… les traversées, les paysages ( voyage binaire) d’Image renées d’une heure de tête comme autant de fenêtres et de questions ouvertes
Merci ! Votre approche et cette notion « d’heure de tête », je m’en souviendrai. C’est fou ce qu’on peut faire passer d’images pendant une heure sous son crâne éclairé par le souvenir.