Il trône, solitaire, sur la prairie d’un vert éteint par une couche de brouillard qui joue à recouvrir le paysage, ne laissant fleurir ça et là que quelques taches de pâleur. L’immobilité est entière, et laisserait à la limite de l’angoisse quiconque ne sait pas encore pourquoi il est là. Un léger tremblement de l’écharpe de brume, juste pour signifier que oui la vie est encore là. Le port du feuillage semble frémir, mais ce n’est peut-être qu’une illusion, ou le besoin que l’on a de le voir s’animer. Le silence est grave, sans être pesant. Il faut entrer dans ce qui nous est donné à voir sans autre artifice que le regard. Rien ne doit distraire l’immobilité où l’on est et la paralysie apparente du paysage. Des oiseaux, que l’on nommerait bien étourneaux, à la façon qu’ils ont de voler, traversent de gauche à droite le cadre qui nous retient, une trentaine peut-être, mais il ne viendrait pas à l’esprit de les compter. Juste ce passage de silhouettes sombres et vives, qui vont et reviennent se poser sur des fils électriques que l’on n’avait nullement remarqués jusque là mais qui sont bien tendus entre les mondes, puisque les étourneaux s’y établissent pour prendre un léger repos. Le fil où reposent les pattes, on ne le voit pas, on l’imagine. En arrière, l’arbre garde son immobilité, et ne semble pas concerné par cette animation soudaine. Au sol, la terre d’un champ qui a été labouré, avec le léger renflement de mottes dans l’attente d’un printemps. Le bal des oiseaux reprend, certains s’en vont, on ne sait à quel signal intérieur ils obéissent à presque tous partir à la même seconde et à se rassembler pour un vol dont on ne saura rien, dont on ne perçoit qu’un bruissement d’ailes qui s’agitent pour trouver leur voie. On est figé face à l’image donnée : un arbre au milieu d’une plaine, une terre brune d’où rien ne s’anime, une brume qui lentement s’élève, mais cela est presque imperceptible et c’est grâce à cette fixité, cette ankylose des yeux que l’on pressent le mouvement de ces incertitudes. Trois ou quatre étourneaux n’ont pas suivi le vol de leurs condisciples et restent gravés dans l’immobilité de ce jour. Peu à peu naît la vision de l’arrière-plan avec des collines qui ondulent, du vert un peu différent du houppier de l’arbre, du marron, du gris, un ciel sans doute car il y a toujours un ciel au-dessus de tout cela, mais que l’on distingue à peine, comme s’il n’existait plus. Un fossé, une route semblent aussi traverser, une sorte d’énigme abandonnée pour un possible après du temps. Le roulement d’un train que l’on entend, les yeux cherchent mais ne voient rien, toute cette vie subite se passe en hors-champ et ne dure que le temps du passage de ce que l’on ne peut qu’imaginer, peut-être avec quelques taches de rouge sur les wagons et qui sinuerait ainsi dans le paysage, irisant les champs, le bord d’une route peut-être, ce qui tient lieu de havre pour l’instant. Le brouillard semble s’élever et l’on entend une voix off tenter des mots qui s’ancrent dans le ventre, se déposent. Ces mots on ne les a pas notés, il ne reste d’eux qu’une mélodie, une voix lente et profonde qui les a délivrés, qui reviendra à plusieurs reprises pour dire juste ce qui doit être dit, les mots du poète, que l’on a déjà lus bien sûr, mais qui là se revêtent d’un relief de clairière dans ces brassées d’images fixes, une chambre d’écho au chant des mots : un champ de tournesols, le cœur d’une de ces fleurs en un gros plan où demeurer et se perdre, une silhouette que l’on suit dans un sous-bois et s’enfonce, on marche sur ses pas, on entendrait presque le souffle, une maison au bord d’une route avec ses volets bleus fermés au rez de chaussée, ouverts à l’étage et la grange adossée qui n’a plus de toit mais dont on voit encore les poutres de soutènement, toute la verdure qui la ceint et la route assassine, plus tard l’intérieur de celle-ci au travers d’ouvertures laissant croire à quelques éclaircies, une mobylette sur une route que l’on suit sans savoir où elle nous emmène, des murs qui se bâtissent, des hommes qui érigent ces murs, d’autres qui roulent une cigarette, un jeune homme assis par terre dehors adossé à de hauts barreaux qui mangent toute l’image cisaillant l’arrière-plan de campagne paisible dans un au-delà inaccessible, un autre assis face à une large fenêtre qui, pris dans le pourquoi du jour, n’en finit pas de scruter un dehors qui n’a plus rien à lui dire, une femme qui serre contre elle des peluches et qui serre le cœur, tout un monde braconné qui s’obstine dans notre esprit longtemps après avoir franchi les portes de la salle de cinéma. Et s’en aller avec, à la toute fin, le plan fixe de la silhouette d’un arbre et, à ses côtés, un autre plus jeune, en un feuillage plus clair, intenses tous deux, mais toujours inscrits dans cette brume, que l’on porte en soi en silence, lorsqu’on se retrouve dans son ailleurs à rechercher les mots du poète que l’on a entendus s’infiltrer dans la voix off, à tenter de conserver ses empreintes, et de rendre à la voix, ses eaux, son lit. La voix de l’homme qui penche.
J’ai aimé me promener dans cette heure de nature et de poésie, on s’y sent bien, au calme, au grand air.
la force de l’immobilité du paysage brume malgré les brusques interventions des étourneaux (et même eux…) surtout, et puis la vie qui suit