L’épaisseur du brouillard blanc adoucit les gris froids des immeubles bas de la proche banlieue parisienne. L’avenue en double sens, les tramways au centre. Les voitures et leurs feux sondent la brume et sont presque tendres dans leur approche tandis que les moteurs vrombissants rappellent leurs urgences, sursaut. Prendre les informations, une première fois, les voitures arrivent de la gauche, une deuxième fois c’est le tramway qui s’avance en sens inverse, en face un feu rouge STOP qui alerte et engage à courir, passer à temps, une troisième fois regard à droite, les voitures ralentissent, une suspension dans la marche, un contretemps, repartir. Du monde attend à l’arrêt de bus, la queue se forme à son arrivée pour monter par la seule des deux portes qui s’est ouverte. Laisser passer les formes au ralenti puis s’imposer au risque de ne pas rentrer, garder la fluidité dans l’équilibre des forces qui s’imposent. Les corps remplissent l’espace restreint, emmitouflés jusqu’aux visages, seuls les yeux se détachent, projetés au dehors sans vision. L’éclairage se fond sur l’indifférence des chairs emmagasinées là, un temps pour s’habituer aux stimulations, air opaque, faisceaux lumineux, un deuxième temps pour trouver une place confortable dans le flux saccadé des allers et venus. Coup de frein, un grand corps mince se détache et se fraie un chemin vers la sortie dans le silence des corps qui bruissent, se frôlent et se déplacent habilement sans un regard. Saisir le flux de la circulation et s’y laisser porter, suivre les corps pressés, embarquer derrière un partenaire temporaire et profiter de son élan jusqu’à la bouche de métro, s’engager dans la descente de l’escalier au rythme d’une petite foulée. Tourner et rejoindre un autre flux, étouffer les bruits du dehors et maintenir la cohérence du corps en déplacement. Rester conscient des sensations internes, comme auprès d’un feu à entretenir, croiser une étincelle de résistance similaire dans l’œil d’un voyageur plus attentif que les autres, s’attarder sur le petit jaillissement interne de cette rencontre contre-nature et silencieuse, ne pas s’attarder néanmoins. Attente du métro, il est presque vide. La lumière tombe drue et rebondit sur les matériaux brillants et les couleurs criardes. Impossible de ne pas saturer des rayons pointus qui transpercent les chairs. Rester en dedans tel un animal peureux, se calmer au rythme stable des lampes qui défilent dans le tunnel que prend la rame. Se fondre dans le déplacement du train et trouver un accordage, un léger balancement, s’envelopper du son métallique qui martèle fort, se laisser faire par le flux et tanguer en rythme. Attendre la prochaine rupture. Imaginer ce qui pourra la transformer.
L’heure passe : est-il besoin de le dire à la fin ? La lectrice que je suis aurait aimé se laisser plus facilement embarquer par l’attente de la prochaine rupture et l’imagination de ce qui pourra la transformer. Point. J’aime « l’indifférence des chairs emmagasinées » engluées dans un brouillard urbain, épais. On y est. Merci
oui très juste… Je prends le point merci !
Le sentiment que tout se pose vraiment à la fin et atteint sa pleine mesure, les infinitifs à leur place venant donner le rythme…
« se fondre dans le déplacement du train » comme se fondre dans le développement du texte.
disséquer la quotidienneté et lui conférer une force