Je veux saisir le calligraphe quand il pousse la porte et entre chez lui. Son atelier donne sur la la mer (on voit un peu la mer par la petite fenêtre) sa maison est perchée sur une falaise, une sorte de corniche. Je veux saisir le calligraphe quand il pousse la porte dans son atelier, une table basse en teck garnie de pinceaux, 3 ou 4 bols de mines sèches, des rouleaux pour faire de la calligraphie, des estampes aux murs, des encres de Chine, des formes, des animaux fantastiques, un jeu de ma-jong, des couleurs, des taches de couleurs, des coulures, des jets, sur la table les pastels gras et secs sont rangés par nuances de tons, des fusains, des brosses, des couteaux, des rouleaux de papier, 2 grandes corbeilles tressées remplies de papiers froissés. Il s’assoit à contre- jour, et regarde la pénombre tomber avec le jour. Je veux saisir le peintre quand il veut dessiner pour la centième fois la mer, la perspective, automne obscurité je voyage seul dit le haïku de Maître Basho, et je veux saisir le peintre japonais quand il trace une première ligne, il suspend son geste :
Je ne peux m’empêcher de me demander
si la neige, la lune, les fleurs
font partie de ma vie
dit le second haïku et je veux le saisir quand cette interrogation de maître Yosa Buson guide son geste, la disant à voix haute, il laisse le pinceau errer sur le papier. Il se lève, s’étend et reprend son ouvrage, sous les fleurs de cerisiers grenouille et fourmille l’humanité, l’humanité déjà sur la page, il laisse l’encre tomber, et peuple son dessin de l’humanité ; elle fourmille sur son papier, jour de printemps une flaque retient le printemps, sur les écrans de papiers, il regarde devant lui ; elles font des arabesques, les chiures de mouches. Je veux saisir le calligraphe devant un encrier rempli d’encre de Chine contemplant la vacuité au-delà des ondes formées par le pinceau, déjà l’ombre de ce qui se tracera.
Couvert de papillons
L’arbre mort
Est en fleurs !
Je veux saisir le calligraphe au moment où il aperçoit dehors dans le jardin, dans la pénombre du soleil déclinant, l’arbre en fleurs, et qu’il trace une diagonale : essence de l’arbre assailli par les papillons en latence sur la page.
Je veux saisir le maître calligraphe quand la lune monte ronde et pleine et la question qu’il se repose, à son sujet, et l’impermanence de la lune, des fleurs et de la neige. Son regard monte à l’horizon derrière la lune, la montagne est enneigée. Je veux me tenir derrière son visage et suivre son regard, je veux saisir son visage et son regard et sa main quand il trace le cercle autour des arbres.
Matin de printemps
Mon ombre aussi déborde de vie
Choses insaisissables, et lunes et papillons, fleurs donnant l’énergie, ombres passant devant la lune et je veux le saisir quand il dépose le nuage sur son cercle …vent des 4 chemins, frissons, le maître a froid.
Papillon voltige
Dans un monde sans espoir.
Je veux le saisir quand il s’étend sur sa natte :
Au plus charnu de mes fesses
Les traces de la natte
Si fraiche.
Le rouleau du calligraphe dort sur la table. Rêve :
La face de la lune ?
12 ans d’âge environ dirais-je
Je veux le saisir quand il s’interroge sur l’âge des lunes, des astres et de l’Univers, la vitesse des molécules, neutrons et protons.
Je veux le saisir
En ce monde
Sur la crête d’un enfer
A contempler les fleurs..
Qu’il trace une ligne brisée, sur un autre rouleau, qu’il change de pinceau et d’encrier et de place, qu’il marche vers le jardin, quand quelqu’un passe lui apporter à manger,
Le printemps s’annonce,
J’ai 43 ans toujours là
Devant mon riz blanc
Ou lui parler des neufs vies de l’Empereur, des activités des chambellans ou bien lui rapporter les intrigues des Ambassadeurs. Ou bien quand son épouse vient lui annoncer la venue des jardiniers, et le passage d’un autre poète avec qui il dinera demain.
Le cadet porte le balai
On va voir les tombes
La table (zakatu) est dressée, le maître calligraphe, son épouse et le troisième poète prennent place, dînent.
Je veux les saisir. Mais ils s’évanouissent dans le tourment de mes rêves : impermanence : ils passent :
Les montagnes lointaines
Dans les prunelles
De la libellule.
Les haïkus sont de Maîtres Hosai, Basho, Issa, Shiki….
Belle idée de nourrir l’exploration par des haïkus. Je trouve que les « Je veux saisir.. » sont des points d’ancrage d’où repart le souffle de la narration. Belle lecture. Merci.
Oui, les haïkus sont comme des suspensions qui rythment le texte et soulignent le geste répété de la saisie. Des instantanés. On croit entendre les déclics d’un appareil photo (sauf qu’ils font exactement le contraire d’un obturateur)
Merci à tous les deux…je me suis dit que j’aurais pu encore continuer.. et cheminer au travers des haïkus, pour aller…..je ne sais où!