Consciencieusement, je lis les textes de Jacques Dupin, je ne comprends pas bien, pas tout, en tout cas pas littéralement, pas intellectuellement. Déjà je me laisse envahir par des émotions, par des pensées, des souvenirs, je suis imprégnée d’intuitions, c’est ça, ça poisse. Cela me dérange, je voudrais être dans un rapport intelligible et distant avec le texte, je voudrais être à l’écoute, qu’il m’apprenne d’abord et qu’ensuite je puisse écrire mon texte. Alors que là je suis dans un mélange, une confusion, mon cœur s’emballe, ma pensée tangue, ma concentration fluctue, je passe de Dupin à ma petite histoire, je ne suis pas calme, je ne suis pas toute disponible à l’auteur. M’en rendre compte est douloureux.
Je suis dans la chambre, je n’écoute pas et pourtant je l’entends refermer la fenêtre et je me surprends à être étonnée par sa délicatesse, je perçois et reconnais son geste précautionneux, celui de ralentir au lieu de claquer pour fermer.
Le regard dans le vide, la pensée vagabonde, je me frotte doucement le front, 2 doigts qui vont et viennent machinalement en un aller et retour horizontal; un geste chez moi de concentration, je suis absorbée, je suis ailleurs, où suis-je? Sentir et prendre conscience de quelques petits boutons sous cutanées, et me voilà propulsée tout à coup, en mon adolescence.
Un sac en plastique blanc accroché à une branche dénudée de l’arbre en face de ma fenêtre. un sac plastique blanc comme une voile qui flotte au vent et qui fait avancer. un sac en plastique blanc que les magasins n’ont plus le droit de distribuer. un sac en plastique blanc comme une pancarte levée dans un cortège de manifestants. un sac en plastique blanc comme un voile qui dissimule ou qui dénude. un sac en plastique blanc, petit, grand, résistant, transparent, solide, à bretelle, rigide. un sac en plastique blanc comme un slip kangourou qui sèche sur la corde à linge de mon voisin. un sac en plastique blanc, un des 5 milliards distribués en caisse en 2016. un sac en plastique blanc, un des 12 milliards distribués pour d’autres usages. un sac en plastique blanc comme un haillon sur un corps décharné. un sac en plastique blanc qui restera 450 ans avant de se dégrader. un sac en plastique blanc que des adolescents se mettent sur la tête pour jouer. un sac en plastique blanc, pour freiner l’irrigation sanguine du cerveau, pour ressentir des sensations intenses. un sac en plastique blanc Bio. un sac en plastique blanc qui procure un effet d’érection et de jouissance. un sac en plastique blanc.