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#été2023 #11 | tu me poses une question difficile (et les sentiments minuscules)
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Voilà, écrit avant-hier, laissé reposer une nuit, et publié. Maintenant je m’empêche d’y retourner. Je n’aime pas ce ton. Il faut que je songe à ajouter tout en dessous la mention « non-envoyé ». Je m’éloigne de plus en plus de ce que j’aurais pu imaginer faire, mais comme je n’avais rien imaginé… J’aurais pu rêver que me revienne la fiction, mais j’ai apparemment plus besoin de me battre et débattre avec les propositions de FB, que je fais ça. Je débats (à moi toute seule). Je songe ici surtout à ce qui s’est passé avec le corps, l’auteur, le lieu, le temps (quoique pour le temps, c’est moins clair) et bien sûr les personnages. Les choses en sont au point que ça réfléchit au moyen d’intégrer ces réflexions (les tempêtes de réflexion) à l’ensemble du texte. Je songe à, de mon côté, faire une page où je publierai en parallèle, sur deux colonnes, les texte de l’atelier et leur notes afférentes).
Very dear D, tu t’excuses mais tu ne devrais pas, tu prends bien sûr le temps qu’il te plaît pour me répondre, tu le sais, j’en serai toujours aussi honorée et reconnaissante que tu t’exposes ainsi à recevoir de moi une fois de plus une trop longue lettre. Tu me poses une question difficile et je t’en remercie. A vrai dire, il ne m’est jamais arrivé d’en parler, même à des amis, surtout à des amis.
Avant que d’y venir, je voudrais te toucher un petit mot sur la honte.
J’ai souvent été taquinée par l’envie de trouver le moyen de répertorier certains sentiments minuscules qui vous visitent trop rapidement, que vous avez tout juste le temps de reconnaître et d’oublier, des sentiments-fantômes qui passent en coup de vent, qui se surmontent très facilement, dont il est presque de leur nature de se laisser surmonter, et dont à chaque fois je ressens pourtant un court instant le poids tout à fait particulier de ce qui ne vient pas, de ce qui ne viendra jamais à s’élaborer, à se dire, de ce qui ne se laissera pas arrêter.
Oh, je ne sais pas pourquoi je dis les choses de façon aussi compliquée.
Est-ce que si je te parle de sentiments dont on ressent le poids de symptôme mais qui sont si minuscules qu’on ne trouve pas le moment d’en établir la matière, est-ce que ça devient plus clair ?
Tiens, je m’aperçois que je ne cesse en ce moment d’utiliser le mot « matière »… Hier encore… Ca va finir par se faire remarquer. C’est à ce qui fait matière que je m’attacherais (matière comme manière ). D’un objet chercher ce qui ferait terre, terreau, taire aussi bien, ce qui se manipule, se porte à la bouche, s’étale des deux mains, ce qui se trahit sans nommer. Dire de ce qui se manipule fictionnellement les répercussions corporelles, la corporéité. Étirer les surfaces, inscrire leur fluidité, étendre les corps qui y circulent, qui s’y déploient, qui s’en trouve circulés, parcourus. J’ai intitulé le roman dont il semble que j’exécute tous les gestes qu’il faut pour l’écrire, sans le plus petit espoir d’y arriver ni le moindre désespoir, Matières d’oubli, tandis qu’ici je te parle de la matière de ces petits faits qui font symptômes et que je voudrais trouver le moyen de consciencieusement répertorier. Il faudrait que cela soit facile et rapide, s’agissant de choses que l’on ressent de façon si fugace que l’on ne saurait s’y arrêter mais non pas sans s’en trouver légèrement irrité. Irrité comme si il le faudrait, en fait, s’y intéresser, s’y attarder.
Là, je pensais en fait à la honte que j’éprouve et qui est réelle à t’écrire toujours de si longues lettres, à écrire long tout court d’ailleurs, de façon générale.
Et donc, j’ouvrirais un répertoire de ces moments de honte passagère, de celles qui sont surmontables aussi bien que de celles que je soupçonne de ne l’être jamais. Où pourrais-je faire ça ? Dans mon téléphone ? Ou alors acheter un petit carnet, l’intituler H, pour Honte, puisque j’aurais bien sûr également honte d’avoir honte. Tu vois, j’en tiens déjà deux entrées. (J’en tiendrais même une troisième : la honte du carnet : mais comment le dire, c’est quasi la honte d’exister, et ça, je ne peux pas le répertorier comme ça, parce que c’est trop vague, il faut attendre le moment où cette honte-là se trahira brute. La honte du carnet s’en rapproche pourtant : honte d’écrire, et crainte (attention, c’est autre chose) que quelqu’un s’en empare et lise, honte de ce qui s’y écrirait, de ce que ma misérable personne passerais par l’utilisation du je). Et, à la fin du carnet, je m’achèterais un autre carnet et m’attaquerais à un autre de ces mini-sentiments qui nous accompagnent et auxquels on s’accoutume et dont le seul répertoriarge, inventaire, peut-être suffirait à contribuer à les faire évaporer ? Evidemment, ce mini-carnet, je ne cesserais de le perdre, déjà que je perds tout le temps mon téléphone, et ça c’est un obstacle véritable à l’acquisition d’un carnet, faut-il s’acheter le mini-sac où le glisser par la même occasion. Cela dit, penses-tu qu’on puisse vivre sans honte, assurément cela se voit, de façon éhontée, mais ce n’était pas le sujet de ma lettre, il ne devait s’agir que d’une incise, enfin, très sérieusement quand même, est-ce que tu crois qu’on puisse vivre sans honte. Assurément, on le voit, en ce moment, autour de soi.
Je parle toujours de la honte, non. C’est que je n’en n’ai pas encore fini.
Qui-tu-sais dit qu’il ne faudrait pas parler d’ontologie mais de Hontologie, que tout ce qui s’attache à l’être est toujours honteux. Je te dis encore un mot de cette hontologie, puis je passe à ce qui devrait nous occuper, promis.
Cela dit, je ne résiste pas à d’abord te parler de ma grande amie, Dièse, qui me racontait qu’elle avait récemment des champignons (hallucino) en grande quantité et comment cela lui avait permis de « tenir sa honte en main », la honte qui était en elle, elle l’a tenue en main un moment devant elle dans une boule (qu’il me semble voir, parcourue de fluides) et il s’est alors passé des tas de choses extraordinaires, depuis ce jour, sa vie a changé. « There is no shame unless I densify it. » Elle m’invite à prendre des champignons avec elle, ce que je veux bien sûr faire, mais nous ne parvenons pas à nous voir, elle à Los Angeles, eh oui, moi à P. Enfin LA est si brûlante, je parle de la température, qu’elle songe à revenir en Europe. Comment faisons-nous me dis-je pour continuer à alors que partout ça crame et qu’un jour qui n’est pas dans si longtemps j’en suis sûre un jour ce sera ici, tu vois , ici qu’on brûlera, my very dear D. La souffrance que ce sera. Je trouve ça hallucinant. De même quand j’ai vu la Chine se fermer aux jours du Covid, je m’étais dit ça va venir, ça va viendre, cette conscience aiguë de nos derniers jours libres, et un jour, j’ai dit, on y va, on s’en va, on fait les bagages, demain ils ferment P, et on est partis, et le lendemain ils fermaient, ou le surlendemain. Et que va faire mon Estelle, que va faire ma fille ? Et comment moi je l’arme à ne me soucier que des sentiments inaperçus et des sensations qu’il ne fait bon de parler dans aucun souper ? Fin de la parenthèse.
Passer de l’être, de l’essence, à l’existence, passer de ce qui est à ce qu’il y a, à ce qui existe, passer de l’ontologie à l’ontique, du désir à la jouissance, tant tout ce qui est touche à l’être, au sens, peut être sujet à caution. Dear D, tu sais, ce précepte-là, qui nous vient de qui-tu-sais, m’a changé la vie. Sans pour autant il est vrai me débarrasser de la honte. L’être n’est jamais qu’un fait de dit. Il suffit de dire pour que cela soit. Dire et faire être le cercle carré. C’est la boule de mon amie de LA. Et c’est de n’être que fait de dit que l’être est toujours honteux. Dès lors on fait mieux de s’en tenir à ce qu’il y a, indépendamment de ce qui le nomme ou pas. Non plus la déploration du manque, de la perte, de ce qu’il n’y a pas. Mais le constat de ce qu’il y a. Voire le constat de la jouissance au présent du manque et de l’absence.
Je ne me bats plus pour des moulins à vent. Je m’installe dans les pales du moulin et je tourne avec ce qui tourne. Il ne sert de rien de résister.
C’est de ça probablement que je parle avec mon histoire de matière. S’attacher à ce qui fait matière, à ce qu’il y a, sans même qu’on sache quoi. A l’établir on s’apercevra de quel sentiment-indice il s’agit, sentiment in-dit, non-dit. Ce à quoi je voudrais m’attacher, c’est à l’indice. A ce qui fait indice et qui se passe dans le corps pris au sens large. J’ai bien récité ma leçon, dis ?
Bon, j’espère pour toi que tu n’auras rien lu de tout que je ne t’enverrai probablement pas. Tu me parles du désir de mourir, chez moi, de ce que je pourrais en dire. Très franchement, j’y hésite, je ne m’y sens pas encore prête. Cela me questionne, je n’ai pas de réponse. Je ne crois plus à l’événement traumatique. Je crois que je suis faite différemment, que je suis extra-terrestre ! Et que c’est lié à ma manière d’être matière d’être-dit. J’ai promis à Estelle de ne pas me tuer et je me tiendrai à cette promesse. Il y a cette responsabilité vis-à-vis d’elle qui me tient, qui est immense. Bien sûr, on ne peut jurer de rien.
Et puis, il y a l’envers de ce malheur ou de cette damnation. C’est ce que j’essaie de faire vivre dans l’écriture, par ce que j’écris. Quand de l’envers j’aurai assez dit, peut-être que je pourra parler de l’endroit.
Dès que j’ai un peu lu la psychanalyse je me suis dit : ça jouit et j’en sais rien et pourquoi est-ce que je n’en saurais pas plus et surtout pourquoi est-ce que je ne m’en rendrais pas plus compte, pourquoi je n’en profiterais pas. J’ai été vers ça.
J’avais autrefois honte de trop écrire ou d’être trop une-à-une-seule-chose, disais-je, trop monomaniaque. Et je me suis battue contre ça, de toutes mes forces. J’ai essayé de me partager, de me diviser, entre l’écriture le compagnon la famille le ménage l’argent. Et c’était l’horreur et la grande erreur. Je le sais maintenant. Il faut se trouver, s’inventer, se mettre en place des limites mais il faut surtout pouvoir se laisser de larges latitudes et puis surtout bien choisir l’objet de son addiction. Une addiction dont on n’aie justement pas trop honte, qui ne titille pas trop le surmoi (le surmoi démesurément mesureur).
Puisque c’est comme ça, c’est ce qu’il y a : je suis une nature addictée. Ce constat fait choisir prudemment son addiction et y aller. Je pourrais passer mes journées à jouer à des jeux vidéo, à regarder des séries, à boire, à manger, c’est comme ça, si je me lève le matin et que je commence un truc et bien je continue, je peux pas m’arrêter. Du temps que je travaillais, j’ai été workaholic, ça m’a tuer. Je manque de limite. Donc, choisir ce qui n’excitera pas trop mon trop cruel surmoi. Même s’il est le plus malin et s’il finira toujours pas trouver le moyen de me torturer. Avec l’écriture, je peux peut-être m’en sortir. Des années, je m’en suis empêchée, aujourd’hui, tant pis. Et s’il s’avérait que je n’étais bonne qu’à écrire des lettres : encore tant pis. J’écris des lettres : elles continuent d’être trop longues : je choisis mes amis, comme toi, qui supportent stoïquement, qui vont jusqu’à me dire des choses bien gentilles…
Ce qu’il y a : j’écris. Cela seul compte.
Quiconque est un peu logicien rira ce que j’écris ici et je lui dirai d’y regarder à deux fois, je ne suis pas sûre que ça ne finisse pas par tenir l’épreuve.
C’est aussi la maladie.
Tu sais quoi, je vais dormir, et si je fais un rêve, je te raconterai.
Il faut qu’on se voie.
Je t’embrasse,
Sonia qui trop raisonne
Non-envoyé –