Moi qui ai toujours rêvé de dénicher une correspondance oubliée, (idéalement d’amoureux fous ou de poétesse) il a bien fallu que j’hérite de ta valise cartonnée marron tâché de moisissures. Elle a resurgi dans le ballet des allers-retours déchetterie, au beau milieu des débats et interrogations location camion avec ou sans benne, tri papier ou carton, on jette ou on garde, qui a dit qu’il ne fallait surtout pas se débarrasser de cette tasse même ébréchée, finalement elles se sont mises d’accord pour savoir qui récupère ça , mais qui a jeté les peignes à myrtilles que j’avais mis de côté sur la table basse?
Et l’éclat de ta petite part de vie qui s’est incrustée dans les archives familiales, grain de sable honteux … Pourtant nous ne partageons pas de patrimoine génétique, juste une transmission de maison de pierre, rachetée par l’entremise d’un notaire. Tu étais déjà en exil, loin de ta vallée, ta maison vidée, inoccupée, désertée. Impossible ton retour, mais la vente de cette propriété, ce droit dont tu n’avais pas été déchu, qui t’offrirait , t’a peut-être offert d’ailleurs, un nouveau départ. Je réalise au passage que je ne sais toujours pas si tu es encore ou pas, de ce monde. Je connaissais ton frère, décédé, et sa famille, jamais nous ne t’avons évoqué, alors trop tard pour leur demander, les importuner. Je connais ton nom, prénom, surnom, Marcelou, partagé par un bon nombre de tes conscrits ( je ne sais même pas de quelle classe), je ne te reconnaîtrais même pas en photo. Notre point, commun, trait d’union forcée, cette maison « patate chaude » que je viens de vendre, n’hébergera pas ces souvenirs, que malgré tes quelques demandes polies donnant des frissons à ma mère, tu n’es jamais venu récupérer. Après ta bascule dans l’innommable, je ne me sens pas de te précipiter sans un regard dans l’oubli. Assise en tailleur, carnet stylo à proximité : mettre une part de ta vie en mots, biographe lacunaire improvisée, commis d’office, tu aurais pu mieux tomber, archiviste en dilettante: faire sauter les verrous, déchirer les contreforts.
» mais qui a jeté les peignes à myrtilles que j’avais mis de côté sur la table basse?
Et l’éclat de ta petite part de vie qui s’est incrustée dans les archives familiales, grain de sable honteux … Pourtant nous ne partageons pas de patrimoine génétique, juste une transmission de maison de pierre, rachetée par l’entremise d’un notaire […] »
Une histoire de valise chez vous aussi. Je le découvre à l’instant, après avoir mis en ligne mon propre texte. Merci pour cette thématique partagée sans concertation préalable.