Le carnet de l’atelier 40 jours
# prologue | une phrase par jour
mots inconnus, définitions,
dates, heures, et minutes,
journal du temps,
intime souvent,
des idées de lecture,
tiens ! une recette !
des essais, des explorations,
des portraits,
de celle qui a trébuché, celui qui a fredonné,
des phrases entendues, d’autres inventées,
des pensées qui dérangent,
des pensées qui frissonnent,
de spirales en dos collés,
du ligné, du petit format,
bleu outremer, rose, jaune clair
une phrase par jour,
parfois plus,
des ellipses,
des oublis,
une mémoire,
une traversée du temps.
#01 | de l’imprévu | Il glisse vers le haut de la baie vitrée. L’escargot part en escapade sous les tuiles, millimètre après millimètre. Il va seul vers le repère des araignées. Que pense-t-il y trouver ?
#02 | si loin si loin | Ses doigts tapotent la toile cirée aux couleurs criardes. Les bûches se consument dans le poêle. Était-ce l’hiver ? La fin de journée ? Elle a la main verte, elle le dit. Elle dit que son épaule s’est déboîtée en jardinant. La chaleur devient étouffante, sa voix se déforme. Ses doigts tapotent encore, je ne vois plus qu’eux. Je n’entends plus les mots qui se noient, les couleurs s’estompent. Peu à peu la chaleur m’envahit. Et puis plus rien.
#03 | Il aurait fallu briser la vitre, passer au-delà du miroir reflétant ma silhouette. Je l’aurais alors vu sourire du bonheur de rentrer, de retrouver la lumière familière, les odeurs âcres de la ville. Je l’aurais alors vu pleurer ceux qu’elle a quittés, rencontres éphémères et chamarrées. Il aurait fallu qu’elle marche encore nu pied dans la terre pour continuer à rire.
#04 | réveil | Marre de voir ma tête, maman… 12 février 2012… fais chauffer plus… allers retours sur l’autoroute… bille de verre boule de cristal… je lui parle elle n’a pas le temps… la pièces est chaleureuse, les objets hétéroclites… fauteuil crapaud vert bouteille dans une entrée de maison… je vais me baigner nue
#05 | ciels | 06 :47 Un voile ouaté dissimule une myriade d’étoiles ou un univers sans fond. 07 :59 Une flottille de lignes claires et épaisses. Dragons des airs volant vers les cimes. 13 :49 Autour de l’astre flamboyant, l’étau se resserre, boulier moelleux liant les gris du monde. 15 :04 Se déverse, éperdument, une fraîcheur veloutée pointillant l’horizon. 16h43 L’échappée se fait vers les Corbières, ruée en clair-obscur vibrant au vent du soir.
#06 | personne d’autre que moi n’aurait remarqué | Des ongles bleu lagon le paysage défile trop vite le détachement s’installe l’envie d’autres à petits pas ça prend le corps envahit l’esprit personne, non personne d’autre que moi n’aurait remarqué une échappée des absences trouver la voix en prose en poésie par rythme par touches une couleur à venir pas encore saisie personne, personne d’autre que moi…
#07 | Visage | Regard juvénile cerné de rires, lèvres sourire, visage solaire perché vers le songe, les nuages en chevelure | le menton fuit vers la lèvre inférieure, rosée, charnue, le teint est pâle, pigmenté de rousseur, les pommettes fraîches rehaussent les yeux sombres | triste le regard, le teint fade, les joues flétries, triste le menton pointu, les lèvres avalées par la bouche, bleus les yeux perdus sous les paupières tombantes, les sourcils cachés par la frange parenthèse |
#08 | Roland Garros Maréchal de Lattre de Tassigny Sébastien Le Prestre de Vauban Georges Millandy Robert Wagner JC Decaux Capitaine Tarron Jean Mermoz Igor Pugens Johannes Gutenberg Ada Lovelace Louis Pasteur Louis Braille Gertrude Elion Albert Einstein Emile Dewoitine Marie Curie Léonard de Vincie Hedy Lamarr Auguste Lumière Louis Lumière Maria Goeppert-Mayer Alexander Graham Bell Gabriel Garcia Marquez Albert de Saxe-Cobourg-Gotha Joseph Bazalgette Maud Fontenoy Emilie du Châtelet Marie-Antoinette Charlotte Corday Olympe de Gouges Joséphine de Beauharnais Georges Sand Flora Tristan Berthe Morisot Cixi impératrice de Chine Venus Hottentote Lalla Fatma N’Soumer Impératrice Eugénie Louise Michel Madeleine Brès Sarah Bernhardt Eugénie Niboyet Séverine
Jérôme Le Bret Yves-Marie Lanaspre Jean-Luis Larzul Esvet Le Fèvre Jean-Yves Oliver E. Giraud O. Issa Marie-Soraya Osmond Sylvie Beguin C. Lienart-Cordonnier Natacha Mboyo Nathalie Hostequin Justine Le-Bricques Aurélie Capelle Yasmine Selmet Fabien Camarda Jacques Medioni Georges Baudin Charlotte Lecompte Chloé Charbonneau Patrick Rocher Nicolas Rocher Alain Pardo Gérard Pardo
#09 | Ne pas s’attarder sur | le hérisson écrasé | les murs gris de pollution | l’odeur des égouts | le cimetière déserté | le nuage ténébreux | la boue du chemin | les bennes rouillées | les voitures abandonnées | les serres éventrées | les décharges de pneus usés | la dernière maison avant la voie ferrée | le pylône métallique | la ferme abandonnée | les ouvertures sans fenêtre | la demeure en cours de démolition | la forêt incendiée | les plantations rectilignes | les berges asséchées | les aires d’autoroute | le contrôle des billets | l’arrêt sur la voie
#10 | Pendant que je marche sous la pluie, je me remémore les promenades jusqu’au port à Ars en Ré. Pendant que je t’attends, je liste les jours à venir. Pendant que je danse, je ne vois pas l’obscurité m’envelopper. Pendant que je monte dans le métro, me reviennent en mémoire les années du lycée. Pendant que j’épluches les légumes, mon esprit s’évade vers la nuit. Pendant que je m’habille, j’écoute la pluie fouetter les volets.
#11 | c’est dimanche | Souvenirs confus | lectures clandestines | arrête de perdre ton temps à lire ! | la maison endormie | rallumer la lumière | tourner tourner les pages d’un livre de la bibliothèque rose | luttez contre le sommeil | un cahier quadrillé 200 pages | y écrire des phrases relevées dans les histoires | s’échapper vers ses propres dénouements |
#12 | la grisaille, les dessous | Laisser les mots sonner, les images apparaître, des touches de couleur, de sensation, faire émerger une voix, puis deux, puis trois, clandestines, pas à pas cheminer vers une impasse, une histoire, rassembler, transformer, façonner, laisser émerger une idée, la laisser prendre forme, zigzaguer, se perdre, mettre en lumière un personnage ou bien est-ce lui qui s’impose, lui sûrement, certainement, ce personnage qui tourmente, peu importe comment il se prénomme, il est un double, lumineux, imaginaire.
#13 | arrêter le monde | alignement fugace phares blancs trottoir rouge pâle ocre vert ça claque ça chance ça traîne chaîne et poussette ça siffle vole le ciel les nuages les avions envol passe son chemin ça crisse le silence sous le ciel pâle tapis feuilles d’automne
#14 | rien qu’une seconde | tiges coulissent déploient les toiles chatoyantes paysage colore têtes mouillées chaussures trempées deux trois silhouettes pas avant enjambée accélère court et disparait gouttes ricochent sur asphalte humide vol des feuilles brunes et ocre ronflement moteur couleurs s’effacent buée ruisselle soleil rayonne
#15 | cut up | c’est une Espagnole du coup depuis elle fait de la corde à sauter pour le ramener dans le rang ya ! ya ! elle m’a dit une fois aussi qu’il disait tout à ses parents je ne sais pas si c’est lui ou c’est pas lui au bout de trois pffft ! j’ai faim tu vois, j’pense que ça peut la froisser oui j’crois c’est… oui par là
#16 | il fait froid | Une doudoune rouge à capuche ourlée de fourrure bistre, pantalon de jogging coton gris clair, bonnet aux fines mailles et manteau trois-quarts blanc, legging noir, baskets blanches, élégantes, blouson bouclette vieux rose à la fermeture refermée jusqu’au cou, bonnet de laine grise à revers, jogging bleu électrique et baskets aux lacets rose fluo, polaire bleue de deuxième main ouverte sur un sweat noir à capuche avec broderie au niveau de la poitrine gauche : Van Gogh 1889, jean noir taille haute coupé au-dessus de la cheville, vans montantes noires, une écharpe bleue à la dimension inconnue enroulée autour du cou.
#17 | petits embellissements bienvenus | Abattez les hauts murs, non pas d’un immeuble, d’un blockhaus, d’une prison, mais les murs du groupe scolaire, rasez le béton, déchirez les blocs, les fenêtres aveugles, les garde-fous, trouer les chapes pour que les racines renaissent, laissez entrer le soleil ou la pluie, la grisaille et la vie, partagez l’éclat des dessins, le trait des poèmes, les silhouettes espiègles, laissez jaillir les jeux (d’enfant), le tumulte et les rires sur la voie publique.
#18 | recopier | Au pied de l’escalier, je suis arrivée face à un grand mur de plâtre blanc dans une petite alcôve faisant une sorte d’antichambre aux caves qui se succédaient avec leurs vieilles portes en bois et leurs ferrures rouillées, le long d’un chemin labyrinthique où je distinguais sur le sol brun en terre battue, comme un trappeur qui piste la trace d’animaux en fuite, des dizaines d’empreintes superposées. Plus aucune trace sur l’asphalte où la pluie et le soleil ont effacé les traces. Les jours sont passés, les années ont filé sans m’attendre. Je cours pourtant à contre-courant heurtant l’accompli et l’oubli. Je ne musarde ni n’abandonne le souvenir. Que ferais-je demain si je laisse encore s’écouler les saisons sans retrouver le numéro de cette maison disparue ?
#19 | transactions | Proposer une tartine de pain, grillé, beurré, un yaourt et une clémentine peut être ? Non ? pas de clémentine ? Passe une bonne journée, lancé au dos qui s’éloigne. Lui sourire sans parole, elle n’est pas du matin. Un merci, presque volé, le visage absorbé par l’étroitesse de l’escalier. Se reconnaître de loin, parmi la foule, d’un hochement de tête souriant. Interrogation silencieuse, vous prenez cette place ? Doute, envie et jalousie, elle veut qu’on l’aime, les yeux, dans les yeux de l’autre, rassurants. Je vous encaisse ? Ensuite ? on est obligées de partir ?
#20 | la scène est muette | Les images défilent sous les pouces, de bas en haut, en face à face, deux silhouettes, en miroir, 140 euros avec du style, des bouclette, déperlante, imperméable, une suprême à 200 euros au lieu de 300, une revente, une vente, un rachat, les téléphones s’échangent, haussement d’épaule, sourcils se soulèvent pour accord tacite, les deux doigts accélèrent, frappent les touches du clavier. Il s’agit d’avoir le bon prix et la bonne taille, un S, mais pas pour fille.
#21 | faire bouger les choses | Ecrire accroupie sur l’asphalte, le geste timide, offrir un message crayeux, éphémère, de mots et d’imaginaire, que le passant anonyme s’interroge, baisse le regard avant d’observer ce qui l’entoure. Pour celui portant son courrier à la boîte aux lettres : qui veut rêver, envoie des poèmes, pour le promeneur de la piste cyclable : cheminez à la lisière du rêve, pour le passant de la rue voisine : si les murs parlaient ? dévoilaient l’histoire ?
#22 | à perdre | Un seul livre, jeté dans le sac de voyage sans soupçonner la consigne à venir. Ni choix, ni hésitation, sauf celui de ne pas m’en séparer. Aucun banc alentour, des murets encombrés de végétation. L’offrir alors à la table de chevet de la chambre d’hôtel, à la desserte du couloir face aux ascenseurs du 9e étage ? L’entourer d’autres livres sur l’étagère publicitaire d’un hall d’entrée ? Avec qui seront partagées les images du poète qui vient de nous quitter ? La séparation se prémédite au fil des heures de la journée.
#23 | dénombrement | 8e heure de la journée, 335e jour de l’année, 1404 pas, 900 mètres, 5étages, 95 marches, 10 paliers, 1 salle de réunion, 22 chaises, 88 roulettes, 14 bureaux de 1 mètre, 30 fenêtres, 2 bancs hauts, 2 canapés 2 places, 3 fauteuils 1 place, 11 chaises hautes, 3 tabourets hauts, 4 tables basses, 2 tables d’appoint, 3 poufs confortables, du coton, du plastique, du polyester, bleu électrique, bleu outremer, bleu de minuit, vert-bleu, vert anis, gris de lin, gris acier, gris perle, marron clair, noir de jais, noir charbon, blanc cassé, blanc de lait, 15e heure de la journée.
#24 | attente | Ressentir l’urgence du temps, son écoulement, sa disparition, retenir dans la gorge une angoisse, crisper les mâchoires, vouloir pleurer, sur soi, contre soi, contre l’idée qui a mené là, d’être là, balancer, une jambe puis l’autre, ne plus bouger, les yeux fixes, perdus à la poursuite d’une persévérance ou du silence.
#25 | fragment | Déroule talon jusqu’aux orteils — lourdeur du sang — courbatures endormies — le pas piétine — l’articulation craque – gauche droite semblable — s’entraîner — trainer — frotter — trébucher — s’enraciner — l’immobilité tend tendons et artères — les muscles emprisonnent — recommencer — gauche droite — étendre — surprendre — accélérer — réchauffer — ne plus y penser — se rappeler les cloche-pied — pied joint — sur un pied — et corde à sauter — frotter — déverrouiller —
#26 | choses nettes, choses floues | halos de brouillard | ombres allongées sur l’asphalte | par-dessus les bosquets, le grive scintille | le jour apparaît en un instant | le ciel devient parme | approcher la chaleur du soleil d’hiver | le corps transi | Immobilité des nuages graciles | envelopper de ses mains le gobelet de café fumant | à la saveur amande et noisettes sablées| rejoindre la zébrure du jour | au ciel mandarine |
#27 | mon double | Tu as les traits tirés, le sourire absent, tu appréhendes cette journée, comme chaque trimestre. Tu endosses ce rôle en camouflant les doutes, ils surgiront un autre jour, tu le sais déjà. Tu entres dans le moule, enchaînes les questions, calcules, conseilles, remets dans le rang, te mets dans le rang, ne vois ni le ciel, ni le mouvement de l’air, tu effaces le double qui te regarde et s’attriste.
#28 | ruminé, rabâché, ressassé | Tenir bon compter le temps la fin du jour encore ne pas en percevoir le sens ne pas comprendre avancer se laisser porter diriger questionner rêver d’un autre chemin d’une autre réalité se remémorer l’avant toucher aux limites sans savoir les franchir la vie à vive allure aucun retour ralentissement dans l’espérance d’une utopique accalmie une variation des sens continuer à savourer obstinée obstinée obstinée passer de l’autre côté
#29 | On n’aurait pas dû se taire, voilà, on se le répète, le ressasse tout le chemin du retour, faire profil bas, s’excuser encore, se justifier au lieu de dire, poser les mots, révéler que le corps était absent, lui manquait la voix, la richesse du souffle endormi sous la peau, les émotions prisonnières de la gorge, non on n’aurait pas dû le garder pour soi mais ce jardin imaginaire, dégusté, enveloppé de douceur, on l’a gardé comme un cadeau parfumé, une surprise à déguster entre soi et soi, on n’aurait pas dû se le laisser voler.
#30 | tout petit fait divers | Un sexagénaire porté disparu a finalement été retrouvé sain et sauf, mais déshydraté, au niveau du rond-point des bateaux, après plus de 48 heures d’errance. La dernière fois que l’homme avait été aperçu, il était sur le pont d’Oléron, en train de le traverser à pied. Après avoir été emmené au commissariat par les gendarmes, l’homme a finalement été transporté au Centre hospitalier pour réaliser plusieurs vérifications sur son état de santé.
D’aventure en aventure il est arrivé jusqu’ici, la bouche emplie de sable, ses empreintes s’effaçant à chaque souffle de vent. Sur ses coudes, les plaies de ses ascensions et sur ses habits les déchirures des nuits. Il a enfermé sa vie dans de petites boîtes enfoncées au fond de ses poches pour ne rien égarer et il erre à la recherche d’une femme devenue vieille aujourd’hui,
pour un baiser.
#31 | de l’état du monde | Avoir eu 23 ans, pour l’éternité, être le premier, avec la foule avoir bloqué une rue, avoir été derrière les femmes, effacer le corps, ressentir les hurlements de douleur, soutenir de loin, de si loin, si timidement, apercevoir les visages mutilés, les appels et la lutte à mort, aucune retenue, ils ont bien dit cela et d’ici c’est si facile d’être avec eux, on n’y risque pas sa vie.
#32 | les morts sont parmi nous | Sa main tendue. Vers moi, vers l’invisible. Gravité fragile au-dessus des flots. Sa main me fixe. Derrière mes paupières sa silhouette se détache à l’extrémité de la digue. Il m’entraîne, m’accompagne, me transmet ce que dans son dos, il me cache encore. Chapeau de feutre et costume gris. Traits de noirs et de blancs. Il me dit son empreinte, son sillage, me dit d’aller encore plus avant.
#33 | faire le vide | Partir à la recherche d’une tranquillité intérieure | au premier étage, perchoir face au cerisier | dans le vacarme d’un bar, sur la banquette du fond | lire et relire des poèmes | voix haute ou voix basse | au hasard du moment | sentir le ventre et la tête | créer le refuge | le château ambulant | la cabane dans les arbres | le temps s’amenuisant, la folie du monde disparaissant peu à peu | jusqu’à déplacer la réalité | faire réapparaître ses morts.
#34 | ah ça ce serait une histoire | Il a faim alors il chante | Il arrive et c’est une autre magie. Il rajoute du sel, il touille, il conseille… |
#35 | la panne, l’embrouille | Mémoire volatile te souviens-tu ? du parfum mouillé, des racines mêlées ? Aimée et … que ma mémoire est mauvaise ! je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit comment laisser une trace ? ils s’en vont à leurs souvenirs à la mémoire de Charlie Marguerite se perd « souvent j’oublie d’être libre » jusque-là et pas plus loin je fais des rêves dont je ne me souviens pas j’ai retrouvé mes souvenirs |
#36 | lire écrire | de chambre en cuisine | Un pied puis l’autre, nus sur le parquet, nouer le gilet de laine autour de la taille, affronter la lumière électrique. Une dose de café moulu dans le percolateur, deux tartines à griller, un yaourt, deux clémentines, parfois un pamplemousse à cette saison ou un kaki, l’été une pêche ou un brugnon. Déposer sur le bureau le téléphone devenu réveil pour la nuit, réactiver le Wi-Fi. Ecouter les rêves d’un autre, les chapitres, les épisodes. Penser que l’on ne se souvient jamais de ses propres rêves. Respirer l’aube face à la baie vitrée. Interpréter de vagues miaulements, laisser sortir un chat, puis l’autre, les faire rentrer, ressortir, rentrer, ressortir, leur parler, les caresser, remplir la gamelle. S’installer face au café fumant, feuilleter le livre posé à juste distance d’un bras, survoler les mots, le rythme, avec comme seul besoin leur douceur car la journée sera forcément dense. Écrire le matin avant de travailler ou bien le soir ? La question, à chaque début de journée. Penser aux pistes, à la documentation à rassembler. Ne pas voir les minutes filer.
#37 | du par coeur, je n’en ai jamais eu l’occasion, ou bien je ne m’en souviens plus… Mais si je devais apprendre aujourd’hui, j’aimerais pouvoir réciter, La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur ou Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. J’irai par la forêt, j’irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
#38 | Rêve récurrent d’une maison ancienne, aux habitants disparus, parfois inconnus. Une maison aux dimensions changeantes. À chaque visite, différente et semblable, par son atmosphère, son odeur de poussière, une étrangeté familière. Enfilade de chambres, de portes passées comme l’on passerait d’une vie à l’autre. Sa vie et la vie des autres. Alcôves, lucarnes et greniers dissimulés. Remontée d’un temps qui aurait pu exister.
#39 | je ne peux en parler | Je suis une ombre. Une imposture ? Tout tricoter encore. Donner un squelette, une chronologie. Je reporte, remets à plus tard. Pourquoi ? Qu’est ce que je cherche en fouillant ainsi dans le passé ? À m’y perdre ? En perdre l’histoire ? Le sens ? À quoi bon puisqu’Elle ne peut plus me lire.
#40 | Commencez par vous munir d’un carnet, ou bien d’une tablette, d’un téléphone ou de feuilles volantes, à enfouir au fond d’un sac ou d’une poche. N’oubliez pas le stylo bille, à plume, feutre ou critérium. Observez l’intérieur et l’extérieur. Le mariage des couleurs, les odeurs surprenantes, les gestes et les regards. Faites un pas de côté, tête en l’air, tête en bas. Qu’observe-t-on depuis le milieu de la rue ? Notez les ombres, l’instant d’avant, celui du matin, une part d’enfance, le parfum de la saison. Notez l’ineffable, l’imprévu et un frémissement.
#41 | Tournoyer d’ennui à la pâleur du jour, bâiller aux boucles du temps. Ne plus distinguer ni pensées ni envies entre les gouttes de pluie. Sur le chemin de terre, croiser le perce neige, s’enrouler de sa fragilité, nouer à la taille sa blancheur, et vaincre la grisaille.
#42 | Si loin les clapots, si loin les embruns,
si loin le pas impatient des retours sans fin.
Le souffle s’inscrit sous la chair où résonnent
les liens et les racines perdues.
Loin des hasards de l’attente
#43 | Il aurait fallu questionner l’éphémère,
ses pleins et ses déliés,
suivre la trace de leurs voix
sans se fracasser au silence.
Il aurait fallu…
avant qu’ils ne disparaissent.
#44 | Comme dans un rêve j’ai promené mes pensées dans les méandres fleuris des années d’antan,
j’y ai mêlé errance et poésie, promesses et envies.
J’ai croisé au matin des lucioles en robe de princesse et une pluie de neige.
#45 | Sous la pluie fondue, le rouge gorge enflamme la grisaille.
Il ne chante ni ne fredonne,
Il étire inlassablement le temps.
#46 | Ils n’ont pas remarqué le ravissement des joncs,
le sol indolent sous leurs pieds pressés,
la caresse du vent glacé.
Ils n’ont pas remarqué l’éblouissement des mots
sous l’ennui des jours volés,
non, ils n’ont rien remarqué.
#47 | Ceux qui métro du matin
Ceux qui cailloux dans la chaussure
Ceux qui montent et descendent
Ceux qui barbe et moustache
Celui qui nez retroussé
Ceux qui poignet dodeline
Ceux qui rousseur parsemée
Ceux qui entre deux portes
Ceux qui bâille entrebâille
Ceux qui cligne paupière
Ceux qui large capuche
Ceux qui…
#48 | Noir | l’oubli silencieux
d’un rêve charbonné
Blanc | les feuilles porcelaines
sur les bancs gelés
Rouge | l’amarante poudrée
aux colères incendiées
Vert | l’haleine des feuillages
au vent des marécages
Bleu | l’océan enflé
de chimères irisées
#49 |Partir
au petit matin
franchir les frontières
enlacer les chemins
étendre le ciel sur la mer
nue dans les embruns
et repartir
toujours
au petit matin
#50 |Je me sens liée à l’air et à la terre, au ciel et à la mer,
Je me sens rêveuse et amante colorée,
Amoureuse de lenteur,
Et des temps oubliés.
Je me sens lune et soleil.
#51 | Ma vie se voudrait mystère et rondes autour des fontaines. Je la laisse faire son chemin dans le labyrinthe des jours. Parfois, elle y égare l’enfance. Il n’en reste plus qu’une étincelle.
Suis-je assez folle pour la laisser s’éteindre ?
#52 | Pendant que je tisse l’invisible et le fragile
Que je me pique aux écorces du vent
Aux herbes hautes, aux oiseaux de feu
Je deviens enfant, je deviens une autre
J’enroule la boucle du temps
#53 | Une journée splendeur et mystère
Cartes aux trésors, jardins merveilleux
Où les marguerites s’effeuillent
Et les étoiles se dispersent
Une journée éphémère
#54 | elle ferme les yeux
sur un trouble minuscule
légèrement fané
à peine nacré
comme un dimanche à l’heure du thé
#55 | flotter | plonger | s’éloigner | clapoter | osciller | sans hésiter | y replonger | ondoyer | voleter | piquer | une tête | toutes ses ailes| s’immerger | frissonner | habiter| une demeure | un igloo | grelotter | sans y voir | dans le fond | dans le ciel | aux courants| palpiter | | flotter
#56 | Est-elle perdue sur le chemin des racines ? A l’ombre des bosquets ? Camouflée à la lisière de mon regard, elle marche à un autre rythme, presque invisible. Je l’ai cherchée tout le jour, virevoltant aux secrets des branchages. M’a-t-elle ensorcelée, ma lignée ensoleillée ?
#57 | Devant le miroir,
Elle poudre son visage.
La rose, le mimosa,
Les effluves du vent,
Inondent les sillons de son âge.
#58 | Les dahlias, les anémones,
L’Heure Bleue de Guerlain,
Une mousseline de laine,
Ton visage dans le miroir,
Ce dont je me souviens de toi.
#59 | Un pré fleuri
Bariolé de silences
Je l’ai capturé
Au moment précis
De l’enfance
#60 | Une faille,
des voix sous les décombres
sans y voir
sans y croire
des cœurs suspendus
à l’attente.
#61 | Au petit matin
le reflet des fougères
et le chant des moineaux
exhale l’écho
de ta peau
#62 | Je ne cesserai jamais de cueillir ta main sur mon épaule,
je ne cesserai jamais de cueillir ton regard à la dernière heure du jour,
je ne cesserai jamais de cueillir les pétales de ta mémoire.
#63 | À la mi-nuit
tout près de ton silence
ma voix se perd
en grain de poussière
#64 | Aux heures du soir
s’éparpille la folie
étouffante et légère
de nos rencontres éphémères
#65 | Les aiguilles évidées libèrent le temps.
Aux fouillis des mémoires,
Spirale dérisoire.
Je creuse en demi-lune
Des traces minuscules
#66 | Il était six heures
Quand j’ai marché dans la vase
Plongé au remuement de la terre.
Des lueurs ont étoilé mon corps
Et coloré mes paupières
C’était au réveil.
#67 | Elle ira vers l’imprévisible,
Le verdoyant,
Le brusquement,
Elle ira par les rues humides,
Flotter aux douze vents,
Elle ira prendre un train,
Sur le quai numéro 1,
Elle ira où vont ses chemins,
Rivage, abysses ou petit matin.
#68 | Dans un songe azuré je le vois sur la jetée.
Ses cheveux grisonnent sous son chapeau de feutre noir.
Il tend une main vers moi et je le reconnais.
Je l’avais toujours imaginé ainsi,
Le visage clair, le regard enfantin.
Avant de m’éloigner par les dunes,
Je lui remets les lettres que je ne lui ai jamais envoyées.
#69 | Laissez-moi franchir les pierres grises
Les estuaires verdoyants
Laissez-moi à des encablures de moi-même
Imaginer des avenirs rouge sang
Laissez les souvenirs entassés
Au-delà du rêve déployé
#70 | Elle respire une odeur fanée,
Un fredonnement d’enfance.
Elle revoit la baignoire blanche aux quatre pieds rouillés,
La tapisserie bleu clair, le rideau de crochet.
Dans ces alcôves du temps elle ne sait ce qui est réel ou éternel.
Elle croit que les parfums ensorcellent.
#71 | Le temps oscille au silence du soir
Je m’y love
Je me lune
J’expire noctambule
#72 | Hier, je me suis trouée d’éclats de lune
Dans ma robe de tulle fleurie
J’ai tourné, feuilles et fleurs enlacées
À la valse du cœur
#73 | Entre deux arrêts
Entre deux enseignes
Entre rose bonbon
Et vert outre-mer
Entre jardinières
Et parkings couverts
Il y a cinq cents mètres
Il y a une côte raide
Il y a un drive ouvert
Et douze passagères
Entre deux arrêts
Il y a la rue du commerce
#74 | Je cours à perdre haleine
Sur les chemins, dans les forêts
Je ne veux plus des murs
Qui étouffent les pensées
Je veux l’aventure
Bordée d’échappées belles
De déroutes et de fredaines
#75 | À percer les heures
À baisser les bras
J’ai connu la peur
Oublié mes pas
J’ai vécu silences
Et aléas
#76 | Je Toulouse Bruxelles
À la lisière d’Oran
Tu Lisbonnes ici
Elle marseille ailleurs
Nous lyons paris
À l’attente si douce
Vous foulerez dakar
Elles arriveront le soir
À l’heure des escales
#77 | J’ai mangé des merveilles
Des dentelles d’horizon
J’ai trouvé des trésors
Des fils et des chapeaux
J’ai tout laissé là-bas
Sur les chemins d’enfance
#78 | Elle l’a croisé
Rue du Vent d’Autan
Un visage familier
Une rencontre d’un instant
Elle l’a aimé
De mots et de remous
A écouté ses lèvres
Puis s’est envolé
#79 | Sur les étagères du temps
Elle emmêle-démêle
Des fils de coton rosé
Lui revient en mémoire
Le parfum de poussière
D’une couverture de laine
#80 | Elle a plissé les lèvres
Aux frissons
Et à l’aube fraîche
Elle n’a écouté ni le clapotis des vagues
Ni le vol de la tourterelle
Elle a attendu la nuit
Nébuleuse d’oubli
#81 | Elle a marché au bord des falaises
Un pas avant pas arrière
Tout contre le vent
Elle a lesté son corps nu
Des empreintes des fissures
D’un passé inconnu
#82 | Elle s’est égarée
Là où les eaux s’écoulent
Où l’onde sillonne
Saules tortueux et rivières
Elle aura suivi le clair-obscur
Les chemins de traverse
À la poursuite éternelle
Du cabaret des oiseaux
#83 | À l’ombre saline
Elle a cueilli
Une joie aiguisée
Un étonnement du cœur
Elle a accueilli
L’océan immense
Etourdi parfois
Tumultueux toujours
#84 | Jusqu’à la grève,
Un, deux, trois, soleil !
L’extase d’un plongeon !
#85 | blanc bleu pâle
et rose parme
sous le ciel calme
un poisson traverse
de toute flamme
#86 | De l’aube à la fin du jour
Elle a flotté
Fragile de silences
#87 | Ce serait hier
Des lambeaux de voix
Des rumeurs vides
Elle enjamberait demain
Comme un vague à l’âme lointain
#88 | Enlacée, embrassée
elle a ri
à
la
folie
#89 | Pendant qu’elle doute,
Pendant qu’elle oublie,
Frissonnent la pluie,
Et l’éclat de mille fleurs.
#90 | Sous les paupières
dansent les secrets
les cris
les coups de nuit
et un léger silence
#91 | Les couleurs succombent
Aux mélodies du temps
S’éparpillent et respirent
Les regards éblouis
#92 | Dans son paysage écartelé
Elle respire l’étonnement
D’une fragilité passée
#93 | Elle a sauté pieds joints
À l’orage des flaques
Les bonnes inondées
Elle a compté les gouttes
Une à une mêlées
Paupières éclaboussées
#94 | Elle est ressorts
et palpitations
Elle grenouille
Elle serpente
Elle croque papillons
#95 | Elle a dit : je reviens
Je ne veux pas que tu regrettes
Elle enchaîna le portail
Les draps claquaient au vent
Elle partait sans bagage
#96 | C’est un souvenir où l’ombre s’arrête
Un paysage et Elle
Sans trop de lumière
Elle que je découvre le soir
Lorsque le monde s’endort
#97 | Elle a glissé sur une pluie
d’élégants grêlons
pour relier ciel
et éclairs
comme feu follet
#98 | Elle a dévidé la mémoire
En un fil si léger
Qu’il s’est envolé
Au souffle printanier
#99 | Elle a renoué les nous-deux
Au grand écart de leurs bouches bées
Et dansé dansé
En éclats de rire
Sans filet !
#100 | Elle a entendu le passé
Comme une nuit musicale
Sur un chemin de broussailles
C’était gris d’ombres
Et échos silencieux
#101 | À la dernière minute
Elle s’est endormie
Au son blanc
De la nuit
#102 | Elle a chanté
Un degré !
Un degré virgule cinq !
Juste 1 ! Un virgule 5 !
Elle a vu les plastiques
Se noyer à la vase
Et elle a pleuré
#103 | Lentement
La nuit a parsemé le jour
D’un froid arc-en-ciel
#104 |
si elle court
si elle peine
si pour rien
si ailleurs
si que là
si elle passe
où va-t-elle ?
ne pas s’attarder et se secouer parce que ça s’est imprimé
en rester au plaisir d’avoir trouvé chemin vers ce carnet
Merci Brigitte de vous être attardée sur ce chemin.
Ai aimé tes ciels, ton bleu lagon
Ai retenu les taches de rousseur
Ai pleuré sur tes « ne pas s’attarder », tant de dégâts autour de nous à cause de nous…
Merci beaucoup Françoise de t’être attardée sur mon carnet
Beau carnet plein de vie et plein d’histoires à naître
Un sens de la notation réjouissant
Merci
je découvre aujourd’hui ce carnet qui est d’une beauté !
autant dans sa forme (ne sais pas faire ça) que dans son fond : concision, beauté des évocations, poésie, trouvailles langagières, rythme.
suis soufflé.
merci — tenterai de ne pas oublier d’y revenir.
Merci d’être passé par là ! Et ce message me fait beaucoup de bien.
ça alors, tu as rattrapé ton retard depuis que je ne suis pas passée par chez toi… super !
et sympa tes petits hublots colorés, ils rythment la lecture, donnent envie…
à tout à l’heure au zoom (cette fois j’y serai en vrai, je pense…)
Hublots vers autre chose, une ouverture du carnet vers des textes plus longs, peut être…
je suis revenu, pas oublié.
toujours aussi beau et bon, avec ce #19.
merci
Merci !
vivacité du 19 (vu par petite vieille)
Quel beau carnet. Le travail sur la trace #18 m’a touché. L’éventrement de l’école-prison aussi. Grand plaisir à parcourir votre carnet.
L’écriture de la #18 est en écho avec des recherches que je poursuis actuellement aux archives de La Rochelle. Je fouille, je fouille, sans rien trouver pour le moment.
j’avais perdu la trace de ce splendide carnet — retard rattrapé — toujours aussi beau.
Admiratif de l’ensemble qui se lit et se relit pour sensations/images.
J’ose le dire : talent.
Merci.
chanson pour qu’ils sautent bien
out petit fait divers peut-être et raconté en style journalistique parfait, mais la conclusion semble sage
J’avais de nouveau perdu la trace de ce splendide carnet — décidé de noter ceux à ne pas manquer tant ils évoquent — émeuvent — en si peu de mots — je radote : talent
Merci
Oui Fabienne
Tu nous enchantes chaque jour, bravo et merci !
À te lire encore, à se soutenir aussi, s’il en faut.
Merci Gwenn d’être passée par là.