C’est cette heure où il est impossible de rouler sauf à avoir le chemin dans la peau. L’horizon est une incandescence jaune, brûlante et plonge le regard dans une cécité qui ride les paupières. Tout écarquillement est vain et douloureux. C’est en remontant, c’est en fin d’après-midi. Le soleil, au bord du déclin, crache des myriades ivres qui déforment le réel et l’absorbent. Impossible d’être certain que la montagne est bien là, que le réservoir d’eau n’a pas bougé, impossible de décrire quoi que ce soit sauf à le porter en soi, alors que l’incendie du crépuscule prend tout à revers. Dès qu’on aura entendu, sous les roues, le bruit ferrailleux de la grille qui franchit une tranchée creusée dans la pierre pour récupérer l’eau -quand il y a de l’eau, elle est précieuse- ce sera l’annonce imminente du virage au détour duquel, on aura, pour cent mètres, le soleil dans le dos. Tout réapparaîtra alors, derrière soi, et on changera de point de vue, après la courte mise au point qui rééquilibre les contrastes. L’œil, l’iris contracté, s’épuise aux jeux d’ombre et de lumière imposés par l’extérieur. C’est ici que cela se trame, on le sait, ici et maintenant, on étend le maintenant aux jours qui viennent, on n’ose plus parler de semaines. Sur la portion d’ombre, on s’arrête un peu, on tente de rassembler les miettes de l’effritement qu’on est devenu. Cet éblouissement, l’au revoir annoncé que l’on n’attendait pas, les prémisses de l’adieu. Au-delà des paupières, un autre œil assiste à l’effroi suscité, tout intérieur qu’il est, introspecteur et lent, il balaie la voute crânienne minutieusement, y sème et y récolte des sursauts qui s’entassent et dans lesquels on essaiera, ensuite, de mettre de l’ordre. La mort possible, la mort probable, l’inéluctable mort vrille l’esprit comme la lumière le champ de vision, la mort aveuglante qu’on n’a pas vu venir. Les deux yeux s’examinent, s’entrelacent et se croisent. Sur l’étroite crête qui forme frontière, le premier cherche les lignes de fuite et un lavage à grande eau, l’autre quête les mots et une infime raison de nier l’évidence. On repart et revient la gifle, solaire et violente, on avance et on sait, qu’à nos pieds, s’étend une lave ardente. On murmure pour soi que c’est impossible, que non, on cherche en soi des issues alors que du dehors et du dedans, les yeux sonnent la même alarme.
Très beau. Un début flamboyant. Le chemin qu’on a dans la peau et plus loin le porter en soi. Beaucoup aimé cette façon de parler de ça ! Merci
Merci beaucoup Anne. Ce texte conclut une série écrite au cours de cet atelier. Le tout m’a beaucoup aidée dans les interactions extérieur intérieur que je vivais par ailleurs.
Puissant. Plongée dans ce chaudron aveuglant de lumière et de chaleur, dans cette énigme qui m’inquiète et me remue. Les phrases fouettent et tous les sens sont touchés par votre texte. Merci.
Magnifique ! Une vision et une écriture à la fois différentes et proches d’un chemin parcouru dans des textes antérieurs. C’est très beau, intense.