Les yeux grands ouverts ne voient rien ne s’attardent pas gardent pour la nuit les images du jour et la nuit entre par leur canal dans le cerveau endormi qui découvre ce qu’il n’avait pas vu ce qu’il n’avait pas voulu voir les êtres informes assis sur les trottoirs trop fatigués pour tendre même leur sébile les pas précipités qui les ignorent les effacent fragmentent l’espace en autant de minutes arrachées à la dévoration du temps cet ennemi aux multiples facettes et les chiens qui s’attardent à renifler l’univers pour en mesurer les humeurs les enfants perdus dont la main esseulée découvre la profondeur de l’abandon. Les devantures de magasins toutes semblables et différentes à la fois brillent de leur vacuité, gonflées de marchandises inutiles elles regardent passer la foule cherchent à provoquer le regard offrent le reflet d’un possible désir s’efforcent tant bien que mal à se rendre attirantes. Plus de banc dans la rue qu’essouffle la pestilence des gaz d’échappement on y est condamné à déambuler sans fin sans but aussi si ce n’est celui que font les chaines qu’on emporte partout avec soi. On marche à l’aveuglette poussé par une force on ne sait d’où venue sous le regard d’affiches criardes qui dégueulent leurs obscénités à tour de rôle avec entêtement dans une innocence réjouie ; à force d’excéder le regard, elles en abrasent les aspérités, les fondent en une pâte doucereuse qu’on avale en marchant. Plus rien n’a d’importance ni l’accordéoniste assis par terre qui remue frénétiquement le soufflet mal réparé tirant sans cesse la même ritournelle désespérée ni l’humble peintre accroupi qui fait surgir une figure familière de la forme d’une bouteille ni la femme qui arpente la rue en invectivant un compagnon fantomatique ni celle au visage déchiré de pleurs ni le jeune homme muet parmi la foule suivant un parcours erratique sans autre but que de déceler dans un regard une simple convergence ni la perruche sur l’épaule d’un homme au pas déterminé qui recherche une scène où présenter ses tours. On est une foule un piétinement ignorant de son origine accomplissant sa tâche sans le savoir évacuant la saleté malséante des villes dans la complaisance repue de la veille. Mais la nuit cette heure d’oubli envahit les rêves taraude le sommeil hébète la mémoire qui ne se reconnait plus.
Très dur, très fort, très vrai, et cette phrase qui prend aux tripes : « les enfants perdus dont la main esseulée découvre la profondeur de l’abandon“
Merci de votre lecture. Bizarre comme la lecture des textes toniques de Cendrars m’amène là.
brrr…
juste.. l’infinie fatigue grelottante et les pas