Il – mais rien n’est moins sûr – est le sale gosse qui s’agite sur la banquette, frotte son derrière, forme des peluches sur sa culotte, choque son monde, attire les regards, découvre l’ennui et l’inconfort en lui, vit déjà plusieurs vies, tue à mains nues un papillon. Quel âge a t-il quand il descend sur le quai ? Les lignes de son visage tracent des énigmes pour l’œil, pourquoi pas, un rébus, une forme qui en devient une autre, en permanence, son existence est indiquée dans un jeu de mot fait il y a longtemps, seule preuve, il y a aussi son accent dans l’indication qu’il donne au chauffeur de taxi, l’accent qu’il ne peut situer sur une carte, il coupe la conversation impossible, n’est pas encore arrivé mais descend déjà. Expire. Revient. De son voyage, l’homme a son content de paysages : est-ce pour cela qu’il marche dans un rythme de battement, d’elles qui gloussent, jupes serrées sur leurs cuisses joufflues, il ne reconnaît pas les fillettes, il fripe avec le vent les enveloppements féminins. Quinte de toux dans sa paume. Comme un présage : le taxi ne va pas plus loin. Il poursuit sa marche en solitaire, c’est à ce moment que le smog le quitte tout à fait, manteau d’obsidienne se fraie un passage, des chemins en croix tranchent l’herbe. Le brouillard fait du silence une musique, les horizons s’affaissent, strabisme du voyageur. Tout est si vert par ici ! Il gâche la couleur à chaque pas. Cueille des fougères qu’il émiette sans émotion. Engourdi. Corps en état de dépossession. Remonte le chemin, à pieds, les herbes font la révérence. Les odeurs de feuilles brûlées qu’il pense reconnaître modifient l’expression de son visage. Il a des envies violentes – étancher sa soif, briser d’un coup ses doigts paralysés, marcher droit, retourner, fumer le cigare, sentir des draps propres, croquer dans le goût de son pays, briser l’équilibre d’un cairn, éternuer, percer ce brouillard d’un feu de forêt, être, sans ordre précis, déterminé. Il écarte les vapeurs de son manteau ouvert, il sort d’une de ses vallées profondes qui paraissent forêts. Il en a perdu le bouton de sa veste. Comme il a de grands gestes ! Il effraie les oiseaux de sa règle de quatre qu’il énonce tout haut. S’asseoir un instant, si près, peut-être, le soleil tente une percée, il est ébloui, se relève, le tronc laisse des traces sur son dos, il sent sa colonne vertébrale. Arrive au parc, on n’y arrive jamais vraiment, traversée, toujours, la terre est rare, il snobe le chemin de sable, réalise, oublie, recommence, l’encre de son billet a fait une tâche dans son pantalon, il soupire son voyage. Les fleurs dressent ici des murailles, il en oublie de reconnaître la maison. Une dame se confond dans toutes les lignes perdues de son regard, elle dresse la tête en réponse à son salut. Il prétend ne plus vouloir se raconter. Les zébrures d’ombres sur le miroir permettent une pause ; il reste encore de quoi penser l’autre. Esprit qui voyage. Leurs silhouettes incertaines sur la page blanche.
version sans « il », l’être devient fantôme (ô comme l’exercice est plaisant)
…qui s’agite sur la banquette, frotte son derrière, forme des peluches sur sa culotte, choque son monde, attire les regards, découvre l’ennui et l’inconfort, vit déjà plusieurs vies, tue à mains nues un papillon. Quel âge quand descend sur le quai ? Les lignes de son visage tracent des énigmes pour l’œil, pourquoi pas, un rébus, une forme qui en devient une autre, en permanence, son existence est indiquée dans un jeu de mot fait il y a longtemps, seule preuve, il y a aussi son accent dans l’indication donnée au chauffeur de taxi, l’accent impossible de situer sur une carte, coupe la conversation impossible, n’est pas encore arrivé mais descend déjà. Expire. Revient. De son voyage, l’homme a son content de paysages : est-ce pour cela qu’il marche dans un rythme de battement, d’elles qui gloussent, jupes serrées sur leurs cuisses joufflues, ne reconnaît pas les fillettes, fripe avec le vent les enveloppements féminins. Quinte de toux dans sa paume. Comme un présage : le taxi ne va pas plus loin. Poursuit sa marche en solitaire, c’est à ce moment que le smog s’en va, manteau d’obsidienne se fraie un passage, des chemins en croix tranchent l’herbe. Le brouillard fait du silence une musique, les horizons s’affaissent, strabisme du voyageur. Tout est si vert par ici ! Gâche la couleur à chaque pas. Cueille des fougères, émiette sans émotion. Engourdi. Corps en état de dépossession. Remonte le chemin, à pieds, les herbes font la révérence. Les odeurs de feuilles brûlées (pense reconnaître) modifient l’expression de son visage. A des envies violentes – étancher sa soif, briser d’un coup ses doigts paralysés, marcher droit, retourner, fumer le cigare, sentir des draps propres, croquer dans le goût de son pays, briser l’équilibre d’un cairn, éternuer, percer ce brouillard d’un feu de forêt, être, sans ordre précis, déterminé. Ecarte les vapeurs de son manteau ouvert, sort d’une de ses vallées profondes qui paraissent forêts. En a perdu le bouton de sa veste. Grands gestes ! Effrayant les oiseaux de sa règle de quatre énoncée tout haut. S’asseoir un instant, si près, peut-être, le soleil tente une percée, est ébloui, se relève, le tronc laisse des traces sur son dos, sent sa colonne vertébrale. Arrive au parc, on n’y arrive jamais vraiment, traversée, toujours, la terre est rare, snobe le chemin de sable, réalise, oublie, recommence, l’encre de son billet a fait une tâche dans son pantalon, soupire son voyage. Les fleurs dressent ici des murailles, en oublie de reconnaître la maison. Une dame se confond dans toutes les lignes perdues de son regard, dresse la tête en réponse à son salut. Prétend ne plus vouloir se raconter. Les zébrures d’ombres sur le miroir permettent une pause ; reste encore de quoi penser l’autre. Esprit qui voyage. Leurs silhouettes incertaines sur la page blanche.
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Image : Conditions in February de Lidija Ferenčak
richesse de ces dedans-dehors où ondoie l’étrange (té). C’est un univers d’inquiétude qui avance peut-être à pas gâche-couleur…
Les pas gâche-couleur promettent des promenades en tout genre ! Merci de votre lecture Jacques.
Apprécié les infinitifs. Et si infinitifs plutôt que « il » – mais rien n’est moins sûr – ? Merci pour le vert dépaysement
Naturellement l’idée m’habite ; affaire à suivre !
En vous remerciant de votre passage par ici.
Rétroliens : une forme qui en devient une autre – faire signe
Rétroliens : #L5 | Remous et renversement – Tiers Livre, explorations écriture
Ah j’aime beaucoup cet effacement de pronom, je ne m’y attendais pas. L’effet de surprise est interessant, et davantage ensuite l’effet de l’effacement. J’ai vu une silhouette se dessiner, brouillonner, solaire, flamboyante !
Merci Lisa ! En cours d’écriture de ma L7, je me disais qu’il serait intéressant d’effacer de temps à autre ce pronom masculin à la faveur de cette silhouette.