C’est un intime à qui on a dit au revoir sans y prendre garde, on ne séparerait de lui sous aucun prétexte mais il a vieilli, on a continué à prendre soin de lui, mais de plus loin. Ailleurs que dans le sac, la poche, le comptoir mal essuyé, la boîte à gants, le canapé, il a trouvé ses marques. Dans la partie basse de la bibliothèque, allongé sur une pochette cartonnée qui déborde de brouillons, il a, au-dessus de lui, un cahier grand format qui a choisi le même espace de repos. C’est un intime, un inséparable d’un temps, un de ces amis qui recueillent de nous les fragments, qui nous ouvrent leurs pages comme on ouvre les bras, silencieux, complices et gardent dans l’interligne notre mot à mot et nos dessins abstraits. En tirant un peu, le cahier vert est là, sa couverture dont je garde un souvenir caressant, pluche un peu, s’écorne et s’étonne autant que moi des retrouvailles des peaux. Toutes les deux ont vieilli, la sienne a pâli, le vert était plus soutenu, la mienne se strie de minuscules rides qui recopient mes doigts. Tu reviens pourtant au creux de ma main comme si tu ne l’avais pas quittée. Reconnais-tu le passage de mon index sur le papier quand il déchiffre avec moi ? L’encre aussi a pâli, celle du Waterman, et certaines notes au crayon sont devenues illisibles. C’est ici qu’est ta vie présent, dans le bas de ce meuble qui autrefois sentait la cire. Des tes feuillets finement lignés, j’ai gardé ce qui m’a suivie et habitée. Je te referme. L’intimité de mes notes est devenue la tienne. Tu voisines avec d’autres gardiens de mots, quelques lettres, tiens, que j’aperçois et que je n’ouvrirai pas.
Merci beaucoup pour ces longues phrases chaleureuses, bain de soleil sous votre voix, et soudain le vert a perdu son oxyde de cuivre
Merci Françoise, c’est très gentil. J’aime l’idée que la voix puisse diffuser un bain de soleil!
beau compagnonnage… nos objets familiers (même si le carnet a un statut à part) vieillissent avec nous et leurs blessures nous attendrissent