Un soir de décembre, la petite reçoit un message de son frère : J’ai eu un coup de fil d’H.… dans le genre je tourne autour du pot, ou plutôt du cercueil… Je fais court : « M est fatiguée, un jour j’y passerai, vous pourriez m’aider à agrandir le caveau, ou alors transférer le corps de votre mère près de celui d’A »… Je pense que maman n’est pas à sa place à San Martino, et vous, qu’en pensez-vous ? … Au début, la petite n’en croit pas ses yeux, elle ne devrait pourtant pas être surprise, ce n’est pas la première fois que H exprime son désaccord sur la présence de Petra dans le caveau, elle se réfugie dans sa chambre, cherche la réponse appropriée : C’est que je me suis habituée à aller la voir là-bas, et j’adore l’endroit, mais c’est vrai que San Martino, c’était un choix par défaut…vrai aussi qu’elle voulait être incinérée, après il nous emmerde H… — c’est un truc de famille, la grossièreté entre eux —. Le frère : Oui il nous emmerde, et oui elle voulait être incinérée… pas possible à l’époque il n’y avait pas de crématorium en Corse… et si nous le faisions ? La petite résiste : Je suis pas sûre qu’il ait un droit quelconque… Pourtant elle sait que ce serait bien la meilleure chose à faire, l’idée lui vient d’une cérémonie intime, eux les enfants, et leur mère, sur l’île — que la petite a depuis appris à aimer — où la douleur et la colère seraient tenues à l’écart, où ensemble ils respecteraient les dernières volontés de Petra, rien que ça c’est une consolation … Elle dit qu’elle est assez d’accord pour la crémation, on pourrait disperser ces cendres au village ou les déposer au cimetière près de Pauline, elle imagine déjà la scène au pied des cyprès … Son frère répond : Oui, il n’a aucun droit… Sa sœur entre dans la boucle des messages : Je ne sais pas vous, mais déterrer un mort ça me choque profondément… Maintenant, si vous pensez que ce serait respecter la volonté de maman … Elle hésite, son frère l’encourage : Imagine que maman soit vivante, et pose-lui la question sur sa volonté, elle te répond quoi ? … Oui c’est vrai, elle voulait être incinérée… On peut faire exhumer, mais ça n’aurait un sens que si elle va à Campile… La conversion reste en suspens. La petite fait des recherches sur internet : Peut-on exhumer un corps vingt ans après sa mort ? Peut-on incinérer un corps vingt après sa mort ? Auprès de qui obtenir une autorisation d’exhumation ?… La mort et son cortège de discussions sont absurdes… Le frère a trouvé sur le web des articles, on peut procéder à une incinération, même dix ans après… Je vais vérifier ça légalement, ce serait le plus simple, et conforme à ce qu’elle aurait souhaité… Faut vérifier s’il y a une place là-haut, on peut réduire le cercueil en urne avec ossements, comme tu dis, c’est absurde… si je meurs avant vous : incinération, et ensuite trail entre le Monte Cinto et Paglia Orba pour jeter mes cendres… La petite : Pour le trail tu rêves !!! … Bon. Où vous pourrez alors, en fait je m’en fous, ou alors transformez moi en engrais à bonsaï ! La sœur : Ah ! ah ! ah ! pas sûre que ce soit légal… Qui saura ? D’ici là tout est possible … c’est très développement durable le coup de l’engrais. La petite : Je crois qu’en Californie ils le font, entièrement bio, sans cercueil, j’avais vu ça dans Six Feet Under. Elle finit par rire derrière l’écran, elle entend Simon et les filles s’affairer pour le dîner, ils vont trouver ça tellement bizarre. Elle pense que son frère et sa sœur rient aussi. Ils se disent que vraiment Petra a eu une vie hors du commun, bruyante, remarquable. Que c’est quand même un peu fou que — vingt ans après — sa mort puisse faire autant de bruit. La petite dit que c’est un peu normal, qu’après tout elle est morte deux fois, sans doute pour cela qu’il leur fallait aujourd’hui se confronter une deuxième fois au langage étrange des services funéraires. Ainsi ce soir d’hiver, ils se sont résolus, frère et sœurs, à exaucer vingt ans après son décès les dernières volontés de leur mère, il fut décidé d’organiser la cérémonie l’été suivant.
reprise d’un dialogue amorcé dans le pdf, la consigne m’a permis de déconstruire, et de nourrir
Bonjour et merci pour ce texte qui est d’un dynamisme qui retranscrit bien les échanges instantanés par écrans, quelle bonne idée! A travers les mots des personnages on ressent aussi leurs liens et la personnalité de Petra, ou du moins ce qu’ils leur en reste et qu’ils cherchent à continuer à faire vivre. Et aussi très intriguée par le « après tout elle est morte deux fois » qui donne envie d’en savoir plus, je m’en vais lire vos autres textes!
Merci Géraldine, vous me faites penser que j’ai oublié le codicille… pas sur que vous lèverez le mystère de la double mort de Petra… tout flotte encore (d’ailleurs pdf pas du tout à jour, faut que je m’y remette)…