Debout devant la fenêtre elle regarde la rue la rue toute droite qui s’arrête d’un coup s’étrangle est fermée par une grosse tour en béton un bunker elle l’a toujours vu là gris massif il fait partie du paysage ne signifie plus rien elle n’y pense même pas il ferme juste la rue la rue pas longue pas grande pas de commerces mais de jolies maisons d’un joli quartier qu’elle a toujours connues longées frôlées sonnant parfois aux portes en cachette avec les petits cousins délurés courant ensuite à perdre haleine pas vu pas pris debout devant la fenêtre étroite à deux montants et deux vitres deux pênes deux poignées grinçant couinant raclant les cadres il faudrait les reprendre huiler vernir mais c’est fini la fenêtre ne lui appartient plus c’est la dernière fois qu’elle regarde par la fenêtre latérale de cet Erker en saillie sur la rue lieu stratégique pour voir observer surveiller fenêtre haute étroite largeur d’épaule de femme d’épaule de mère qui s’y tenait pour regarder les enfants partir silhouette de mère faisant des signes de la main elle se retournait toujours pour regarder répondre à la mère avec sa main son bras en sautillant en dansant plus tard plus calme sérieuse furtive mais elle n’oublie jamais le signe de la main la mère est toujours derrière la fenêtre regarde la rue les gens qui sortent elle les connaît tous ou presque dans le temps on connaissait les voisins même en ville tiens c’est un invité il vient tous les lundis elle se rappelle sa mère qui connaissait tout le monde c’est fini elle ne connaît plus personne elle n’est plus d’ici mais il y a encore les arbres les senteurs du tilleul au printemps les cierges roses sur les marronniers le gazouillis des oiseaux mais fini les sabots des chevaux qui martelaient le pavé en promenade déménagés vers les faubourgs verts l’hiver la neige qui tombait qui couvrait la rue les voitures devenant de petits tas de neige on ne les reconnaissait plus on ne les retrouvait plus sous leur chapeau de neige le rire des enfants sur la luge qui descendait les talus en pleine ville les sonnettes des vélos plus tard pour les sorties du dimanche d’été chaleur baignade amitié une vie simple revue par la fenêtre le soleil qui entrait à flots un appartement au premier plein de soleil plein de fenêtres quelle chance cet appartement en ville il faudra faire les adieux oublier c’est fini on ne gardera pas plus personne c’est elle qui reste qu’est-ce qu’elle ferait de cet appartement plein de fenêtres elle n’est plus d’ici plus personne maintenant c’est elle l’aînée de la famille elle repartira n’en aura pas besoin la fratrie non plus chacun le sien tant pis pour les fenêtres le soleil du matin au soir les arbres la rue même la tour grise massive moche finira en souvenir ému les souvenirs enjolivent émoussent rosissent bleuissent pâlissent s’effacent se recréent se refaçonnent pour être emportés ailleurs elle repartira ailleurs quitte ses fenêtres d’antan pour retrouver ses fenêtres sur la montagne sur la rivière retrouver d’autres arbres d’autres senteurs d’autres bruits d’autres souvenirs un autre monde une autre vie
le lien entre les fenêtres et la famille, le temps, les dilatations et resserrements de la tribu, les changements
Merci pour votre commentaire. Famille, tribu, temps changements et continuité, des mots qui m’ont marquée. Le fait d’écrire provoque, les souvenirs remontent, précis ou diffus, la vie les perpétue
Waouh !
Merci Stéphanie, je te retourne l’exclamation! Tu me surprends encore à chaque article…Je viens de lire les derniers, 7 et 9, waouh!
Très beau texte Monika et cette mère qui fait au revoir de la main par la fenêtre …..quelle belle image!
Merci, Chrystel. Un peu de mélancolie, même les souvenirs heureux peuvent étouffer un peu…Allez, on avance! On écrit…