Tout un mois d’août sur la ligne 21 des TCL

L’aventure commence à l’arrêt de bus

De l’arrêt de bus, il ne restait que deux piliers verticaux métalliques gris anthracite qui portaient encore les informations sur la ligne, ses arrêts et les horaires. La cage en verre et les sièges avaient disparu, juste une empreinte au sol dans le goudron du trottoir et la marque en creux des poteaux qui avaient dû soutenir l’ensemble. Pour le confort des voyageurs, on avait coupé l’herbe du talus et il en restait des brins séchés dans les fissures du revêtement.
Était-elle au bon endroit, dans le bon sens, à la bonne heure ? Personne à qui poser des questions. Elle n’était pas coutumière des transports en commun et s’aperçut que la lecture du plan et de la fiche horaire exigeait de la concentration. Les exceptions de jours, de période (scolaire ou non) figuraient en renvoi à côté de bon nombre de chiffres et il y avait aussi un itinéraire alternatif. Elle demanderait au chauffeur.
Elle décida d’attendre en égrenant la liste des arrêts : Montfort, Chamagnieu, Plambeau, Limonest cimetière, Limonest centre, Limonest maison de retraite, Limonest place, Les Balmones, Paris, Hameau du puy d’or, Les villas, Limonest le puy d’or, La Gabrielle, Allée des hêtres, Rue des vergers, L’époux, échangeur sans souci, Dupuy, La Tuilerie, Champagne chemin du pavé, Champagne de Gaulle, Champfleury, Champagne centre, Champagne Lanessan, Duchère avenue de Champagne, Duchère Balmont, La Piemente, Mouillard, Gare de Vaise. La plupart ne lui disaient rien (elle parcourait d’habitude ce trajet en voiture), mais chantaient bien à son oreille et racontaient un peu l’histoire de l’urbanisation de ces faubourgs de Lyon ; les habitués devaient connaître cette litanie par cœur. Ne voyant rien venir, elle marcha jusqu’à l’arrêt suivant au milieu des herbes folles du bas-côté que personne n’avait coupées. Chamagnieu, tout près d’une immense bâtisse dont le parking comptait de nombreuses voitures, l’ancien château de Montfort qui avait été relai de poste puis forge, puis vendu en plateaux par un promoteur. Une automobile s’arrêta (peut-être pour l’inviter à monter) puis repartit au bout d’une minute ou deux. Pas très loin, elle voyait le panneau de l’arrêt suivant : Plambeau, ortographié Plambost sur les cartes antiques, signalé comme maladrerie ou comme hôpital. Elle attendrait là sous les platanes qui bordaient encore cette départementale, l’ancienne route royale n° 6 qui avait connu les diligences du temps où elle reliait Paris à Lyon et dont le tracé avait été rectifié avant 1850 pour éviter la côte de Limonest trop rude et trop mal famée dans la traversée du bois d’Ars.

arrêt Montfort, direction gare de Vaise


Dans ce village où elle vivait depuis vingt ans et dont elle connaissait un peu l’histoire, à quelques minutes à pied de sa propre maison, elle se sentait en terre aussi inconnue qu’au bord d’une route du Kazakstan. L’expérience en valait la peine. Le trafic incessant de voitures et de deux roues aurait pu la ramener à des sensations moins exotiques. Mais n’étaient-ce pas de dangereux trains routiers fonçant vers leurs lointaines destinations qui la frôlaient ? Le sentiment du danger la fit s’écarter un peu plus du macadam pour attendre en sécurité.

La passagère du 9 h 27

L’expérience lui avait tant plu qu’elle décida d’y retourner le lendemain. « Observez, observez, observez sans cesse » conseillait Henry James à Virginia Woolf. Il y a tant à voir quand on regarde le monde. D’y retourner et d’y rester plus longtemps, car elle avait maintes fois remarqué qu’en demeurant au même endroit, il se passait des choses, on percevait autrement, comme si l’image s’animait. Une heure suffirait par cette canicule, jusqu’au 9 h 27, dernier bus de la matinée en été. Elle regarda différemment les traces de l’ancien abribus, avec une certaine colère devant le gâchis : son mari lui avait appris que Decaux n’ayant pas remporté l’appel d’offres du grand Lyon, décroché par une autre société, les abribus avaient été démontés pour être remplacés. Les animaux qui broutaient dans le pré surplombant l’arrêt Montfort ne s’approchèrent pas plus d’elle que la veille ; c’étaient les chèvres naines et les ânons du boucher du village, un amoureux des bêtes qui gardait là une sorte de petit zoo vers lequel les parents conduisaient souvent leurs enfants munis de croutes de pain et des carottes. La maison qui jouxtait le pré était celle du boucher, elle reconnut le nom sur la boite aux lettres ; une maison des années 60 qu’on voyait sur les vieilles cartes postales du village, une des premières maisons neuves, avant le développement des lotissements dans les anciens vergers et les parcelles de vigne. Le trafic routier était intense comme la veille et beaucoup roulaient veilleuses allumées alors que le soleil était déjà haut : venaient-ils de si loin qu’ils étaient partis de nuit ou était-ce une nouvelle pratique ?

vers Limonest, à vélo

Personne ne s’arrêta ce jour-là. En arrivant à l’arrêt suivant (elle avait suivi le même parcours que la veille), elle aperçut une jeune fille qui téléphonait dans l’étroite raie d’ombre que projetaient les panneaux d’information, une de ces longues conversations que les jeunes tiennent avec un kit mains libres, écouteurs bien vissés dans les oreilles. Impossible, sans la déranger, de lui demander l’autorisation de la prendre en photo. Sans même avoir le temps de cadrer, elle se contenta d’une photo volée, de dos, alors que la fille montait dans le bus. Jeune et jolie, blonde et toute tatouée sur les deux bras et dans le cou. Par chance la photo était réussie. Demain, elle reviendrait avec sa carte de bus et la suivrait. Il faudrait vérifier qu’il y avait bien un 9 h 27 le samedi. Sinon, elle reviendrait lundi.

Botanique de bord de route

Le samedi, elle arriva trop tard. Le seul bus de la matinée passait à 7 h 16. Pas de 9 h 27. L’occasion de faire de la botanique de bord de route, comme le préconisait Gagnepain son prof de biologie en prépa ; être capable de reconnaître la flore, même en voyageant en train ! Elle n’était jamais devenue une vraie experte comme le chercheur du Museum d’histoire naturelle qu’elle avait consulté pour préparer une mission : un minuscule fragment d’une plante inconnue  lui avait suffi pour nommer le cram-cram. Sur le terrain, elle avait bien vu que c’était une des herbes les plus communes de la flore sahélienne, mais son admiration pour l’expert était restée intacte. Qu’était devenu l’herbier qu’elle avait rassemblé alors ? C’était sa mission pour un organisme aujourd’hui disparu, collecter et déterminer les plantes, mais aussi décrire la flore traversée en Land Rover : dès que la végétation changeait, elle notait le kilométrage et le type de végétal dominant ; parfois ils s’arrêtaient pour couper un mètre carré d’herbe et le peser en vue de connaître le potentiel fourrager du Sahel mauritanien. Très lointains souvenirs.
À l’arrêt Montfort, elle reconnut les carottes sauvages à leur fleur centrale pourpre tranchant sur l’ombelle blanche, le liseron des champs, un gaillet, du ray-gras, le silène blanc appelé compagnon blanc et dont les feuilles peuvent se manger en salade lorsqu’elles sont jeunes, la laitue sauvage, le réséda, l’armoise, des ronces et des repousses d’églantier, mais il y avait aussi des plantes, pourtant très communes, qu’elle ne connaissait pas ou dont elle avait oublié le nom. Accroupie sur le talus pour une photo, un gros hymer noir la klaxonna. Connard ! Suite à l’orage de la veille, elle était pourtant très correctement vêtue et chaussée, en randonneuse.
Son appli plantnet lui fit découvrir le crépide et le picride qui fleurissent jaune et l’euphorbe faux cyprès (elle brisa la tige pour vérifier la présence de latex blanc) et retrouver la petite pimprenelle et le chénopode blanc. Un vieux monsieur passa promenant son chien en laisse, ils se sourirent.

Mont verdun


Plus loin, l’herbe n’avait pas été coupée, l’armoise (à ne pas confondre avec l’ambroisie) et la berce atteignaient leurs vraies dimensions gigantesques et fructifiaient déjà. La femme du boucher avait ouvert son portail et après une laborieuse manœuvre de son SUV blanc s’apprêtait à prendre la départementale, en la coupant. Elle baissa sa vitre pour s’adresser à la photographe, mais refusa d’être prise en photo. La photographe expliqua son projet, l’espoir de l’exposer grâce aux TCL qui lui avaient fait cadeau en début d’année d’une carte de dix voyages gratuits. La bouchère enchaîna :
« les TCL, il faudrait qu’ils coupent les herbes, vous avez vu, et les abris, tous disparus.
– C’est le changement de concessionnaire.
– je sais, mais quand même.
– avec cette circulation, ça ne doit pas être facile de sortir de chez vous ?
– Oh non, on attend, c’est tout ! »
Tant pis pour la photo, les automobilistes se pardonnent tout entre eux et cette brave dame qui ne devait jamais prendre les transports en commun avait malgré tout une plainte à leur adresser ! Foutu pays d’individualistes !

Départ pour Berlin

On était dimanche et il pleuvait. Elle partit assez tôt pour ne pas rater le 9 h 39, avec un vêtement de pluie à capuche. Pendant la nuit, elle s’était souvenue du livre de Maspéro Les passagers du Roissy-Express ; n’avait-il pas écrit également sur les aires de l’autoroute du soleil ? Lui ou un autre, elle avait toujours aimé les écrivains voyageurs, encore plus ceux qui parcouraient les trajets les plus balisés, inutile d’aller en Sibérie ou au Sri Lanka pour rencontrer l’aventure. Difficile d’être original aussi depuis Ulysse.
Puisqu’elle avait du temps, elle marcha jusqu’à l’arrêt Plambeau en suivant la piste cyclable qui s’étrécissait parfois tellement qu’elle dût emprunter le cheminement piétonnier que d’autres avaient dessiné au fil du temps. On était derrière les troncs des platanes et ça évitait les gerbes d’eau des voitures. À Plambeau, la piste cyclable disparaissait.
« Vous prenez le bus en photo ? », lui demanda le chauffeur lorsqu’elle monta. Il lui montra comment positionner sa carte pour acquitter le trajet et en retour elle lui expliqua le pourquoi des photos. Il l’avait vue à l’aller, il faisait le début de service jusqu’à 13 h, tous les allers-retours, puis un collègue prenait la suite. Le dimanche il n’y avait pas beaucoup de monde. Un barbu bavard monta à Limonest centre, il devait prendre le Rhône express, mais avant, le C6 pour se rendre à Part-Dieu et demandait des explications au chauffeur. Son avion de la veille avait été annulé (Easyjet l’avait appelé à 3 h du matin), il avait trouvé un vol sur Lufthansa, 80 euros plus cher, mais sans bagage, il avait mis quelques slips et des chaussettes dans son sac à dos et partait rejoindre sa copine à Berlin, après ils iraient faire du vélo au bord de la Baltique, elle était en vacances et logeait chez des amis musiciens à l’opéra de Berlin qui lui laissaient l’appartement ; à Saint-Pétersbourg en début d’année, le vol aussi avait été retardé, on les avait logés dans un lundge à l’aéroport, son visa expiré ne lui permettait pas d’aller à Moscou ; pour les photos, il était d’accord, il avait fait une fois le marathon de New York et avait retrouvé sa tête dans Le Progrès. Il la lui montra.
« Vous n’aviez pas de barbe.
– non, c’est en fonction des copines.
– j’avais été obligé d’appeler mon patron pour dire que je ne serai pas là le lundi.
– vous faites quoi ?
– Je vends des portails. »
C’était drôle un grand voyageur qui vendait des portails. Elle le lui dit.

Le chauffeur (sans uniforme)

La conversation continua entre le chauffeur et le marathonien (sur son fils qu’il aurait au mois d’août et emmènerait à Canet chez sa mère) pendant qu’elle tentait vainement de prendre une bonne photo. Pas assez de lumière, la priorité visage qui ne se déclenchait pas et le marathonien qui ne cessait de parler avec les mains. Au terminus à gare de Vaise, elle lui proposa de lui offrir un café, mais tout était fermé. Il n’avait d’ailleurs pas de temps à perdre s’il voulait avoir son avion à 12 h 40 à St Exupéry, mais il ne semblait pas pressé et elle réussit une photo presque correcte.
Elle avait 51 min à attendre pour le trajet de retour qu’elle passa à fouiner dans la gare. Elle apprit à recharger sa carte au distributeur et puis discuta avec un groupe de trentenaires qui se retrouvaient là pour aller faire une balade en forêt, un feu et un pique-nique. Ils étaient quatre et attendaient le cinquième. Ils faisaient ça de temps en temps, on était mieux dans les bois qu’enfermé à Lyon ou à Villeurbanne. Leurs sacs à dos étaient bien plus gros que celui du marathonien qui partait en vacances à Berlin. Le cinquième arriva de justesse. Comme prévu, c’était le même chauffeur. Il y avait un peu plus de monde qu’à l’aller. Elle resta au fond du bus à écouter les amateurs de forêt qui blaguaient sur le vol et la revente de trottinettes électriques. Ils descendirent à Belle-Croix. Elle remonta vers l’avant du bus pour parler avec le chauffeur, par correction et pour en savoir plus. Il ne faisait pas toujours cette ligne. Rester sur la même ligne, c’était bien, on connaissait les passagers, mais on devenait aussi moins attentif. Le terminus était à Limonest cimetière à cette heure-là et elle appela son mari pour qu’il vienne la chercher. Une autre passagère faisait du stop pour poursuivre son trajet, mais déclina l’invitation de monter avec eux et ne voulut pas non plus être prise en photo.

Solitude extrême

Lundi, elle retrouva la passagère du vendredi, celle du 9 h 27 (qui passait le lundi à 9 h 25 et le samedi à 9 h 39), toujours au téléphone, avec sa maman. La passagère tatouée accepta de bon cœur d’être prise en photo et confia qu’elle travaillait à la préfecture, mais la conversation n’alla pas plus loin. Elle l’aurait crue serveuse dans un restaurant et sûrement pas devisant longuement avec sa mère ; comme on se trompe sur les gens ! Elle la suivrait, mais s’arrêterait à Limonest centre pour s’offrir un café en terrasse. Ce lundi était déprimant, ce n’était pas le même chauffeur et elles n’étaient que cinq personnes dans le bus : une fille et sa mère, 50 et 70 ans qui parlaient allemand entre elles, la passagère , une toute jeune fille dont le profil pur resté dans l’ombre se détachait joliment sur le vert brillant des arbres qu’on voyait défiler par la vitre et elle-même poursuivant son enquête. Était-ce le lundi ou le mois d’août qui allait commencer ?
Elle but son café à côté de deux maçons de Ribeiro maçonnerie, teeshirt trop court, pantalon trop bas laissant voir le slip et la raie des fesses. « Revenez à l’occasion, je suis ouvert tout le mois d’août ; tout est fermé, mais moi je reste ouvert ». Il sentait approcher le grand vide du mois d’août, elle lui dit à bientôt et décida de rentrer à pied (3 km), car le terminus du prochain bus était une nouvelle fois à Limonest cimetière. Un silence de cimetière effectivement. Elle avait retrouvé la référence du livre qu’elle attribuait faussement à François Maspéro les autonautes de la cosmoroute qui décrivait toutes les aires de l’autoroute du soleil parcourue en camping-car Vokswagen. Les auteurs en étaient Julio Cortazar et Carol Dunlop qui l’avaient entrepris comme un dernier voyage, sachant tous les deux qu’ils étaient gravement malades et mourant peu après leur retour ! Cimetière aussi à Plambeau où la croix des Autrichiens invisible de la route commémorait une défaite de Napoléon en 1814. Cinq mille hommes (Français et Autrichiens mêlés) y avaient laissé la vie ou une partie d’eux-mêmes ; c’était écrit sur un panneau d’information accolé à la croix.

sentier de bord de route


Il n’y avait pas de trottoir, mais un cheminement possiblement piétonnier protégé par une barrière de ciment dans les grands lacets, puis par une rambarde en bois lorsque la route redevenait droite. La vue était belle sur la plaine et le soleil encore supportable. Les cyclistes aimaient cette montée malgré la circulation et l’étroitesse de la piste cyclable (le pochoir devait être étiré en hauteur pour tenir entre le bord de route et la bande blanche délimitant la piste, un cycliste en danseuse), elle en croisa plusieurs, muets et exténués par l’effort ; un, pourtant, sourit et se retourna en lui demandant de le photographier : la troisième personne de la matinée avec qui elle échangeait. Elle marchait sous des érables champêtres, parfois un prunier sauvage dépassait de la haie, couvert de fruits jaunes ou rouges. Ils étaient déjà presque mûrs et elle mangea deux prunes, une jaune et une rouge. Elle faillit marcher sur deux escargots accouplés et pensa que même les hermaphrodites avaient besoin de contact. Les symboles routiers et la profusion d’information sur les arrêts d’autobus (elle en parlerait une autre fois) avaient été ses seuls contacts humains en trois heures.

Souvenirs de voyage en bus

Ponctuation (absente) inspirée de Jacques Roubaud : Autobiographie chapitre dix (proposition 5 de l’atelier d’écriture de François Bon http://www.tierslivre.net/ateliers/

Habiter Loin

Elle s’aperçoit qu’elle a commencé son enquête au petit bonheur la chance, sans définir ni le champ d’investigation ni le protocole. Elle a choisi la ligne 21 parce qu’elle passe près de chez elle et que c’est une ligne historique. Le tramway des OTL venait déjà de Pont-Mouton jusqu’à Champagne en 1898, il a été prolongé jusqu’à Limonest avant la Première Guerre mondiale et puis les trolleys et des bus ont pris le relai, puis des bus uniquement, au départ de gare de Vaise quand la ligne de métro y est arrivée en 1997 ; la desserte jusqu’à St-Germain-au-Mont-d’or (avec tarification urbaine sur tout le long du trajet) relève d’un combat récent. Inéluctable avancée de la ville ou éloignement des habitants ?
7 h 22 jeudi 1er août, elle attend le bus sous le gros platane qui ombrage la terrasse du snack de St-Germain-au-Mont-d’or gare ; un terminus bien caché sous l’arbre entre le parking et le snack. Des gens se garent et courent vers leur train. Dans le bus tout le monde est sur écouteurs. Pas facile d’engager la conversation. Une jeune fille qui part aider son oncle, plombier installateur de salle de bains, pendant ses vacances. Elle est en BTS management et met ses écouteurs. Un jeune homme rejoint son poste de vendeur en jardinerie à Francheville, deux changements, termine en Vélib ; pendant l’année il est enseignant en aménagement d’espaces verts à Villeurbanne pour des publics handicapés. Contractuel, il démarre dans la vie, dépend du ministère de l’Éducation nationale, suit un programme du ministère de l’Agriculture, le dernier concours dans sa spécialité a été ouvert en 1997. Un bail, s’il dit vrai ! Tellement de confiance dans ses yeux, il dit son amour de l’enseignement.

il dit son amour de l’enseignement

Le bus s’est rempli à Champagne et à la Duchère. Vision des barres de la Duchère et circulation en site propre : tunnel en colimaçon puis rampe bleue au-dessus de la gare de Vaise, un des bons moments du trajet. Elle souhaite une bonne journée à l’enseignant et une pleine réussite aux concours.
8 h 25 gare de Vaise. Retour par le dernier bus qui couvre l’intégralité de la ligne dans la matinée (il y en a quatre autres le soir). Il est plein, y compris voyageurs debout. Elle engage la conversation avec un monsieur qui monte à la Duchère, canne, chapeau de paille. Il a pris la place des voyageurs à mobilité réduite, laissée libre. Il va porter un papier à son médecin à Limonest puis redescend (« ça fait une promenade ») et veut bien être pris en photo.  » Ça ne passera pas à la télévision ? » demande-t-il avec regret. Elle lui donne sa carte et lui parle de son blog. Elle le mettra en avant, peut-être se verra-t-il ? Il a des amis qui ont internet et Facebook. Pendant dix ans, il a été gardien d’immeuble à Limonest, sous la mairie et a conservé son médecin, un bon médecin qui le suit depuis vingt ans. Ensemble, ils regardent les chantiers de construction partout, tout au long de la route. « Et pourtant on dit qu’il y a du chômage ». Que répondre ? « Il y a de belles balades à partir de Limonest, j’en faisais quand je pouvais marcher ».
Justement, il y a un randonneur, sac à dos, chaussures de marche. Il part marcher dans les Monts-d’or, mais refuse la photo. Plus personne, la campagne qui défile. Les prés sur les pentes, puis les cultures sur le plat, blé déjà déchaumé, maïs en fleurs, maraîchage arrosé par aspersion, au loin un champ de tournesol tout jaune, des pommiers sous filet de protection. Ils ne sont plus que trois dans le bus. Une jeune fille toute bouclée descend à Machy. Stage de théâtre ? Elle n’a pas eu le temps de le lui demander. Et puis un garçon qui va « voir des amis » et réussit à négocier avec le chauffeur d’être conduit au-delà du terminus. Le trajet de retour (à vide) traverse la cité cheminote et les jardins collectifs sur les hauts. « Les amis » habitent sans doute là-haut, ça lui évitera toujours la montée !
Que veut-elle faire ? Collectionner des bouts d’histoire de vie, analyser la desserte de son village, explorer ces Monts-d’or qui surplombent la Saône aux portes de Lyon et que se partagent les militaires, les randonneurs, les établissements de soin, les châteaux et les écoles privées et les carrières; explorer comme le faisaient les écrivains voyageurs du XIXe siècle qui se passaient eux aussi d’automobiles ? Un peu de tout, y compris attendre tous les jours au même arrêt à la même heure et voir les abribus de sa commune se reconstruire. Elle va relire Rousseau et ses promenades dans le vallon de Rochecardon.

Lettre à Jean Jacques Rousseau pour l’informer de projets à Rochecardon

Cher Jean Jacques,
Je suis partie à la recherche du château de Rochecardon où t’invitait la bonne Madame Boy de La Tour. J’ai pensé que cela te ferait plaisir de savoir ce qu’étaient devenus le ruisseau et le vallon.
Rassure-toi, ils sont toujours là et bien verts, c’est autour que tout a changé. Tu pourrais encore initier Julie Boy de la Tour à la botanique comme tu le faisais dans quelques-unes des lettres à sa mère et sais-tu que l’herbier que tu avais rassemblé pour elle, existe toujours ; il est conservé à Zurich, les couleurs ont passé, mais les échantillons sont encore très reconnaissables. En revanche, j’ai mis du temps à trouver comment accéder au vallon pour te tenir au courant.
Pourtant, à l’arrêt la Gabrielle du bus 21, en face de Darty, il ne faut que quelques mètres par le chemin de Saint-André pour sortir de la zone commerciale de Champagne-au-Mont-d’or et découvrir le ruisseau et un chemin aménagé pour la promenade. Ensuite on continue par le chemin des rivières (qui est une route désormais bordée de hauts murs) qu’il faut emprunter jusqu’au bout. Le ruisseau disparaît alors et il n’est pas possible de le suivre jusqu’à la Saône. Il chemine sous la voie ferrée, le périphérique Nord et beaucoup de bâtiments construits le long des quais. Tous ces endroits ne sont plus du tout champêtres. Le château où tu as séjourné est perdu au milieu des villas, des routes et des rues ; c’est resté très chic sur la rive gauche du Rochecardon, tout le monde a sa piscine derrière les hautes haies de son vaste jardin. Sur la rive droite en revanche, tu serais peut-être déçu par la vision de la gare de Vaise et des barres d’immeubles de la Duchère que tu apercevrais de ton pigeonnier.

la zone commerciale Limonest-Champagne au Mont d’or


Ne crois pas que la vie soit devenue triste, elle est différente et on vit plus vieux. J’ai fait le trajet en bus avec une octogénaire en pleine forme (malgré un poumon en moins) qui partait faire ses courses au marché de la Duchère. Elle m’a raconté qu’elle passait l’été dans la maison de son fils à Limonest avec sa belle-sœur pour avoir moins chaud qu’à Lyon (un peu comme toi chez Mme Boy de La Tour) et ne voulait surtout pas que son neveu la conduise en voiture, car elle ne supporte pas la climatisation. Elle partait avant qu’il rentre de son travail de nuit, prétextant une visite à une amie, pour qu’il ne la cherche pas. Son fils était en vacances à Porto d’où la famille était originaire, elle avait aussi visité la Corse avec son mari juste l’année avant sa mort. Cachotteries familiales, petites préoccupations domestiques, tu vois rien n’a changé ! Je sais que tu comprends, tes lettres à Mme Boy de la Tour sont pleines de ces minuscules affaires et les universitaires se penchent quand même sur tes écrits avec passion.
Je rêve, tu sais, d’un vallon qui serait aménagé comme un grand jardin réservé aux promeneurs et qui partirait de la ville pour remonter jusqu’à la source du ruisseau. On l’appellerait vallon Jean jacques Rousseau on pourrait venir marcher, courir, pique-niquer et botaniser. Ce serait un peu comme le Mont Royal sur l’île de Montréal. C’est encore possible, j’en suis sûre, il reste des arbres pluri centenaires, des sentes et des sentiers un peu partout, mais la propriété privée a fait bien des dégâts. Je ne vais pas te l’apprendre.
N’écrivais-tu pas déjà ?
« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eut point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant un fossé, eût crié à ses semblables: Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ».
Cent ans après toi, on aurait pu en prendre le chemin, il y avait des guinguettes et l’on faisait la fête à RocheCardon, mais les choses ont pris une autre direction. Je garde bon espoir, Jean Jacques, car j’ai vu aujourd’hui beaucoup de marcheurs et de cyclistes sur la petite piste aménagée.
Bon jour à toi, Jean Jacques, sois persuadé qu’on ne t’oublie pas.

Ici, le poste de contrôle

Sais-tu que les conducteurs de bus aussi écrivent des livres ?
Non elle ne le sait pas, elle voit le monde de sa fenêtre comme tout le monde.
Combien faut-il de fenêtres pour appréhender la réalité ? la conductrice du bus en a plusieurs : le grand pare-brise avant, les deux rétroviseurs de côté,le rétroviseur central qui montre ce qui se passe dans le bus, les vitres de côté, l’écran du simulateur de conduite sur lequel elle a appris,pas d’écran de caméra de recul ni d’écran de GPS un jour peut-être.
Toutes des visions partielles du réel.
Mais même avec plusieurs points de vue et plusieurs cadres voit-elle autre chose que ce qu’elle veut bien voir (ce qu’elle doit voir) : le passager qui ne valide pas, l’enfant qui traverse, la voiture qui dépasse, la passagère chargée qui met du temps à monter ou à descendre, la courbe difficile à négocier quand elle croise un camion, le temps qu’il fait mouillé ou sec, les voitures qui s’impatientent derrière elle dans la montée, les cyclistes qui peinent et qu’elle ne peut dépasse, la pluie sur les vitres,la nuit le jour.
Mais voit-elle le passage des saisons sur la campagne ? le bâtiment qui se construit chaque jour un peu plus, les feuilles des arbres qui jaunissent, les fruits qui mûrissent dans les jardins, le magasin qui a changé sa vitrine, la publicité nouvelle sur l’abribus ?
Elle surveille l’heure, ne jamais être en avance.
Elle est pourtant plus attentive que le passager insouciant qui regarde le monde défiler ou la passagère perdue dans ses pensées de ce que sera sa journée ou de ce à quoi elle occupera sa soirée (et ce qu’elle fera à manger).
Voir plus, tout voir est-ce possible ? la passagère se fie à la fenêtre de son objectif au cadre de son viseur. Elle prétend voir plus en patientant en se laissant surprendre en revenant en parlant. Voit-elle vraiment plus ?
La plaine agricole de Chasselay un vendeur de pêches à l’arrêt Montluzin à côté de son verger (directement du producteur au consommateur, métaux lourds en prime) des gens pressés qui ne veulent pas parler ni se laisser photographier.
L’horaire, toujours l’horaire, à la minute près.
A l’arrêt gare de Saint-Germain-au-Mont-d’or le propriétaire du snack l’invite à rentrer dans sa cour et à prendre une chaise il a envie de parler pas si souvent sans doute sa mère est morte en 1978 elle possédait l’hôtel restaurant étoilé dont il est propriétaire maintenant il le loue à des jeunes qui tiennent le snack et il y habite Il est marié à une Africaine qui ne lui fait que des dettes lui l’ancien joueur de rugby ainsi va la vie.

vente de pêches sur le bord de la route


La plaine agricole à nouveau à Chasselay un groupe qui monte joyeux bavard ils veulent une photo de groupe Travaillent chez Bail à cueillir les herbes (la coriandre en ce moment) Italiens Algériens rentrent à Lyon où ils habitent et reviendront demain. Photo bougée. Elle la met sur Facebook pour qu’ils la voient.
En retard, ça va, mais jamais en avance !
Le stagiaire le plus bavard écrit (en arabe) c’est ses collègues qui le lui disent. Au hasard d’une navigation sur internet, elle lit la présentation du projet photographique d’un collègue.Incroyable suffisance des photographes !


« À travers ce projet développé en Écosse, le photographe découvre la lenteur du regard en se concentrant sur tout et en amenant le spectateur à capturer tous les détails, à lire la réalité directement, sans filtre ni réinterprétation. »

Repérage à la Duchère

Elle se dit qu’elle part en repérage pour ne pas ressentir au retour la déception d’un voyage pour rien. Elle s’attaque au plus difficile de son parcours sur le 21 : les arrêts de la Duchère, un autre monde sur cette ligne tour à tour villageoise, campagnarde, bourgeoise, industrielle (tertiaire) commerciale, urbaine. Un quartier populaire d’habitations, connu à Lyon pour sa piètre réputation, en pleine rénovation pourtant. Des barres ont été détruites, les façades sont refaites, les espaces verts propres.
Il fait chaud, elle fatigue. Est-ce elle ou le sujet qui s’épuise ? Ce matin, le bus n’est que bruits et cahots. Ça grince, ça crisse, ça couine, ça brinqueballe, ballotte, cahote, sur les ralentisseurs, dans les courbes, tout le temps. Peu d’arrêts demandés, ça va vite. Désagréable.
Des femmes voilées, elle le savait, elle le respecte, mais sollicite tout de même une photo. C’est non, gentiment avec ce mouvement de tête vers le haut qui veut dire non. Après, elle n’ose plus. Mère et fille, sœurs, femme seule, femme avec poussette double et deux petits enfants qui marchent, quatre en tout. Voiles noirs, voiles blancs, voile bicolore (beige et corail, très joli), lâche ou arrangé en turban plus ou moins compliqué, bien serré ou constamment remis en place par sa propriétaire, mère voilée et fille cheveux au vent longs et bouclés, mère vêtue de sombre et de long et fille en jean et baskets, elles ont toutes les deux leur portable à la main, mais ne s’assoient pas l’une à côté de l’autre dans le bus. D’autres femmes, des hommes aussi. Leur point commun : direction la zone commerciale de Champagne (Auchan, Conforama qui liquide et attire pas mal de monde) ou la clinique de la sauvegarde. Toutes très habituées à la lecture des panneaux d’information qui indiquent l’heure d’arrivée des prochains bus, à valider leur trajet en présentant leurs sacs sans sortir leur carte. Ces femmes ont des compétences qu’elle n’a pas, des compétences acquises devenues routines. Elle n’en est pas gênée (elle apprend petit à petit), mais leur reconnaît une supériorité.

arrivée à la Duchère


Monde de gens qui n’ont pas de voiture et qui ne marchent pas. Quand ils/elles demandent au chauffeur s’il dessert tel ou tel arrêt, il précise toujours s’il faudra marcher un peu ou beaucoup. Démarches lentes, encombrées, difficiles, surpoids, maladies, vieillesse, marmaille, respect du rythme de l’autre.
Ce n’est qu’un repérage, elle refera le trajet avec une meilleure connaissance des arrêts à explorer. Trop de soleil de toute façon, lumière trop dure et son appareil photo réglé en automatique (en pensant mieux faire et plus vite) qui gère mal les contrastes.
L’équipe du point chaud de la gare de Vaise lui fait bon accueil après avoir ronchonné sur le droit à l’image. Le cuisinier est là depuis 3 h du matin pour cuire les viennoiseries et préparer les salades. Ils sont jeunes, ils sont gais et amicaux. Le sourire de la matinée. Monde des gens qui se lèvent tôt pour servir les autres.

Petit matin à Coyoacan

Le samedi c’est jour de marché à la Duchère, au pied d’une des barres d’immeuble, dans un parking. Pas très dense en août, mais fréquenté quand même dans cette zone d’habitation que tous les commerces de détail ont délaissée (sauf la pharmacie) depuis longtemps. Il a plu pendant la nuit, l’air est frais et léger, humide, tout lavé de la poussière des chaleurs précédentes. Sous les tentes rouges et le pawlonia qui égoutte ses grandes feuilles, on pourrait se croire loin, à Mexico pourquoi pas, un petit matin à Coyoacan. Ça en a la fraicheur et l’exotisme discret.
Des femmes voilées font la manche en arabe et des témoins de Jéhovah proposent leurs brochures en français et en arabe « Six valeurs à transmettre à vos enfants ». Elle achète du persil plat à un marchand qui assure le cultiver dans son jardin. Il est d’un vert brillant, fourni et pas cher.
Elle a fait le trajet avec deux vendeuses (Besson — chaussures et Aubert — puériculture) qui embauchent à 10 h et 11 h. Elles viennent de Chasselay, en voiture jusqu’à Limonest cimetière puis en bus. Amusées par les photos, curieuses et maquillées, de bonne humeur, un vrai plaisir. Alors qu’elles descendent pour rejoindre leurs postes, une jeune fille noire monte avec un gros paquet qu’elle tient précautionneusement. C’est un énorme gâteau tout jaune avec de grandes oreilles (le pokémon pikachu ?) pour l’anniversaire de son petit frère Jao Gabriel qui a cinq ans, une pièce unique réalisée par un cake designer « Ô gourmandises de Mary » qui exerce au 1 rue du Tronchon à Champagne au Mont d’or. Sur son site internet, ce titulaire d’un CAP de pâtisserie propose des gâteaux pour des évènements (« pâtisserie événementielle ») et des ateliers d’initiation. 60 euros au moins le gâteau et ateliers de la journée à partir de 170 euros (plus cher qu’un atelier d’écriture !). Restez connectés sur Instagram et Facebook.

Pokemon pour l’anniversaire de son petit frère


Au retour, elle s’arrête dans la zone commerciale pour explorer le Cultura qui vient d’ouvrir, premier établissement culturel dans cette zone dédiée à l’aménagement de la maison, à l’habillement et aux produits sains (biocoop, la vie Claire). Un couple descend aussi, lui élégant polo orange assorti aux tennis, elle tout en noir et nu-pieds de plage, leur bébé en poussette, gras et boutonneux les yeux dans le vague n’émet pas un son. La mère lui donne pourtant un biberon d’eau puis lui confectionne dans le bus un biberon de lait. Six dosettes de poudre dans des récipients empilables ; elle en verse une dans le biberon, puis de l’eau en bouteille et agite vigoureusement. Plus tard elle les reverra qui arpentent la zone commerciale en sens inverse. La zone n’a rien du charme d’un centre commercial pour les sorties du week-end. S’ils savaient, il leur suffirait de descendre le chemin de Saint-André pour faire une promenade au frais dans le vallon de Rochecardon, mais ils ne le savent pas. Comme à Coyoacan, si on ne le lui avait pas dit, elle aurait raté la maison de Frida Kalho et de Diego Rivera comme celle de Trotski, ce qui n’aurait pas été si grave, car Coyoacan est de toute façon un très beau quartier, plein de grands arbres dans son souvenir.

Toilettes, porte à faux et marche arrière

Elle a reçu hier le premier des livres commandés, écrit par un chauffeur de bus. « Aventures et mésaventures d’un chauffeur de bus » de Michel Brocq. Un goût un peu trop prononcé pour les jeux de mots datés, mais pour le reste elle y apprend des choses : les soucis qu’occasionne la conduite avec un véhicule dont porte à-faux arrière et avant avoisinent les deux mètres et l’absence de toilettes aux terminus. Son mari, toujours plein d’un savoir incroyable sur le quotidien en termes de vie de la cité, lui rappelle que le bus 21 aurait eu un terminus à Montluzin si la mairie avait bien voulu tenir sa promesse d’y construire (et entretenir) des toilettes en bout de ligne. Rien n’a été fait et Limonest cimetière (avec ses toilettes pour visiteurs) reste le terminus le plus fréquent de la ligne, privant les lissilois d’une ligne qui doublerait le 61.
Pour le porte-à-faux, elle a beaucoup plus de mal à expliquer, mais, en gros, c’est la raison pour laquelle le bus empiète largement sur le trottoir lorsqu’il doit effectuer un virage serré, celle pour laquelle les ralentisseurs et autres surélèvements de la chaussée lui sont particulièrement néfastes d’autant plus que désormais la plupart des bus ont des planchers surbaissés pour faciliter la montée des poussettes et autres usagers à mobilité réduite.
Il faudra aussi qu’elle parle un jour de la buée, autre gêne majeure des conducteurs.
Premier dimanche de la semaine du 15 août, une semaine vide en France. Ça se confirme, un chien en profite pour faire sa promenade du matin sans maître, un homme chargé d’un gros sac (il va nager à la piscine du Rhône et préfère « rester discret ») échange sur ses vacances terminées avec une connaissance qui rentre de « chercher son pain  à Tataouine  ». Deux passagères âgées montées à Chasselay, assises l’une en face de l’autre sur les sièges réservés aux personnes à mobilité réduite, réjouies comme des collégiennes racontent qu’elles partent au marché St Antoine, bus plus métro D. il n’y a que le dimanche qu’elles peuvent faire ça en rentrant par le bus de midi, les autres jours, il ne fonctionne pas. Ça les sort, ça les amuse.
– Et la messe ?
– Plus jamais, avec tout ce qu’on entend !
Un ange passe, mais elles retrouvent vite leur gaieté  et s’engouffrent dans l’escalator qui descend vers le quai du métro.
Il n’y a plus beaucoup de curés, bientôt il n’y aura plus de paroissiens dans cette banlieue de Lyon où les enfants sont encore nombreux à fréquenter les écoles privées.
Grand vide à la gare de Vaise, il y a plus de pigeons que de voyageurs. Un homme ramasse une croute de pain qu’il émiette. Gros succès. Une femme fait de même. Ces bêtes ont l’habitude. Elle engage la conversation avec des « sapeurs » ; ça les fait rire qu’elle les appelle « sapeurs ».
– C’est plutôt les Congolais ! Nous, c’est pour la fête de l’Aïd.
– la fin du ramadan ?
– Non, l’autre Aïd, la fête du mouton, trois mois après la fin du ramadan.
Ils rentrent de l’office. Ils sont stylés, l’un en blanc, l’autre tout en vert, pantalon étroit, haut comme une djellaba courte, mais ils ne prennent pas le 21.

Il est hollandais et travaille pour l’été chez Acta


Un garçon et une fille qui parlent anglais entre eux, considèrent les horaires du 61 et se rabattent sur l’attente du 21, bientôt rejoints par une troisième. Ils vont au taf, chez Acta, plateforme d’assurance multilingue pour les automobilistes. Ils sont hollandais, mais travaillent surtout en anglais pour les Allemands, les Anglais et les Hollandais.
– J’ai eu un souci en Italie avec mon chien, il a fallu préciser qu’il me fallait un taxi et un hôtel acceptant les chiens.
– Ah comme les Hollandais qui voyagent toujours avec toute la famille, deux chiens, six lapins, trois poules, deux enfants. Il faut leur trouver un véhicule de remplacement, un réparateur, hôtel, taxi.
C’est son job, il a l’habitude. Juste pour les deux mois d’été. Son français est parfait.
Le 21, une fois de plus, l’a emmenée bien loin de son trajet habituel. De Nouadhibou à Nimègue en passant par le marché St Antoine et la piscine du Rhône. Pour eux aussi, ce n’est pas le bon arrêt, il leur faudra marcher, le 61 les dépose juste devant, pas le 21, mais il y a si peu de bus, encore moins le dimanche.

Profusion de signes

Entreprendre un voyage en bus, c’est entrer dans une profusion de signes et c’est parfois déroutant. Laissons la signalisation routière au conducteur, c’est des signes adressés au passager dont je parle.Des signes de toutes natures : plans, tableaux, schémas, pictogrammes, textes, logo, adresses physiques ou de site internet, numéros de téléphone, flashcode, affiches temporaires; des signes de toutes couleurs, polices, dimensions, pictogrammes et textes combinés; des signes informatifs, des injonctions, des conseils, des rappels de règles de comportement ou de civilité.Tout cela est généralement affiché sous l’abribus. Cela se complique encore dans le bus où ça ressemble à ça.
Il vous reste à ne pas oublier de regarder les affiches publicitaires grand format qui changent très souvent. Et si vous avez encore un peu de temps, imprégnez-vous des slogans de la campagne citoyenne contre le harcèlement sexiste.

comprendre un panneau d’arrêt de bus


Face au harcèlement sexiste, tout le réseau fait bloc
À se frotter… on se fait piquer avec un dessin de cactus (sur fond rouge)
Une main baladeuse…. un pied en prison avec dessin d’un boulet et d’une chaine (sur fond jaune)
Il se conduit comme un porc…je refuse de faire l’autruche
Il agit en prédateur…. nous réagissons
Il pense agir incognito…nous le voyons
victimes et témoins alertez-nous au plus vite

campagne TCL contre le Harcèlement sexiste

Où l’on s’interroge sur la posture de l’enquétrice

C’est le 15 août, elle rate le bus. Il part de Chasselay et non de St-Germain-au-Mont-d’or les dimanches et jours fériés. Elle essaie de le rattraper en voiture, mais c’est peine perdue ; ça va vite un bus le 15 août.
Elle explore un nouvel arrêt Les Balmones juste à la sortie de Limonest. Des villas anciennes avec chien (de garde), des villas en cours de rénovation avec lapin (de compagnie), mais pas grand monde. Une dame descend la route du Puy d’or avec un petit chariot, elle distribue des journaux publicitaires dans les boites aux lettres. Un monsieur monte, il porte à pied une lettre à la poste. Et puis des voitures qui passent dans les deux sens.
À sa grande surprise, le bus est bien rempli. Il n’y en a qu’un toutes les heures. Elle s’assied à côté d’un jeune homme qui porte un pansement à la main, il travaille en cuisine à Limonest et s’est brûlé, pas gravement heureusement. Un groupe de jeunes. Ils sont trois, ils viennent du Havre et sont logés chez un cousin dans le 9e pour 3-4 jours. Elle est vraiment jolie, lui a gagné des places sur Twitter pour un match de basket et le troisième a de très belles baskets multicolores. Ils ne connaissent pas Lyon, presque gênés d’être en pleine découverte devant elle. L’équipe de France de basket s’entraîne à Villeurbanne pour le Championnat du monde en Chine et dispute trois matchs pendant le week-end (Monténégro, Brésil, Argentine)

Elle est vraiment jolie


Sa posture d’enquêtrice n’est pas encore bien claire, même pour elle : je de diffraction, je de position, je d’interaction ou je d’incarnation. Elle a beau lire « Le nouvel âge de l’enquête » de Laurent Demanzé, tout cela est encore à travailler… d’autant plus qu’elle dit elle et non je.

  • Je de diffraction si elle mettait « au net le facteur personnel dans l’appréhension du monde » : elle dit bien qu’elle fait une sorte d’enquête et n’a pas l’habitude de prendre le bus, mais en cela elle n’est pas différente d’eux qui découvrent le bus en région lyonnaise. Certains d’ailleurs l’appellent pour la remercier de la photo.
  • Je de position si elle mettait « à nu une dissymétrie fondamentale […] accentuée par les effets de domination sociale ou symbolique » : les gagnants des places de match sont jeunes, elle pourrait être leur mère (et même plus), mais c’est vrai que certains voient parfois en elle l’artiste ou l’écrivaine et ça la flatte. C’est un atout dans certains cas, mais sûrement pas avec les femmes voilées ou les couples avec poussette qui vont se promener dans la zone commerciale.
  • Je d’interaction « qui permet de mettre l’accent sur les dynamiques intersubjectives, en pensant l’enquête sur le mode d’une négociation, en prise avec les enjeux sociaux du terrain » : c’est vrai qu’ils sont plusieurs à lui avoir suggéré de transmettre son reportage aux TCL.
  • Je d’incarnation « qui permet de penser l’enquête sur le mode de l’expérience dans un trajet physique » : elle se reconnaît bien dans ce je et c’est effectivement d’abord l’expérience d’un trajet physique dont elle ne maîtrise pas les codes qu’elle est en train d’explorer.

Merci monsieur Demanzé. Elle aime mettre de l’ordre dans sa perception du monde à défaut de s’y situer tout à fait correctement.
Dernière rencontre sur le trajet, c’est le marcheur avec son très long bâton de bambou qui ressemblerait presque à un bâton d’arts martiaux, mais qu’il a tout simplement coupé sur le chemin et qu’il garde depuis.. Il vient de Bron et part traverser les Monts d’or, 20 km de marche dynamique. Elle lui indique le chemin du vallon de Rochecardon lorsqu’ils passent devant le chemin de Saint-André… pour les jours où il voudra faire une promenade plus tranquille. Elle lui promet de lui envoyer la photo s’il lui donne son mail et elle le fait.

Mon protocole , c’est l’air du temps

Il y avait ce matin un air délicieusement frais et léger, l’air d’un matin comme en fait le mois d’août après le 15, quand s’annonce la rentrée. Un air qui rappelait celui du col de la République en septembre lorsque nous rentrions des vacances à la mer et que les plaques de chocolat oubliées sur la plage arrière durcissaient à nouveau, bonnes à être mangées. Il y avait toujours des colchiques dans les prés, celles auxquelles les vaches lentement s’empoisonnent.
Toute cette nostalgie m’a donné envie de faire étape au Puy D’or, arrêt du 21, mais aussi restaurant autrefois renommé sur la nationale 6, aujourd’hui disparu remplacé par le boulanger Paul. En venant de Paris, avant l’autoroute, on passait au Puy d’or comme cette famille qui y raconte sa halte en 1968.
(Carte et récit trouvé sur Nationale 7.com, un site de passionnés de trajets sur les nationales 6 et 7 en voitures d’époque qui se donnent rendez-vous aux points stratégiques pour reproduire les bouchons légendaires. Pour en savoir plus : http://routenationale7.blogspot.com/2013/11/carte-postale-de-limonest.html)

« Mon cher Daddy, Ma chère Mamy
(…) Depuis notre carte d’hier postée au Bourget, nous avons fort bien roulé. Partis du Bourget à 17 h 10, nous étions à l’autoroute Sud à 17 h 50, et à Chagny à 21 h 30. Fin de parcours très pénible, camions, virages et beaucoup de circulation en sens inverse. Mais un excellent diner à 10 h du soir chez Lameloise dans un décor qui a beaucoup de succès auprès des filles. Départ ce matin de Chagny à 9:30 et arrivée sous la pluie à Champagne au Mt Dore à 11 h 45. Voyez que nous roulons bien…
Fin de déjeuner, le ton monte ! Et la pluie descend. Nous pensons beaucoup à vous (…) »

texte au dos d’une carte postale
sur la terrasse de chez Paul, ancien restaurant du Puy d’or

L’ancienne terrasse existe toujours, mais il s’agit maintenant d’une salle fermée par des vitrages. Devant, sous un gros platane, une petite terrasse abritée de la circulation par des haies de troènes. On est presque sur le rond-point. J’y rencontre deux amies qui me disent y venir presque tous les jours même en hiver, papoter et prendre un café. Délicieusement bourgeoises, maquillées, bijoutées, elles hésitent à se laisser photographier puis cèdent de bon cœur. Nous parlons de tout et de rien, de la vie qui réserve des bons moments et d’autres moins, du prix des armoires normandes qui ne se vendent plus du tout, de la très bonne boulangerie des Chères qui réussit si bien les tartes fines. Il y a tant de bienveillance dans leurs sourires.
.Elles ont connu le restaurant créé par le père, repris par le fils. On y mangeait bien, du gibier en automne. Le fils était étoilé et les prix avaient beaucoup augmenté. Avec l’ouverture de l’autoroute A6, la clientèle avait sans doute changé. Un restaurant qui a brûlé plusieurs fois.
Le dernier incendie lui a été fatal. Le restaurant a fermé en 2012.
Je remarque que la carte postale de Limonest est datée du 17 août 1968, il y a exactement cinquante et un ans.

Lassausaie

Lassausaie, C’est le nom de l’arrêt du bus 21 au coeur de Chasselay, c’est aussi le nom du célèbre restaurant étoilé de Chasselay. Je doute que beaucoup de clients du restaurant y viennent en bus, compte tenu du prix des menus de 75 à 120 euros ! Un parking sous les arbres est à leur disposition en face du restaurant.
Chasselay a depuis longtemps la réputation d’être un lieu où l’on mange bien.
Aime Vintrignier écrit en 1884 dans « Zigs-zags lyonnaisautour du Mont d’or- » :
« L’agglomération autour de l’église, le vieux bourg proprement dit, n’est pas considérable,mais elle est riche, propre et gaie. Un excellent restaurant, l’hôtel Villard, attire les promeneurs,même de Lyon.« 
Monsieur Josse en 1892 dans « Aux environs de Lyon » rappelle la fortune du charcutier Dodat qu’il nomme « le charcutier millionnaire ». La galerie parisienne Vero-Dodat  (Vero était Lyonnais, Dodat de Chasselay) est l’oeuvre de deux charcutiers devenus parisiens et spéculateurs immobiliers sous la restauration. Leur chance ou leur coup de génie fut d’abriter dans la galerie le siège des diligences Lafitte et Gaillard (qui desservaient Lyon entre autres et prenaient comme le 21 la côte de Limonest) : les voyageurs qui attendaient leurs diligences allaient flâner parmi les magasins à la mode et contribuèrent pour une large part au succès de ce passage. Une préfiguration des halls d’aéroport ou de gare construite entre 1823 et 1826. Ce passage est classé depuis 1965, entre la rue Jean Jacques Rousseau et la rue du Bouloi (métro Palais royal-Musée du Louvre).
Si Guy Lassaussaie, actuel cuisinier, s’enorgueillit d’être la quatrième génération de restaurateurs, il ne fut pas le premier à attirer les gourmets à Chasselay. Un petit tour dans les recensements de population de Chasselay et les registres d’état civil suffit pour apprendre que le premier Lassaussaie(Antoine) s’installe à Chasselay vers 1830 comme vigneron au domaine du Plantin. Il vient de Lacenas et sa femme est originaire d’Arnas. C’est un de ses petits-fils (Antoine aussi) qui achètera le café Damiron en 1894. Antoine est d’abord dit limonadier, cafetier, puis hôtelier. Le café restaurant Lassausaie est aujourd’hui l’auberge de Chasselay. On devine l’hôtel des touristes au fond. La famille Lassausaie a ensuite repris le bâtiment occupé par les deux hôtels de l’époque  « des touristes » et « Borie et Villard », mais rien n’a tellement changé si l’on compare les cartes postales de l’époque et la photo d’aujourd’hui.

Hôtel des touristes à Chassealy


Souhaitons à Guy Lassausaie qui vient de perdre une étoile d’avoir autant de succès que Véro et Dodat dans sa nouvelle installation à Confluence et qu’il garde ses attaches à Chasselay où le grand-père du premier restaurateur est mort en 1876.
Les châteaux (du Plantin, de Belle-scize, Machy, Montluzin) les grands arbres dans les vestiges de grands parcs sont l’autre charme de Chasselay accessible à la vue de tous. Le bus 21 ne marque que deux de ces arrêts Machy et Montluzin, mais ne ratez pas le beau cèdre à la sortie de Chasselay , direction gare de Vaise.

Jour de pluie sur la ligne 21

Jour de pluie. Elle aime la pluie, les photos sous la pluie. Très peu de peintres ont peint la pluie qui tombe, c’est un privilège de la photo et du cinéma. Le bus stationne une demi-heure à Limonest cimetière. Le chauffeur met son vêtement de pluie, ajuste sa capuche et sort faire quelques pas dehors pour tromper l’attente, puis il reprend sa place. Elle patiente avec une autre passagère, arrivée comme elle en voiture au terminus et cette attente dans le silence avec seulement le bruit des gouttes sur la carrosserie est parfaitement apaisante. Elle se dit qu’elle n’abordera personne pour ne pas briser le charme de ce voyage.
Gare de Vaise, café, la serveuse la reconnaît. Quant à elle, elle admire le calme avec lequel la commande à rallonge d’une autre consommatrice est traitée : un café avec un peu de lait, puis un croissant, puis une part de pizza, puis deux sucres que la serveuse ajoute et mélange avec la touillette. C’est une dame qui revient de sa prise de sang à Berjon.
« Si vous ne connaissez pas, c’est que vous n’êtes pas d’ici.
– Je suis de Lissieu.
– C’est la campagne là-bas ; vous devez habiter une petite maison.
– Non plutôt une grande maison avec des locataires maintenant que les enfants sont grands. 
– C’est bien, ça vous fait de la compagnie »
Sa fille travaille chez Hermès à Bourgouin-Jallieu. Elle a fait des foulards, des pochettes, maintenant elle est à la coupe. Elle habite Bron, c’était trop loin Saint-Rambert. « Fais ta vie, je lui ai dit, ne t’occupe pas de moi. »
Deux dames à cheveux blancs en renseignent une troisième qui va à la Macif à Champagne. Au téléphone, elle ne comprend rien, alors elle a décidé d’y aller. Elle se déplace avec une canne et porte des chaussures ouvertes pas vraiment adaptées aux jours de pluie. Les cheveux blancs lui promettent de lui indiquer le bon arrêt, puis la confient au chauffeur d’un 61 qui passe. Il fait mine de ne rien comprendre, mais elle sait qu’il arrêtera la dame à la canne au bon endroit.
Quand arrive le 21 de 10 h qui passe par l’échangeur Sans souci, traversant le parc d’affaires, elle retrouve un chauffeur qu’elle connaît. Plaisir des retrouvailles et d’évoquer ce garçon qui partait rejoindre sa copine à Berlin avec un tout petit sac à dos avec juste des slips et des chaussettes.
Les cheveux blancs prennent le même 21 qu’elle, mais refusent les photos.
Deux jeunes femmes montent à Champagne et descendent à Dupuy. Elles travaillent chez Virgin, la radio (il faut marcher un peu). Elles font passer les pubs. Pas de photos, mais elle leur donne quand même sa carte en leur suggérant de faire passer une pub pour son blog. ça les fait sourire.

Audi sous la pluie vu du bus


Elle aimerait parler de ce parc d’affaires, de ces cubes qu’on a plantés et de ces routes qu’on a tracées au milieu des champs, mais une lectrice attentive lui a dit que ces détours par l’histoire et les archives n’étaient pas passionnants, qu’il valait mieux parler des gens et d’aujourd’hui. Elle parlerait aussi du parc du château de sans-souci et de son étang, juste derrière Norauto, vendu à un promoteur quand a ouvert l’autoroute. Tant pis, les passagers du 21 passeront chaque jour devant la levée de terre qui le cache sans savoir qu’il y a derrière un château devenu restaurant de viande, allée des cyprès. Après tout, ils ne ratent peut-être rien les passagers ; sauf peut-être les grands cèdres qui demeurent au milieu des cubes et la vue sur l’étang et ses cyprès chauves.
Une jeune fille qui monte à La Gabrielle et descend aux villas. Elle travaille chez Chaussport. Il faut marcher un peu jusqu’à Auchan. Pour la deuxième photo, elle a un immense sourire, mais la photo est bougée.
Les cheveux blancs descendent à Belle Croix sans un mot. Elles sont fâchées. De quoi ? Elle ne les a pas prises en photo. Parce qu’elle a discuté avec le chauffeur ? Ne pas s’en faire. C’est le conducteur qui le dit ; il décrypte les humeurs de ses clients.
Le plancher du bus est luisant de pluie. Le conducteur a trois minutes de pause. Il repart juste après. Encore deux allers-retours sur sa feuille de route avant la fin de son service. Il a commencé à 4 h 58. Ne connaît pas son service pour la suite, mais lui mettra un mot quand il le saura.

Elles lancent une pétition pour que la ligne 21 soit prolongée jusqu’à Lissieu

Emeline et Estelle ont 16 et 14 ans (presque); elles sont au Lycée et au collège à St Didier au Mont d’or, bénéficient du ramassage scolaire du Junior Direct (JD 186), mais enragent de ne pas avoir plus de possibilité de mobilité, car la vie des adolescents ne se limite pas aux cours, et les horaires de cours eux-mêmes ne se limitent pas toujours aux rythmes des classes de l’école primaire.
Il y a les sorties vers Lyon pour retrouver les copains, il y a aussi le babysitting pour se faire un peu d’argent de poche et toutes les envies de bouger de jeunes qui apprécient de vivre à la campagne, mais déplorent d’être aussi loin de la ville alors que le trajet jusqu’au métro ne prend que 20min.
L’arrêt de bus est à 50 m de chez elles (par la petite porte du fond du jardin), mais elles ne sont pas les seules; tous les habitants des lotissements qui longent la D42 font le même constat : pourquoi la ligne 21 ne dessert-elle pas Lissieu jusqu’à Montluzin ? Cela ne prendrait que 5min de plus après le terminus Limonest cimetière et serait utile à tous, pas seulement aux adolescents.

Une envie de ville


 Alors elles ont lancé une pétition pour se faire entendre et elles ont des arguments :
Lissieu : plus de bus pour plus de liberté sans polluer !
Ici, à Lissieu, la fréquence des bus ne permet pas aux usagers de se déplacer…
13 rotations en semaine desservent Lissieu pour 68 allant à Limonest, 4 rotations pour 33 le samedi, et 5 pour 15 les dimanches et fêtes. Pourtant les deux communes sont de taille équivalente en nombre d’habitants, et font toutes deux partie au même titre de la Métropole.Tous ces habitants ne devraient-ils pas avoir un accès satisfaisant aux transports en commun ? Il suffirait de rallonger le trajet du bus de seulement 4 arrêts représentant 5 minutes en plus !  Alors les adultes qui souhaiteraient aller en bus jusqu’à leur travail ou autres, les jeunes qui n’ont pas de ramassages scolaires pour les conduire à l’école/collège/lycée et toutes les personnes qui voudraient simplement se rendre quelque part et rentrer tranquillement n’en ont pas la chance ici.
Les adultes sont donc contraints d’utiliser leurs véhicules, tandis que les villes les refusent pour l’environnement et encouragent les transports en commun. Les jeunes n’ont pas la possibilité d’être autonomes, et demandent donc à leurs parents de faire les trajets. Mais quand ceux-là ne peuvent pas, une partie restreint ses déplacements, l’autre fait du stop pour rentrer avec tous les risques que cela  implique !
De plus, la population se renouvelle peu du fait de la réticence des familles à s’installer dans une commune mal desservie. 
Il serait donc, pour le bien-être de la communauté et de la planète, essentiel que la ligne 21 qui dessert abondamment Limonest, desserve tout autant Lissieu.

D’où que vous soyez, soutenez leur initiative en suivant le lien : http://chng.it/T98Y758P

Ne laissons pas les adolescents enfermés derrière leurs écrans, ne les mettons pas en danger sur des routes très passantes, permettons-leur de gagner leur liberté et apprenons-leur à aimer les transports en commun.
Bien qu’on soit à la campagne, les voitures roulent vite sur la D42 et rien ne fait plus plaisir que de voir un bon gros bus qui met son clignotant et va s’arrêter pour vous faire monter

Les jumeaux et les stations jumelles de Mouillard et La Piemente

Le mois d’août touche à sa fin. Elle aura bientôt exploré toute la ligne. Il reste pourtant deux stations particulièrement intrigantes, Mouillard et La Piémente. Mouillard est situé sur le parcours du bus en site propre, à la sortie d’un tunnel et à l’entrée du pont d’accès à la gare de Vaise réservé aux bus. La Piémente à la sortie du tunnel au milieu des arbres sur la pente du plateau de la Duchère. Ce sont pourtant des stations fréquentées, à la montée comme à la descente.
À Limonest cimetière où elle gare sa voiture, le 21 de 9 h 03 fait son retournement et redémarre sans qu’elle ait le temps de monter. Il était sans doute en retard et elle n’a rien à faire : 26 min d’attente de son collègue qui vient de Chasselay. Elle retrouve la vendeuse d’Aubert, puériculture. Sa copine ne parle pas aujourd’hui, renfrognée sous ses écouteurs, elle a perdu son chat. Pas eu le temps de mettre ses ombres à paupières rouges, trop pressée. Elle habite Paris, mais ses parents tiennent le restaurant italien de Chasselay, propriété autrefois de Rocco.
Lorsqu’elles descendent (la copine n’a pas dit un mot), elle s’approche des deux garçons tout vêtus de rouge qui se ressemblent tellement. Ils sont jumeaux et vivent dans la colocation de Montluzin : la maison Saint-Joseph. Ils partent prendre le train pour Le Mans assister au mariage d’une cousine. Elle discute et rate l’arrêt La Piémente, le prendra au retour.
Elle descend à Mouillard, c’est le nom de la rue qui passe en dessous et à laquelle on accède par une rampe aménagée d’un côté,  par une sente créée par les usagers de l’autre. On domine l’emprise SNCF, son jeu de boules, son centre de formation et d’autres bâtiments interdits d’accès. Un homme taille la haie de ronces, pour s’occuper dit-il. Avec le soleil du matin, on voit son ombre sur la photo, tant pis ! elle ne recardera pas. Deux garçons sortent du bus avec des caddies pleins d’objets (un déménagement sans doute); l’un des deux réclame une photo qu’elle prend avec plaisir, en rouge devant des tags sur un mur blanc.

Il coupe les ronces pour s’occuper


Vieux bâtiments, réhabilitation, constructions neuves genre résidences privées (dans la pente où trois villas ont été démolies) ou genre OPAC, la rue et la pente se transforment. « Où tous ces gens se gareront-ils ? Et la pente tiendra-t-elle ? » demande le tailleur de haie. On n’est pas loin de l’aplomb des deux tunnels, celui du bus et celui du périphérique Nord, mais le coupeur de ronces est trop jeune pour se souvenir de la catastrophe de Fourvière en 1930 (40 morts dans l’effondrement d’un pan de la colline) . Peut-être voleront-ils comme Louis Mouillard (1834-1897) qui s’est jeté des tours de Fourvière pour tester ses conceptions du vol sur le modèle des oiseaux ? Le sacristain l’a retenu ; Louis Mouillard a une stèle à l’entrée de l’aéroport de Bron.
La Piémente est une autre découverte : dans un parc boisé, les tours qui paraissent petites (14 étages quand même) de la résidence du parc des Monts d’or, juste en dessous des barres de la Duchère et dominant le panorama de la gare de Vaise. Des terrains de jeux pour les enfants, des bancs, des chemins aménagés. La rue de La Piémente qui court sur la pente se termine en impasse. On ne peut redescendre qu’à pied vers Rochecardon par le chemin des contrebandiers. Pas étonnant que, du bus, elle ait vu un gamin qui dévalait en vélo la voie interdite !  C’est là qu’on a placé Odynéo -Handicap et parcours de vie-; pratique pour des gens en fauteuil roulant.
Le 21 est beaucoup plus rempli que d’habitude, deux amis discutent de logement pour la rentrée. Et comme son appareil photo affiche des messages étranges, elle le teste et prend la photo sans leur demander.

Les jardins de la cité cheminote de St-Germain au Mont-d’or

Le samedi et le dimanche aucun bus 21 ne part de St-Germain-au-Mont-d’or et ne dessert l’arrêt St-Germain cités. Elle vient voir les jardins ouvriers qui jouxtent l’arrêt. Une dame attend le 96 (Neuville-Quincieux) et lui raconte les jardins ouvriers et la cité, les constructions nouvelles qui auront des ascenseurs, les bâtiments où elle vit qui ont été isolés par l’extérieur il y a quelques années et sa parcelle qu’elle et son conjoint ne peuvent plus arroser. Lui, il est dialysé et ne peut plus porter. « À l’arrosoir, c’est trop dur, mais il y a toujours quelqu’un qui nous propose de le faire, ma belle-fille aussi quand elle vient. On ne peut pas arroser avec un tuyau ». On y cultive de tout, des tomates, des courges, des poivrons, de courgettes, des aubergines, des framboises, des mures, des fleurs. Tout le monde met des fleurs.
Une partie des jardins et les dix bâtiments vont être détruits pour implanter de nouvelles constructions. Les potagers promis à la destruction sont plus ou moins laissés en jachère, mais les autres sont entretenus et resplendissants. De son balcon, un locataire lui fait admirer sa parcelle de 100 m2 tracée au cordeau. Il cultive des zinnias qu’il appelle « ponpons » et elle lui demande des conseils de culture. Le grand terrain occupé par les jardins au milieu des immeubles est bordé de dispositifs pour étendre le linge, réalisé en forts poteaux d’acier profilé (des rails de récupération sans doute). On étend le linge dehors, sous sa fenêtre, à côté du romarin et du basilic en graines.
Un camion de location Carrefour s’arrête devant un des logements promis à la destruction. Un déménagement sans doute. La discussion ne s’engage pas, elle a parlé de départ, ils n’ont pas envie d’en parler. « On a le temps pas avant décembre ». Juste à côté, dans un petit local de service, sont affichés les horaires de la permanence de relogement (tous les mercredis de 14 h à 17 h) et le nom de l’interlocuteur privilégié ainsi que les numéros à appeler pour les diagnostics avant démolition qui nécessitent une visite du logement (recherche d’amiante).

Elle raconte le passé de la cité cheminote


La gare qui a transformée, le vieux village serré autour de son château fort a ouvert en 1854 avec l’ouverture de la ligne Paris — Lyon — Marseille au bord de la Saône, elle n’a pris de l’ampleur qu’avec l’ouverture de la ligne Le Coteau (Roanne) — St-Germain-au-Mont-d’or (1866). Mais surtout de 1876 à 1953 la gare de St-Germain n’a cessé de croître en tant que gare de triage comptant désormais 14 voies de réception et 35 voies de formation.
Les jardiniers ne sont pas jeunes, la gare de triage emploie moins de personnel. Une époque se termine même si la municipalité de gauche et ICF annoncent une opération modèle et un traitement respectueux des différents interlocuteurs. Le beau village si bien situé au bord de l’eau, à 12 min de la gare de Lyon Part-Dieu en train, se gentrifie de toutes parts : habitat participatif dans les vieilles demeures du village, nouvel habitat collectif et nouveau centre commercial proche de la gare, disparition de la cité cheminote des années 30.
A l’occasion du Forum des Projets Urbains 2016, SNCF Immobilier et sa filiale ICF Habitat Sud-Est Méditerranée ont présenté le projet de renouvellement urbain participatif de la cité cheminote de Saint Germain au Mont d’Or. ICF Habitat Sud-Est Méditerranée, filiale de SNCF Immobilier, a engagé un programme de renouvellement urbain d’un site de 161 logements sociaux. Le secteur se compose d’un ensemble homogène d’immeubles PLM datant de 1930 organisé autour de jardins ouvriers et de quatre ensembles conçus à la fin des années 50. Le projet comprend des démolitions-reconstructions et des réhabilitations, ainsi qu’une restructuration importante des jardins ouvriers et des espaces boisés. Cette requalification vise également à recréer une mixité par la construction d’environ 25 logements en accession à la propriété. La particularité de ce projet réside dans son caractère participatif. Cette opération de renouvellement urbain réunit et engage depuis plusieurs mois les collectivités (Mairie, Métropole du Grand Lyon), Babylone Architecte, les habitants et Jardinot, l’association des jardins ouvriers.

Ligne 21 des TCL, l’histoire s’est arrêtée à Limonest, il y a cent ans

La ligne 21, une ligne historique

Il y a 100 ans les trams s’arrêtaient déjà à Limonest, et l’hôtel du Lyon d’or pouvait assurer ses clients d’une desserte pour Lyon toutes les 20min. Les TCL n’existaient pas encore,mais la ligne OTL portait déjà le numéro 21. Lissieu comptait alors moins de 400 habitants et Limonest moins de 800. Aujourd’hui les deux communes dépassent les 3500 habitants et appartiennent toutes les deux à la communauté urbaine de Lyon. Pourtant, rien n’a changé pour les transports en commun : l’histoire semble s’être arrêtée à Limonest pour la ligne 21 des TCL.

Deux lignes de bus TCL desservent aujourd’hui Lissieu, mais….Limonest bénéficie d’une desserte  4,5 fois plus importante que Lissieu sur la ligne 21 ( 2 fois plus en comparaison avec la ligne de bus 61)

Lorsque vous habitez Lissieu, vous avez l’impression d’avoir de la chance : deux lignes de bus desservent votre village de 3500 habitants pour se rendre à Lyon et en revenir, la ligne 61 et la ligne 21. La première suit la D 306 et la seconde la D42 .
Leurs parcours se rejoignent au Puy d’or et empruntent alors un itinéraire commun. Leur temps de trajet est sensiblement le même autour de 25 min.
Vous pensiez avoir de la chance, mais vous vous rendez vite compte que ce n’est pas vrai et qu’il vaudrait mieux choisir un autre moyen de déplacement :
Pour aller à gare de Vaise de Lissieu :
– en 61 (départ Montluzin) : 37 bus entre 6h05 et 20h 35
– en 21 (départ Montluzin) :14 bus de 6h46 à 20h 22
Pour venir à Lissieu de Gare de Vaise:
– en 61 (arrêt Montluzin) : 36 bus de 6h00 à 21h05
– en 21 (arrêt Montluzin) : 13 bus de 5h35 à 19h30
Toutefois vous regardez mieux et vous vous apercevez que le point le mieux desservi proche de Lissieu est Limonest (cimetière ou Belle-croix) pour vous emmener ou vous ramener de Lyon Vaise et sur une plage horaire plus importante. Près de cinq fois plus de bus que sur votre 21 et deux fois plus que sur votre 61. L’histoire s’est bien arrêtée à Limonest pour la ligne 21 et pour Lissieu.
– en 21 (départ Limonest cimetière ou Belle Croix) : 67 bus entre 5h 35 et 21h30 pour aller gare de Vaise
– en 21 (arrêt Limonest cimetière ou belle croix) : 67 bus de 5h05 à 22h00 depuis gare de Vaise

Il ne faudrait pourtant que 5mn pour faire ce qui n’a pas été fait en 100 ans

Il suffirait pourtant que chaque bus 21 qui dessert Limonest desserve Lissieu-Montluzin avec 5min de trajet en plus. De plus, ils auraient à Montluzin une possibilité de retournement et un parking très important pour les usagers (sur l’ancienne route de Paris). Il y a six places de parking matérialisées à Limonest cimetière. Il pourrait y en avoir 30 et plus à Montluzin.
Ce serait si simple. La ligne existe, il suffirait de 5mn de plus !
Signez la pétition http://chng.it/T98Y758P

Ligne 21, augmentez la fréquence !

La rentrée arrivait, les TCl avaient sorti leur nouvelle grille horaire et Le Progrès annonçait un renforcement de la fréquence des bus sur la ligne 21. À y regarder de près, c’était faux : un seul bus supplémentaire desservirait le tronçon entre Limonest cimetière et Lissieu Montluzin !
Elle avait parcouru la ligne dans les deux sens pendant tout un mois et son sujet l’emplissait. Elle se sentait devenir une militante de la ligne 21.
Comment était-il possible que les décideurs n’aient pas remarqué qu’en un siècle les choses avaient changé, que des habitations s’étaient construites, que des entreprises s’étaient installées, qu’on bâtissait encore ? Comment était-il possible que le terminus déjà desservi toutes les 20 minutes un siècle plutôt soit resté le même : Limonest !
Un siècle plus tôt l’hôtel du Lyon d’or en faisait déjà un argument publicitaire : « au pied du mont Verdun (à 20 minutes) cure d’air — séjour d’été — pension de famille — prix modérés — tramway pour Lyon toutes les 20 minutes
Elle avait cherché des images anciennes, consulté des cartes et les recensements de population. Elle n’en revenait pas : la population avait été multipliée par dix, l’agriculture avait cédé le pas à des entreprises en tous genres, tous les adolescents allaient maintenant au collège ou au lycée et on en restait à une desserte qui pouvait convenir aux marchandes de poires, d’abricots et de fromage de chèvres qui portaient leur production aux marchés de Lyon.
C’est alors que ses petites voisines lancèrent une pétition pour l’augmentation de la fréquence. Elle s’y associa immédiatement, la partagea sur Facebook, puis douta.

Elle travaille chez Chaussport


Comment se prenaient les décisions relatives à la desserte des environs de Lyon ? Fallait-il s’adresser à la mairie ? Fallait-il penser que le maire conseiller général de Limonest membre de la commission finances, institutions, ressources et organisation territoriale du grand Lyon avait plus de poids qu’un petit maire d’agglomération ? Ou bien devait-on en appeler au Sytral (syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise) ? ou encore à la direction des TCL (transports en commun lyonnais), ou encore à une autre structure intercommunale dont elle ignorait le nom ? Ou bien encore s’en remettre à l’avis des conducteurs-receveurs qui lui avaient fait remarquer qu’on ne voyait pas beaucoup de maison sur cette portion de route ?
La ligne 21 suit le tracé historique direct de la route royale 6 entre Paris et Lyon. À la limite des pentes du Mont Verdun, ce tracé emprunte une pente importante pour accéder à Limonest. Trop difficile pour les diligences, il a été doublé en 1850 par la route impériale 6 passant plus à l’ouest en terrain plat, puis en 1900 par une voie de chemin de fer, riche en ouvrages d’art. Les transports en commun modernes( la ligne 61 dessert Lissieu via le tracé de la D 306 (ancienne N6) et la toute récente gare de Dommartin-Lissieu devait ranimer le trafic ferroviaire) ont suivi ces tracés sans connaître un véritable succès faute d’une fréquence suffisante et de terminus adaptés. 
Pourquoi ne pas essayer de revenir au trajet historique en prolongeant la ligne 21 que les bus d’aujourd’hui n’ont aucun mal à parcourir ?
Pourquoi ne pas faire confiance aux jeunes ?
Elle avait l’impression que les logiques d’un autre temps étaient toujours à l’œuvre, les logiques qui avaient privilégié le train et la voiture, les rationalités (et les intérêts) portées par les grands bourgeois qui au XIXe siècle avaient leurs résidences d’été dans les environs, mais avaient laissé la place à des travailleurs désemparés, contraints désormais à prendre leur voiture ou à se risquer à vélo pour les plus intrépides.
Elle était perdue et découragée, simple citoyenne écrivaine, même si un lecteur l’avait qualifiée d’écrivaine-agitatrice. Son audience sur internet était bien limitée et le correspondant local du Progrès restait silencieux. Elle n’allait pas, quand même, coller des affichettes sur tous les bus ou faire du porte-à-porte pour faire signer la pétition !

L’invitée de novembre du journal interne des TCL par Elodie Ferru

Danièle Godard-Livet, écrivain (public) et faiseuse d’images

Comment avez-vous eu l’idée de réaliser des portraits de voyageurs dans les transports en commun lyonnais ?

J’ai reçu un jour une offre d’essai de 10 voyages par courrier. Habitant à Lissieu à quelques mètres de l’arrêt de bus Monfort de la ligne 21 je me suis lancée. Peu de temps après avoir reçu ma carte j’avais un rendez-vous médical à l’autre bout de Lyon et je me suis dit qu’il allait être difficile de stationner à mon arrivée, j’ai donc opté pour les transports en commun. Dès ce trajet j’ai eu l’idée d’un récit, illustré de quelques photos.

J’ai décidé d’intensifier mes déplacements durant le mois d’août, à des heures différentes et sur des tronçons différents, et de profiter du calme des vacances pour échanger avec les voyageurs.

Qu’est-ce qui vous a frappé lors de différentes rencontres que vous avez pu faire sur la ligne 21 ?

Ces déplacements ont été d’une grande richesse à la fois en termes de rencontres humaines mais aussi de découverte patrimoniale.

Ce qui est étonnant quand on emprunte cette ligne, c’est l’alternance de zone rurale, commerciale, ou très urbaine…. J’avais envie de découvrir les ambiances de tous ces tronçons.

J’ai rencontré toutes sortes de personnes : ouvriers agricoles, personnes âgées, adolescents, de jeunes néerlandais qui allaient travailler dans une société d’assurance, des jeunes femmes qui travaillaient dans la zone commerciale….

Parmi ces rencontres, certaines m’ont plus touchée ou amusée, telle que cette dame âgée qui allait faire son marché en cachette de son petit-fils qui voulait la conduire en voiture. Elle préférait le bus car il mettait la climatisation et la musique trop fort.

Ce qui m’a le plus étonnée c’est que beaucoup de personnes utilisent les TCL le dimanche pour aller se promener dans les Monts d’Or.

De gare de Vaise à Limonest entre copains pour une après-midi dans les Monts d’or
De Chasselay à Gare de Vaise, entre copines, pour aller au marché St Antoine

Est-ce que vous avez découvert des choses ?

En me déplaçant en bus j’ai redécouvert le territoire sous un autre angle.

La première fois que je suis partie de Saint-Germain aux Monts d’Or je n’ai pas trouvé l’arrêt de bus ! Ensuite, je suis descendue à un arrêt qui m’a permis de découvrir une cité cheminote et ses jardins ouvriers. Face à la zone commerciale de Limonest se trouve le superbe vallon de Rochecardon, lui aussi à proximité d’un arrêt TCL. J’ai également découvert en passant par l’échangeur de Sans Soucis, le château que je n’avais jamais remarqué.

Quel est aujourd’hui votre point de vue sur les transports en communs lyonnais ?

Je trouve que c’est une autre manière de se déplacer, cela demande de préparer un peu son voyage, à commencer par trouver le bon horaire ensuite c’est très rapide et j’ai trouvé la régularité exceptionnelle. J’ai aussi constaté que le contact de certains voyageurs avec le conducteur était essentiel, celui-ci renseigne et rassure certains usagers un peu perdus.

Ce qui manque c’est la fréquence à certaines heures de la journée. Sinon je trouve que c’est un endroit de vie, où l’on peut faire des rencontres surprenantes.

Tronçons parcourus en fonction des dates

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

8 commentaires à propos de “Tout un mois d’août sur la ligne 21 des TCL”

  1. Oui. Un beau trajet d’écriture. Très vivant et divers. Variations très réussies comme la Lettre à J.J. ou les Souvenirs de voyage. Une belle et vigoureuse symphonie.

  2. ohlala Danièle mais quel boulot ! et c’est captivant ces balades en 21, ces gens, ces histoires, ces détails et un peu d’humour bien évidemment, comment en serait-il autrement ? Beau projet, tu continues ou c’est terminé ?

  3. Passagère enthousiaste du 21 depuis le mois de juin – le votre, le vrai je ne le connais pas – je suis très heureuse de cette mise en ligne de l’ensemble des trajets. Je redis ma joie à vous lire … et mon admiration. Et je vais jeter un coup d’œil aux Carnets qui j’imagine seront publiés. N’est-ce pas ?