Là devant l’escalier immédiatement derrière la porte d’entrée petite robe jaune pour les vacances premier étage gauche c’était celle-là chambre préparée pour la petite fille jaune aussi chambre jaune trace pour baldaquin imaginer un baldaquin complet la petite fille ne voulait que cette chambre trace en bois gros rond au plafond rond gravé un jour il avait dû y avoir des voilages voilures de l’imagination devenir une petite fille s’imaginant enveloppée dans un linge imaginaire léger flottant celui des tentures tenter de s’y accrocher c’étaient des tantes d’ailleurs ou plutôt on les appelait les cousines pas des jeunes des vieilles trop vieilles pour la petit fille tellement vieilles et sans petite fille y passer chaque fois une fois l’an tradition estivale scène d’accueil toujours identique dévorée par un baiser celui du manque celui du vieux et du renfermé le baiser qui sent comme la maison maison où la vie est dans le formol oui la petite fille dans son école elle avait vu des serpents dans du formol elle évitait toujours cette pièce aux serpents font trop peur formol comme cette voiture dans le garage fascination de la petite fille une voiture qui ne sort jamais du garage pas sortie depuis cinquante ans depuis qu’il était mort à la guerre le fiancé même pas mariée la vieille la sœur non plus deux vieilles cousines ça sent l’ancien peau fripée vie en lambeaux et la petite fille peau neuve Barreaux de la fenêtre interrogations de la petite fille des barreaux ça protège au rez-de-chaussée un baldaquin au premier étage une prison à la cuisine en bas à coté du garage la voiture ne sort plus comme la photo la seule celle du fiancé qui ne sort plus la petite fille ne cesse d’imaginer guerre promesse renoncement fin de vie ça vide et ça recommence toujours les mêmes mots toujours la guerre peu de récit on en parle pas plus de vie après plus de petite fille premier étage droite leur chambre à elles deux rester à deux deux sœurs les cousines vieilles robes suspendues médicaments sur la table de nuit rituel des médicaments distance et inquiétude petite fille pas vraiment concernée mais attirée par les bijoux sûrement un cadeau d’avant la guerre la petite fille cherche des traces des traces d’homme (hypothèses) il n’y en a pas deux vieilles cousines et une cuisinière mais peut être ce coffre à bijoux la petite fille imagine qu’il lui a offert offert à celle des deux qui était promise l’autre on ne sait pas elle est trop vieille la petite fille n’imagine pas bel éventail rapporté d’Espagne ce n’est pas loin peut être avec la voiture fascination pour cet objet unique jouet ici il n’y a pas de jouets alors on va à la mer quand on ne sait pas quoi faire Mer Marseillan Mèze avec accent ribambelle des M univers de femmes non mères aller à la mer quand l’odeur de vieux a trop duré jouer jeux joujou baiser sur la joue odeur des bambous rapportés du jardin poser le bambou contre les barreaux de la cuisine c’est joli c’est beau c’est barré bim bam boum bruit inhabituel des enfants contre vie pas très bariolée cuisine grise sombre rez-de-chaussée la petite fille ne connaît pas la ville mais dans le jardin des belles de nuit comble de la fascination la petite fille aime se fermer quand tout s’ouvre balancier inhabituel contrariant même fleurs insaisissables mais saisissantes poignantes poignée arrachée odeur forte du figuier exotique rituel du soir sortir des barreaux de la cuisine traverser le village compter les chats retrouver les bambous et les belles de nuit les cousines elles ne sont pas belles la petite fille imagine elle cherche des traces de l’ancienne beauté comme les traces d’homme creuser le souvenir mais un souvenir qui n’est pas à soi un peu quand même ce sont des cousines celles du grand père de la mère c’est un peu loin mais moins que la mer revenir dans l’antre le formol la vie suspendue long couloir en haut de l’escalier au fond à gauche la petite fille n’avait jamais vu ça une chambre sans fenêtre elle ne peut pas une chambre bleu ouf soupir soulagement respiration un soupirail c’est moins pire ça sera pour le frère de la petite fille il ne dit rien lui il accepte les chambres sans fenêtres elle retournera dans la sienne la jaune lit à baldaquin imaginaire toilette imaginée il y a un vase et une sorte de grand saladier en porcelaine posés sur une petite table en bois foncé immuable comme un tableau pour décorer ou pour utiliser la petite fille se demande comment on fait heureusement elle est rassurée tout au fond à côté de la chambre sans fenêtre il y a une salle d’eau le sable coule dans la baignoire le soir quand on rentre de la plage les cousines ne vont jamais à la plage juste aux vignes elles ont des vignes la petite fille a vu une photo sur la photo elles ont un fichu les dames c’est chic un fichu fichu éventail baldaquin boite de vieux bijoux odeur de renfermé la petite fille sait qu’elle retrouvera cela tous les ans sirop de citron il n’y a que ça souvenir jaune comme la robe de la petite fille mais aussi celle de la promise l’autre elle ne mettait que du bleu
comme la chambre sans fenêtre la petite fille préfère la promise même si on dit qu’elle est un peu bête au moins elle a aimé l’autre on ne sait pas elle est moins bête mais on ne sait pas si elle a aimé la petite fille préfère savoir qu’on a aimé elle cherche encore des traces dans la maison en formol déception pas d’habit d’homme il n’y a que cette voiture qui puisse l’aider elle pousse la porte qui relie la cuisine au garage odeur d’humidité et de vieux encore plus forte mais la petite fille aime elle est plongée dans un autre monde voiture bleu gris une vieille voiture comme on en voit jamais douleur de ne pas connaître aujourd’hui la marque ne pas pouvoir catégoriser pour faire comprendre pour transmettre ce vieux cette vielle image cette transpiration de vieux la voiture n’avait été utilisée qu’une dizaine de fois la petite fille ne se demandait pas à l’époque si la promise avait transpiré dans cette vieille voiture Citroën oui elle se rappelle maintenant le sigle ou non elle confond demander se souvenir on lui dira plus tard Aronde marque Simca Aronde oui elle est ronde pas de ventre rond mais voiture arrondie Simca ça swing elle a dû aller danser la promise ce n’est pas le même signe que sur la voiture des vacances celle de la petite fille la voiture rigolote se lève au démarrage tombe en panne au retour de chez les cousines comme on disait seule évasion possible cette voiture SIMCA Aronde la promise conduisait elle était un peu bête mais plus douée que l’autre l’intellectuelle pourtant elles avaient besoin d’une cuisinière odeur du poulet rôti et le dimanche langoustes énormes car elles avaient de l’argent les cousines traiteur Clermont l’Hérault toujours le même des couilles en or avec elles entendu par la petite fille oreilles qui trainent oreilles qui pensent Mme Roy drôle de nom pour une cuisinière vieille reine à tablier usager univers de femmes toujours dans la cuisine jamais dans la salle à manger elle ne servait pas pièce en formol forme ronde vie en rond ronron d’une vie suspendue il fallait se serrer sur la table ronde de la cuisine à coté des barreaux de la fenêtre sur des fauteuils en osier avec accoudoirs des fauteuils trop grands pour la petite fille mais elle ne dit rien sur l’osier trône de princesse fourni par vieille reine en tablier elle attend les croutons à l’ail et à l’huile d’olive sur la ficelle de pain la ficelle elle n’en mange que chez les cousines pain blanc fin frais mais pas pour longtemps ficelle éphémère vite mangée seule gourmandise pas de jouets pas de bonbons pas de petite fille vie en formol bousculée quatre jours par an petite fille en robe jaune promise déchue en robe jaune chambre jaune souvenir jauni
« Des traces d’hommes » presque imperceptibles, l’absence, le silence, la vie toute nue, pour presque personne. La petite fille n’imaginait pas, quelques vagues sensations non exploitées, quelques mots entendus, pas assez pour tisser. La grande, elle pourrait essayer, elle allait essayer, elle essayerait.
Hypothèse 1 : lettres
Il y aurait bien eu un fiancé, il serait mort à la guerre, mais pas comme on l’aurait imaginé. Pour bien tisser l’affaire, il aurait fallu trouver des lettres, des lettres d’amour-roman épistolaire à base de lettres de poilu. Lui, le poilu, parti comme tous les autres. Trouver une originalité- oui, une lettre de poilu reste une lettre de poilu, vu et revu. -Souvenir de cette pièce de théâtre où je m’étais endormie, il y a peu, dans une MJC de village, une sorte de pièce , sans relief, parce que l’intime au creux de ces lettres de poilus n’était pas relevé ou alors était trop intime pour être partagé sur la petite scène d’une MJC de village, ou encore n’était pas lu assez fort, par deux vieux pas assez vieux, ou deux jeunes déjà trop vieux, ou peut être était ce simplement parce que ce jour-là je l’avais passé aux urgences, avant d’aller au théâtre, à la MJC du village, avec buvette à l’entracte, entre deux lettres – Alors, une lettre de poilu oui, mais il aurait fallu compliquer l’affaire . Voilà, il en aurait aimé une autre, en secret, ça aussi c’était vu, mais à l’échelle de sa petite vie d’homme, c’était déjà pas mal. Un soir, il aurait écrit, à l’une , puis à l’autre, Alice puis Mireille, pour l’une il aurait commencé par « Ma très chère », pour l’autre, il aurait trouvé une salutation moins convenue et cependant plus simple, juste son prénom, parce que dans ce seul prénom, toute l’étendue de sa passion pouvait se lire , s’épancher avec discrétion et sans limites « Mireille, … » Et puis ce soir-là, il aurait un peu bu, parce qu’un autre gars , rentré de permission, aurait ramené de quoi se réchauffer quelques heurs, là-bas, au front. Et il aurait inversé les lettres, tout simplement. Ce ne serait pas une balle qui l’aurait tué, le poilu, mais le désespoir, la peur de se retrouver seul à son retour. Des colis, il n’en recevrait plus, au front, ni de l’une ni de l’autre. Il se serait pendu, un peu à l’arrière, parce qu’il savait qu’il rentrerait seul. Autant en finir.
Hypothèse 2 : danseur
Parti, il était parti. Mobilisé. La petite fille ne pouvait imaginer que l’attente d’une amoureuse fidèle, passionnée, résignée, patiente. Mais cette image d’Epinal, née sûrement de l’immobilité de la photo en noir et blanc dans le salon, cette vieille photo, un portrait, bien conventionnel, traits sévères -il fallait poser-, cette image ne collait pas avec la vie. Tu pourrais imaginer qu’elle ne fonctionne pas cette représentation, qu’elle n’est pas assez vivante ! Tu pourrais imaginer plus de mouvement, une vie qui vient bousculer l’immobilité de l’idole ! Voix de la grande fille à la petite. Une hypothèse qui arrache la photo, qui insuffle du mouvement. Bouge-toi ! Fais danser la plume, dit la voix.
Le mouvement, il serait venu d’elle. Elle serait allée danser. Tellement dansé, chaque samedi, bal musette, java, je ne sais quoi, qu’elle l’aurait oublié. Il se serait appelé Marcel, prénom d’époque. Il n’était pas mobilisé, parce qu’il avait une jambe de bois, mais malgré cette jambe inerte, il dansait comme un dieu, la jambe immobile, c’était son axe, son centre, son être. Il l’avait séduite avec ce membre fantôme – l’autre membre, le viril, il ne venait qu’après, une fois le jeu de jambe bien avancé, curieuse ironie. Mouvement insufflé dans la photographie grâce à la jambe du boiteux. L’autre, le promis, il serait rentré et son cœur se serait mis à boiter tellement fort, qu’il serait rentré oui, mais dans les ordres, incapable qu’il était de le faire battre pour une autre, son coeur.
Hypothèse 3 : mort héroïque
Pourquoi ne pas s’en tenir aux hypothèses officiellement transmises ? Les décorer un peu, les faire enfler, simplement à partir du donné. Alors voilà, apprenant sa mobilisation, il serait allé, rapidement, apprêté et amoureux, acheter ces bijoux, ceux que la petite fille avait vus, une fois, dans la chambre des vieilles dames. Aucune certitude sur la provenance de ces bijoux, peut-être simplement l’héritage d’une vieille tante, d’une mère mourante, qu’importe, il fallait décider qu’ils étaient son présent, pour elle, la promise. Ne sachant ni quand, ni comment il allait rentrer, mais nourri d’espoir, il aurait tout dépensé, toutes ses économies, la fleur au fusil, la main au porte monnaie, du leste. Belle parure. Pour elle. La sœur en resterait, à vie, jalouse. A cette pure intention il faudrait associer une mort héroïque. Champ de bataille, protéger les autres, y aller, sans douter, balle, pan ! Mort héroïque. Veuve éplorée, jamais remariée, veuve à vie, triste jusqu’à la mort. Pan !
Hypothèse 4 : une brute
Il serait revenu, oui, mais ça aurait mal tourné. Alors on aurait bâti l’histoire familiale sur un arrangement avec la vérité, comme souvent dans les familles, des colosses aux pieds d’argile, les familles. On aurait fait croire aux plus jeunes qu’il n’était pas revenu. Loin de l’image d’Epinal, de la photographie immobile et sage : une brute. Peut être que ce qu’il avait vu au front, ça avait déclenché en lui une espèce de folie, indécelable avant. Explosion de soi, une brute. Il était revenu, il buvait, il tapait aussi, il la forçait, aussi. Une sorte de Lantier du vingtième siècle, roman en forme de réécriture, cela fonctionne, il y a du pathos, des larmes, de la douleur. Misère, chienne de vie, hypothèse sombre. Alors, suite de la réécriture, une dose de Thérèse Desqueyroux , une dose de poison, ordonnance, mort. Plus de traces d’hommes dans la maison, personne ne saurait, coupable mais en vie, elle, pas comme la brute.
Quatre hypothèses bien tournées ! Cherchez l’homme…
Merci pour ce beau texte.
Merci pour cette lecture …. Chercher l’homme et trouver un lecteur, ce n’est pas rien.