Ovale, presque rond, il tient parfaitement dans la main. Surface rugueuse, granuleuse mais dure du granit dont il est fait. Couleur dominante claire mais ponctuée de petits grains noirs et gris qui lui donnent parfois en pleine lumière un aspect verdâtre. C’est un galet.
27 septembre 2008
— Temps de l’écriture qu’on s’impose, qu’on devrait s’imposer avec encore plus de rigueur. Cet affrontement à la page papier ou écran. Qu’il est long ce cheminement et qu’est-ce qu’on tourne en rond !
— Tombé en un jour le Ghérasim Luca de Gallimard. Pour une fois, pas cette désolation qu’on ressent à glisser sur les mots comme hermétiques. « Glissez – glissez – à votre tour ».
Cet exemple un peu réducteur, plutôt l’impression de rebondir :
« Tout est foutu
touffu
fétu »
Exergue pour un polar :
« Tête tranchée
Tronc occulte »
Ça qu’on voudrait avoir écrit :
« Je te flore
tu me faune
(…)
Je te lune
Tu me nuage
(…)
Tu m’étoile filante
tu me volcanique »
— Croisé dans la rue aujourd’hui, un autre résonne au souvenir. Noter ça comme photo, sans développer roman. Les trois versions :
le vieux chien jaune
traîne sa chaîne
et son maître, vieux aussi
bâtard pelé jaune
en laisse
traîne son maître
vieux bâtard pelé
traîne
sa chaîne et son maître
Quand sait-on qu’un poème est terminé ?
Soleil d’automne
Les filles sur la terrasse
Lisent
Sur le rebord d’une étagère de la bibliothèque. Se méfier de sa chute. Un galet, le mien. Pas le galet du poète. Un dur, il ne crachera jamais le morceau, il peut sembler déplacé, incongru, mystérieux, il ne trahira pas. À mes souvenirs seulement il chuchote. Ou plutôt, il les rappelle, les tient vivaces. Ramassé dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire où, juste avant l’adolescence, pendant les longs étés, on essayait de pêcher. Longtemps eu cette fascination mystérieuse pour les cailloux ronds. Le prendre dans la main à quelques décennies de distance et c’est encore toute la fraîcheur du paysage du petit cours d’eau qu’il charrie ce galet de granit. Suivent alors le murmure de la petite retenue en amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers et des barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ce sont ces vers d’eau utilisés comme appât quand les réserves en lombrics étaient épuisées. Il fallait retourner les pierres pour dénicher un petit fourreau assemblé de grains de sables et de brindilles puis, en extraire le vers souvent très charnu d’un jaune presque orange pour l’empaler ensuite sur l’hameçon N°13. Et toujours cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a directement ramené une petite truite ! Vite assommée et cachée dans son slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Et cette fierté, le jour où on est venu pêcher avec au bout de la ligne un rapala, un poisson leurre américain très réaliste et le plaisir de le faire se dandiner dans le courant. Plus tard, dans un livre, on apprendra que pour bien pêcher le goujon, il faut troubler l’eau autour de l’appât, on lira aussi que nos vers d’eau s’appellent des « portes bois », que les truites en raffolent et, chez Pierre Bergounioux, on comprendra comme elles ont bien dû rigoler les truites. Aujourd’hui ce cours d’eau on ne le pêche plus, son étiage toujours plus bas ; pompages, engrais, pesticides, sécheresse, urbanisation des rives sans parler de celui qui, une nuit, balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Il y a peu j’ai appris le décès de W.
27 septembre 2014 (Nuit vers le 28)
— Cette inaptitude chronique à ne pouvoir écrire un de ces « bons vieux romans ». Reprendre le « Projet Robert 77 » ? Au risque de la formule ? Se résoudre au moindre. Se contenter de ces bouts de textes, infra-pochades pseudos oulipiennes. Comme à la radio, piocher dix mots au hasard du dico. Même pas envie cette fois d’une histoire qui se prolongerait de textes en textes comme dans le protocole R77. Envisager mise en ligne sur blog avec annonce des mots et publication des textes reçus en plus du sien semaine suivante ? Mais qui s’y collerait ? Ou alors publier les textes et demander aux lecteurs (Lesquels ?) de deviner les dix mots pris au dico.
Pyramider laborieusement les mots pour bâtir le livre, carnage des verbes, des noms communs, propres, sales. Même pas malicieusement. Sans servocommande le texte s’écroulera, les mots squameux, resteront flotter à la surface à la rencontre de rien. Et nous, tel le chambellan sur sa dunette, sombrerons dans les affres avec notre appendicite littéraire.
— Ce rêve très clair à la mémoire, sans doute au petit matin, sinon on ne les retient jamais. Toujours trouvé pénible d’écouter raconter un rêve. Pour soi, cette perte de contrôle inquiète et la netteté de celui-ci ajoute au trouble.
On est dans la dernière salle d’une exposition de peintures contemporaines. Grande pièce en béton. Œuvres non figuratives, rayonnantes de couleurs vives mais sombres aussi. Nous achevons notre visite. Je suis en compagnie d’une femme à la chevelure brune, haute, hirsute mais très travaillée. Elle me dit : « tout ce que tu ne peux pas avoir, photographie-le ! ». Je me dirige alors vers une autre femme brune vêtue d’une longue robe moulante vert anglais. Cheveux noirs et lunettes. Nous nous enlaçons. Réveil.
il écrit pour étirer et dilater ce bout de rêve avec cette femme brune. Moulée dans une longue robe de velours vert anglais. De longs cheveux très noirs. Pourtant jamais aimé danser mais, le toucher contre du velours. Et elle, de derrière ses grandes lunettes à monture écaille, certain qu’elle voit tout en lui, sa joie d’être contre, sa maladresse, sa peur de tomber, de tout briser, que ça continue toujours comme ça, contre. Peut-être même la fin du rêve, elle la voit. Mais elle ne dit rien et reste contre. Dans leur rêve, enlacés sans fin, l’un l’autre contre. Impression de scène cliché tant vue, trop lue. Seuls, contre, dans ce parking silo béton au sol enduit de cette peinture pour faciliter le glissement des pneus et les manœuvres des autos. Parking vide de toute voiture où flotte l’odeur et la clarté du neuf. On tourne autour d’eux pendant qu’ils tournent ensemble, les frôler juste. Lumière froide et très vive, crue, tombe des bandes de néons. On entend pas la musique. Leurs voltes ne permettent même pas d’identifier un style, un rythme. Peut-être que chacun l’a dans sa tête, la musique. On ne les dérange pas ou plutôt, ils nous tolèrent dans leur rêve. En sortir pour l’écrire mais eux toujours à danser contre. Elle leur tourne pas la tête ? Ils sont pas douloureux les pieds ? Pas trop chaud à rester collés contre ? Combien il va durer leur manège de bonheur ? Il sait qui est il mais, elle ? Il ne la connaît, reconnaît pas. Préférer ne pas savoir pourquoi elle, pourquoi là, pourquoi la robe longue vert anglais, les grosses lunettes et cette coiffure sombre. Épaule bien dégagée où sa tête à lui posée contre, en rêve. Les voir juste contre, les regarder dans leur sorte de danse abandonnée, l’un contre, l’autre contre, tout contre. Visages sereins, calmes, contre. Les yeux fermés à tourner, on craint la chute mais eux continuent entre les piliers du parking. Ce rêve, il s’en est souvenu par, au matin, cette force à ne pas vouloir en sortir. À lutter contre l’arrachement à la nuit. Pourtant il se déchire le rêve. Vite en écrire quelques bribes pour revenir plus tard en mots au souvenir. Jamais repris un rêve là d’où le petit matin a arraché. Pas comme un train. Se dire que son corps, avec elle contre, continue de tourner dans leur parking silo même si jamais ne pourra les rejoindre qu’en mots, ne pourra jamais le réintégrer ce corps dans ce rêve. Tout au bout des mots, espéré quand même prémonition et que peut-être la rencontrer cette femme à la tignasse corbeau, et peut-être, la vivront, un jour, une nuit, la longue danse sans fin dans le parking silo neuf contre, contre
De l’écran lever les yeux vers les rayonnages de la bibliothèque. Ils sont nombreux ces brimborions que tu as promus monuments de ta mémoire quotidienne. Parfois, certains magazines sollicitent et interrogent une personnalité à propos d’un de ses objets fétiches. Une photo et un texte d’une demie page pour expliquer. Dans cette exposition aussi, à l’occasion d’un événement d’art contemporain, quand les commissaires, dans un souci d’ouverture démocratique pas loin du démagogique, demandaient aux visiteurs de venir déposer un objet important pour eux. À chacun des autres visiteurs alors d’imaginer ce qui pouvait relier l’objet à son propriétaire. Romans. Tu aurais bien participé à l’époque. Maintenant tu choisis quoi ? Ta première tirelire, ton ours en peluche avachi, ton premier jouet – un hippopotame miniature en plastique –, une poupée berbère, le pose-portable en bois fabriqué pour toi par A. Et pourquoi pas lui ? Quand même un peu limite pour cette proposition d’écriture. Ovale, presque rond, sur le rebord d’une étagère éloignée. Il tient parfaitement dans la main mais se méfier de sa chute. Surface rugueuse, granuleuse mais dure du granit dont il est fait. D’après wikipédia, cette roche est grenue, tu le trouves juste ce mot. Couleur dominante claire mais de petits grains noirs et gris lui donnent parfois, en pleine lumière, un aspect verdâtre. C’est un galet. Pas le galet du poète. Un galet, le mien. Un dur mon galet, il ne crachera jamais le morceau, il peut sembler déplacé, incongru ou mystérieux mais, il ne trahira pas. À mes souvenirs seulement il chuchote. Ou plutôt, il les fait remonter, les tient vivaces sous forme d’images fragments. Elles se rassemblent là, à l’écriture. Les organiser en partant de soi presque adolescent, les pieds dans l’eau et regarder autour. Ramassé dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire où pendant les longs étés on essayait de pêcher. Longtemps eu cette fascination mystérieuse pour les cailloux presque ronds polis par les eaux. Le prendre dans la main à quelques décennies de distance et c’est encore toute la fraîcheur du paysage du petit cours d’eau qu’il charrie ce galet de granit. Suivent alors le murmure de la petite retenue en amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers et des barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Et là, à écrire on continue à creuser dans la mémoire, sous le galet. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ce sont ces vers d’eau utilisés comme appât quand les réserves en lombrics étaient épuisées. Il fallait retourner les pierres pour dénicher un petit fourreau assemblé de grains de sable et de brindilles puis, en extraire le vers d’un jaune charnu pour l’empaler ensuite sur l’hameçon N°13. Et toujours cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a directement ramené une petite truite ! Vite assommée et cachée dans son slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Et cette fierté, le jour où on est venu pêcher avec au bout de la ligne un rapala, un poisson leurre américain très réaliste et le plaisir de le voir se dandiner dans le courant. Plus tard, dans un livre, on apprendra que pour bien pêcher le goujon, il faut troubler l’eau autour de l’appât, on lira aussi que nos vers d’eau s’appellent des « portes bois » et que les truites en raffolent et, chez Pierre Bergounioux, on comprendra comme elles ont bien dû rigoler les truites. Un peu facile mais cette impression qu’on a à l’écriture de remonter toujours plus de souvenirs comme on trouvait ces larves dodues et juteuses sous des galets plus gros que celui qu’on a gardé d’alors. Aujourd’hui ce cours d’eau on ne le pêche plus, son étiage – ce mot rêche de technicien mais parce que les basses eaux sont en été a toujours semblé une belle réussite lexicale – toujours plus bas ; pompages, engrais, pesticides, sécheresse, urbanisation des rives sans parler de celui qui une nuit balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Quand l’écriture rejoint la lecture et se dire que mon galet, il m’a permis Ponge. La joie que ce fut alors lycéen de se prendre ce poème pleine face au milieu de la salle de classe bondée et triste. C’est mon galet que je lisais. Même intensité de lecture avec la petite carafe de vairons dans la Vivonne proustienne, c’est ma petite rivière de l’enfance que je lisais. Comme ils m’ont parlé ces textes ! Il y a peu j’ai appris le décès de W., c’est peut-être aussi inconsciemment pour lui ce choix. Et là, ce frisson d’effroi. Écrire depuis trois jours et se souvenir d’un coup, cette nuit : les cendres de W dispersées dans la Loire. Déplié par l’écriture mon galet. Presser ce granit pour en extraire tous ces souvenirs fragments, les rassembler, les mettre au jour. Tout cela sinon resté flou en dedans et menacé d’oubli. Dire aussi cette réticence à l’autobiographique.
Échouer, tomber, souffrir, vagir. Ingurgiter, se soulager, dormir, blablater. S’ennuyer, rêvasser, cauchemarder, se branler, angoisser, bavasser. S’emballer, s’amouracher, engrosser, déblatérer, S’emporter, se détraquer, gueuler. Renoncer, abandonner, s’apitoyer. Glisser, regretter, s’enfoncer, sombrer. Écrire finir.
Mardi 27 septembre 2016 (soir)
— « L’Homme des Bois » Pierric Bailly (suite)
Aussi cette description d’un père en velléitaire des arts : une semaine s’imagine Picasso et court acheter du matériel de dessin et de peinture ; la semaine suivante, se rêve en écrivain et court acheter des cahiers pour écrire avant de renoncer.
— « Une poignée de sable » Tabukobu Ishikawa
Trouvé à la table du libraire. La forme classique du tanka mais au “je”. Novateur en cette fin du XIXe japonais. D’après le traducteur, l’ensemble forme le roman que le poète n’a jamais pu écrire. À l’impression d’unité de la vie dans les romans, l’auteur préférait l’écriture poème pour rendre la dimension fragmentaire de nos vies. Au Japon écrire des poèmes est un sport.
« Dans un coin du tramway bondé
je me recroqueville
soir après soir tout aussi pitoyable »
« Se réjouir d’écrire de mauvais romans
cet homme me fait pitié
Premiers vents de l’automne »
« Telle une pierre
qui dévale sa pente
voilà où j’en suis aujourd’hui »
— Dans de nombreux rêves au volant avec C et A à errer sur des chemins pierreux et secs dans la voiture familiale, très peu adaptée à la montagne. D’après O rien de plus classique : expression de mon sentiment d’impuissance à contrôler ce qui nous arrive.
Les lignes de la ville à filer tout autour, tout en dessous, tout au-dessus. Bandes blanches ou jaunes sautillent sur l’asphalte dans leur course avec les câbles aériens qui fusent, croisent les surfaces plates des panneaux rectangles blancs, bleus, verts ou oranges. Le staccato des lampadaires et des péages.
Le bloc masse bleu sombre file sur le côté. Gratte-ciel rectangles plantés vertical. Vitres aux façades lisses renvoient éclats de verre du soleil, écorchent le regard. Image vibre dans la lumière, agitée comme par tremblement de terre continu. Le nuage flou des gaz aimanté par les flèches au sommet des tours.
En contrebas, derrière les lames argentées des glissières de sécurité, blocs trapus, gris et pales des entrepôts. Comme embusqués, prêts à sauter sur l’autoroute. Pas mal de camions perpendiculaires à cul. Aussi, les cheminées à couper vertical le lointain et, intercalées, les bandes blanches à grandes lettres noires des cuves à hydrocarbures. Parfois, la tache de gris d’un rassemblement d’arbres crochus.
Collées les unes aux autres, de chaque côté de la rue, les longues vitrines multicolores des boutiques avec, au-dessus, les fenêtres des logements. Petits immeubles gris de la ville. Toujours la verticalité de la signalisation mais, on est plus près des bords. Alors, aussi la verticalité des silhouettes. Parfois, d’un côté ou l’autre, la bouche sombre d’un axe perpendiculaire qui s’ouvre.
Groupés en retrait du grand axe, il faut venir exprès, les lots de pavillons. Les plus cossus à distance bien bourgeoise les uns des autres. Les plus petits, plus frileux, font bloc sur la plaine. Ils ont peur des corbeaux. Tous ont toit sombre et façade claire posés sur pelouse avec parfois carcasses de barbecue ou balançoires, derrière haies grises avec chien souvent.
parfois la tâche fugitive de son visage derrière le grillage à poule dans le petit rectangle maçonné de sombre entre les pierres sous la montée de grange caché là pour observer A prendre le soleil il ne sait pas encore qu’un jour il regrettera de ne pas avoir quitté sa tanière pour venir l’écouter
impossible de fixer un seul des véhicules qui filent sous sa fenêtre alors suivre leur flot lui immobile dans ses souffrances il sait qu’ils ne le voient déjà plus pourtant il devrait être parmi eux puis on le voit crier ils ne semblent pas l’entendre sans doute à cause des moteurs
une fenêtre éclairée au deuxième dans le soir de la façade un grand clown en papier s’agite une grande partie de sa journée il l’a passée à découper assembler et colorier les feuilles pour s’en faire comme une armure où s’abriter face à ce qui vient de sa vie
effrayé son regard se tourne vers la rue pour s’écraser sur les volets clos sur la nuit de la ville une moto vient de faire exploser sa solitude
assis sur son lit un livre ouvert à la moitié sur ses genoux le titre n’est pas visible son regard de myope avec grosses lunettes flotte vide sur la vitre de la porte-fenêtre le reflet d’un nuage aussi
De l’écran lever les yeux vers les rayonnages de la bibliothèque. Ils sont nombreux ces brimborions que tu as promus monuments de peu : ta première tirelire, ton ours en peluche avachi, ton premier jouet – un hippopotame miniature en plastique –, une poupée berbère, le pose-portable en bois fabriqué pour toi par A. Et puis lui, un peu limite ton choix. Ovale, presque rond, il trône sur le rebord d’une étagère éloignée. Il tient parfaitement dans la main mais se méfier de sa chute. Frais, grenu et dur du granit dont il est fait. Couleur dominante claire mais de petits grains noirs et gris lui donnent parfois, en pleine lumière, des reflets verdâtres. C’est un galet. Pas le galet du poète. Un galet, le mien. Un dur mon galet, il peut sembler déplacé, incongru ou mystérieux mais, il ne dira rien. À mes souvenirs seulement il chuchote. Ou plutôt, il les fait remonter, les tient vivaces sous forme d’images fragments. Elles se rassemblent là, à l’écriture. Les organiser en partant de soi presque adolescent, les pieds dans l’eau et regarder autour. Ramassé dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire où pendant les longs étés on essayait de pêcher. Longtemps eu cette fascination mystérieuse pour ces cailloux presque ronds polis par les eaux. Le prendre dans la main à quelques décennies de distance et c’est encore toute la fraîcheur du paysage du petit cours d’eau qu’il charrie ce galet de granit. Suivent alors le murmure de la petite retenue en amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers et des barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Et là, à écrire on continue à creuser dans la mémoire, sous le galet. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ce sont ces vers d’eau utilisés comme appât quand les réserves en lombrics étaient épuisées. Il fallait retourner les pierres pour dénicher un petit fourreau assemblé de grains de sable et de brindilles puis, en extraire le vers d’un jaune charnu pour l’empaler ensuite sur l’hameçon N°13. Et toujours cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a direct ramené une petite truite ! Vite assommée et cachée dans son slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Et cette fierté, le jour où on est venu pêcher avec au bout de la ligne un rapala, un poisson leurre américain très réaliste et le plaisir de le voir se dandiner dans le courant. Plus tard, dans un livre, on apprendra que pour bien pêcher le goujon, il faut troubler l’eau autour de l’appât, on lira aussi que nos vers d’eau s’appellent des « portes bois » et que les truites en raffolent et, chez Pierre Bergounioux, on comprendra comme elles ont bien dû rigoler les truites. Un peu facile mais cette impression qu’on a à l’écriture de la petite rivière de remonter toujours plus de souvenirs comme on trouvait ces larves dodues et juteuses sous des galets plus gros que celui qu’on a gardé d’alors. Aujourd’hui ce cours d’eau on ne le pêche plus, son étiage – ce mot rêche de technicien mais parce que les basses eaux sont en été t’a toujours semblé une belle réussite lexicale – toujours plus bas ; pompages, engrais, pesticides, sécheresse, urbanisation des rives sans parler de celui qui une nuit balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Quand l’écriture rejoint la lecture. Et de se dire que mon galet, il m’a permis Ponge. La joie que ce fut alors lycéen de se prendre ce poème pleine face au milieu de la salle de classe bondée et triste. C’est mon galet que je lisais. Même époque et même intensité de lecture avec la petite carafe de vairons dans la Vivonne proustienne, c’est ma petite rivière de l’enfance que je lisais. Comme ils m’ont parlé ! Il y a peu j’ai appris le décès de W, peut-être aussi pour lui ce choix. Écrire depuis trois jours et se souvenir d’un coup, cette nuit : les cendres de W dispersées dans la Loire. Déplié par l’écriture mon galet. Malaxé, pressé pour en extraire tous ces souvenirs, les mettre au jour. Tout cela sinon resté flou en dedans et menacé d’oubli. Dire aussi cette réticence à l’autobiographique.
ne pas raconter RIEN décrire RIEN juste dire RIEN ce que et ce qui croisé RIEN donner à voir RIEN déjà choisir dans le paysage RIEN les formes les bâtiments RIEN les engins les transports RIEN les gens aussi surtout eux les passants RIEN les dire donc RIEN pas possible de capter tout RIEN et puis les mots pour décrire RIEN surtout bien les choisir aussi RIEN tu voudrais tout montrer RIEN comme bloc de brut RIEN parpaing de réel sauterait à la gueule du lecteur RIEN tu t’écrases RIEN ne vient RIEN un mur RIEN un brin de temps RIEN à combler RIEN tout autour et devant RIEN vent mauvais RIEN aligner les mots comme frêle passerelle au-dessus RIEN aucun retour arrière RIEN avancer pourtant RIEN mais toujours ne faire que passer RIEN aller découvrir quoi et qui le peuple RIEN tout creux RIEN sombrer sans crainte RIEN dedans toi aussi RIEN fosse noire RIEN marche aussi avec ta MORT
dans la galerie d’un hyper, par la fenêtre d’un fast-food. Flaques d’eau noire dans les plis du goudron gris. Des projections quand les voitures passent. Détritus éparpillés. Une bouche d’incendie rouge avec trois sorties. Encore des détritus mais en tas. Quatre chariots pour les courses et le bout d’un autre, leur caisse en plastique bleu, presque violet, et leurs roues montées sur structure alu. Dans le dernier des plastiques pour emballer des bouteilles d’eau. Au sol un lingot de béton d’une vingtaine de centimètres de haut et d’un mètre de long. Une glissière de sécurité blanche écaillée. Un grillage vert avec encore des détritus accrochés aux mailles du bas. Le toit des véhicules sur les six voies de l’autoroute en contrebas. Les baskets blanches à scratch et les ourlets d’un employé entrent dans le champ. Bientôt ses doigts gigotent autour d’un biscuit ; ils tiendront ensuite une cigarette. Le mur de soutènement de la rampe de sortie du péage surmonté d’une haie rabougrie et d’un palmier rachitique. La file des véhicules qui ralentissent. Un autre mur de soutènement, plaques de béton lisse ou graviers, avec au sommet un mur antibruit transparent devant une haie de lauriers. Ciel bleu du matin. La musique, l’air climatisé, le bruit des chaises et des alarmes de cuisine, le rire d’une cliente. Le parking, les effluves des poubelles, la chaleur de l’été, le bruit de l’autoroute. Les habitants des camionnettes s’éveillent.dans le sombre couloir ballatum beige parcouru de très fines marbrures marrons fait des vagues des cloques des trous on trébuche on veut arriver au bout dans la chambre une moquette brune à poils ras où une mare de lune se dessine parfois alors tous les animaux plastiques viennent s’abreuver dans la salle à manger salon sur le tapis le trouver allongé yeux clos mains posées au creux entre ventre et poitrine cette frousse jusqu’à percevoir sa respiration douce et régulière cette habitude gardée du corps déporté de la sieste à même le sol quarante ans après dans la nuit un parquet où ne surtout pas faire craquer la latte traîtresse à dénoncer une lecture bien trop tardive dans l’automne la glaise du jardin engluée par bloc sous le caoutchouc des bottes et se faire engloutir par la vase sur la rive mouvante de la mémoire
il y a cette ruine. Un ancien et petit corps de ferme, à plus de quarante ans de distance. Un printemps pluvieux. Un froid humide nous transperce. Il faut s’abriter pour la nuit. Les bois très verts autour, touffus. Elle nous attend au bord du chemin avec ses pierres noires. Après la montée construite de la largeur d’un char à bœufs et maintenant envahie d’orties, on entre dans l’ancienne grange. Elle n’a plus de porte mais le sombre règne. Un sombre grouillant, rampant. Le sol est solide, en bois épais, noir du temps. Vers le fond encore du foin. On a pas poussé l’exploration au rez-de-chaussée, sous la grange, là où se trouvaient étable, cuisine et chambre de ceux d’autrefois. On a monté les tentes igloos, sardines plantées dans le lourd plancher, à l’abri de la pluie, dans l’odeur de poussière du vieux foin avec les petits bruits de la nuit autour. Aucun fantôme n’est venu visiter notre sommeil. Au matin, il a eu ce geste de laisser sur le seuil un gros morceau de notre pain. « Pour remercier ceux qu’on a dérangés ».
pour passer de la vieille cuisine à la petite chambre à l’étage il fallait entrer dans le sombre dans l’âcre chaud de l’étable à main gauche dans l’humide soufflé par l’ombre de la cave droit devant dans le froid s’engouffrant à main droite attention au puits il devait bien exister un petit éclairage électrique mais plus rien ne revient à la mémoire juste ce noir alors vite la douzaine de petites marches de l’escalier raide et droit le halo de sa peinture blanche ne pas trop se coller au mur sinon s’écorcher contre les pierres de granit à tâtons trouver vite puis lever la clenche tirer la porte à soi sans tomber à la renverse et entrer chercher encore le froid de l’interrupteur céramique allumer et rassuré refermer enfin sur la nuit qui talonne le petit cône de lumière orangée le grand lit à édredons le grand portrait de l’aïeul en militaire avec son regard de fer sûr qu’ils le tiendraient à distance le sombre d’en bas
L’hypothèse de l’aïeul
Ce serait un livre sur l’homme au regard de fer. Regard de fer pour le photographe du portrait officiel et nous les descendants à travers lui. L’écrire à partir des bribes rassemblées dans les récits de celles et ceux qui ont suivi. Avec peut-être le passage obligé aux archives locales ? On déconstruirait le regard fier. Dire alors le souffle court à cause des poumons fragiles ramenés des tranchées et qu’on crachera sa vie durant. Le travail de sa terre rendu quasi-impossible et puis l’alcool et toute la violence qu’il bombarde sur les proches pour sa vie volée.
L’hypothèse de la demeure
Dans ce livre on évoquerait la vieille ferme. La donner à lire, gonflée de toutes ses pièces, d’avant et d’aujourd’hui. Écrire ses étages de pierres brutes mal jointoyées et élevées sur plusieurs générations en fonction de l’argent rentré avec les récoltes, avec les veaux vendus au marché ou remonté de la mine. Écrire ces saluts laissés par les maçons d’alors : la pierre d’un moulin à grain et une bouteille de vin rouge scellées sous le faîte. Écrire aussi les arbres de maintenant et pour qui ils furent plantés, à chaque naissance, et aussi celui laissé comme trace par le fils du regard de fer pour, après lui et depuis, son ombre tendre à recouvrir les après-midi des repas de la famille.
L’hypothèse du recueil
Rassembler et compléter l’ensemble des bouts de textes avec de ce lieu. Faire kaléidoscope des paysages du pays de ceux perdus qui ne se sont et n’ont jamais été écrits.
L’hypothèse du journal de l’aïeul
L’homme au regard de fer, passé par les classes des hussards noirs, a beaucoup écrit aux siens depuis les tranchées. Alors, quand les autres partent pour les champs, ou quand il garde aux prés avec les enfants ou bien une nuit attablé à la chandelle dans la cuisine parce qu’il n’a plus de sommeil, on lui ferait prendre un crayon gris et un de ces cahiers d’écolier à grosse couverture d’un bleu presque violet. Il ne parlerait plus seulement à sa bouteille. Il ferait retour sur ses jours, sur sa guerre, cracherait ses colères. Bientôt, il en viendrait à vouloir lire ses conscrits qui publient à la même époque – se renseigner sur ces livres qui auraient bien pus lui parvenir jusqu’au fin fond de sa campagne ? – et en ferait comme de petites critiques. Bientôt aussi il emprunterait de ses livres de l’école des enfants et demanderait peut-être même à l’instituteur ou trice d’autres plus costauds ? Ou alors plutôt l’instituteur ou trice qui, soucieux.se de ne pas froisser le poilu, mettrait du lourd dans le cartable des petits. Lui faire passer alors pour commencer un Jules Verne, un Dumas, un Pergaud, un Hugo et puis un jour, lui lâcher un Rimbaud ou un même un Faulkner – à vérifier pour les dates des traductions-. Et lui d’écrire encore plus. Dans ce livre, on lirait tous les textes repris de ses cahiers imaginés. On pourrait prétendre les avoir retrouvés dans le vieux buffet.
Ovale, presque rond, sur le rebord d’une étagère ; frais, grenu et dur du granit dont il est fait. Des reflets verdâtres comme vase. C’est un galet. Pas le galet du poète. Un dur mon galet, il ne dira rien. Il charrie mes souvenirs fragments. Les écrire depuis soi presque adolescent, les pieds dans le lit d’un tout petit affluent de la Loire lors d’un de ces longs étés à essayer de pêcher. La fraîcheur du paysage, les chuchotis de la petite retenue amont, l’ombre verte des grands arbres, sur les rives l’embrouillamini des ronciers avec les barbelés des jardins, le ronron des pompes clandestines pour l’arrosage. Et ces truites qu’on rêvait de ramener à la place d’un de ces « blancs » au goût de vase ou de ces trop petits et trop rares goujons pour la friture. Ce qu’on a le plus pris à la rivière, ces vers d’eau pour appâter quand la réserve de lombrics épuisée. Retourner les pierres, dénicher un petit fourreau de grains de sable et de brindilles, extraire le vers jaune charnu et l’empaler sur l’hameçon N°13. Cette peur de la vipère embusquée sous la pierre. Et cette fois-là, quand W. a ramené direct une petite truite ! Vite assommée et cachée dans le slip parce qu’elle faisait pas la “maille” et parce qu’ici, depuis loin, on se méfie du gendarme. Cette fierté aussi, ce jour à faire se dandiner dans le courant au bout de la ligne un rapala, poisson leurre américain. Plus tard, les livres où nos vers d’eau deviendront des « portes bois » et comprendre dans ceux de Bergounioux comme elles ont dû bien rigoler les truites. Cette joie aussi du lycéen à retrouver chez Ponge son galet et chez Proust un peu de sa petite rivière dans la Vivonne avec sa carafe pour piéger les vairons. Mon cours d’eau n’est plus pêché ; étiage au plus bas, sécheresse, pompages, engrais, pesticides, urbanisation sans parler de celui qui une nuit balança des jerricans d’eau de javel pour faire pêche miraculeuse. Apprendre il y a peu le décès de W. et se souvenir au terme de l’écriture de ce galet que ses cendres dispersées dans la Loire. Étiage au plus bas.
Assis là, presque en cercle, dans la chaleur de l’été, sous la fraîcheur verte du tilleul. Certains sur les chaises longues dépareillées ; d’autres, les plus jeunes, allongés sur des plaids. Les voitures sont garées à côté. On en voit certains s’apostropher avec le sourire. Ils parlent sans doute léger, se taquinent. D’autres, presque à tourner le dos, s’adressent à leur voisin ou voisine. Sans doute à demander nouvelles d’un tel, à raconter le dernier périple, les soucis du boulot, du couple ou des gosses. D’autres encore à s’assoupir. Les estomacs pèsent à cette heure. Certains, certaines ont un air de famille ; trois générations présentes. Parfois un regard s’envole, une main se balance et caresse l’herbe de la cour. Bientôt, un se lèvera pour lancer la ballade, toujours le même circuit, une bonne heure à travers les prés et les bois, sur les chemins à vaches et à tracteurs ; on prendra aussi du pain pour les poneys. Les plus vaillants suivront ; sieste pour les autres. Après, on le sait, on se retrouvera pour l’au revoir et les trois bises d’ici. À Noël ou peut-être à l’été prochain seulement, et encore pas tous là, les études, les voyages, la vie vous savez. Se demander s’ils le voient, là. Lui, il suinte partout autour d’eux, dans le paysage familier. La maison de la cour où ils se retrouvent, il y est né, il y a vécu ; ses parents et leurs parents avant lui aussi. L’herbe pelée devant l’entrée, c’est lui qui l’a usée. Le rosier, il l’a planté et le tilleul, et encore le noisetier plus haut. Et puis cet hiver-là, juste à la limite de l’ombre d’aujourd’hui, en bordure du vieux puits, lui étendu, immobile, dos sur le sol gelé, dur. Le facteur l’a trouvé ce matin-là. Lui portait le journal jusqu’à l’intérieur pour lui éviter de sortir. Depuis combien de temps là ? Je le vois bien emmitouflé dans sa parka marron, cagoule de grosse laine, pantalon bleu de travail, godillots. Il allait où ? Le facteur a raconté, juste ses yeux qui bougeaient. Ils étaient bleus ses yeux. Bleus gris comme le ciel d’hiver de là-bas. Paralysé dedans lui, juste son regard de vivant braqué sur ce vieux ciel d’hiver. Et dedans lui, il voyait quoi ? Qui ? Nous, les siens ? Il n’est pas revenu, il a tenu une semaine à l’hôpital avec sa portion de ciel dans le regard. Je ne l’ai jamais plus revu qu’en souvenir ou sur quelques rares photos. Ils y pensent là, dans la chaleur de leur été, à ce qu’il a pu se parler dans la tête quand il a senti son corps le lâcher ? Je le vois ici, étendu, à nous écouter, à nous regarder depuis son hiver, paisible.
1. A cherché à écrire à tout prix. Les tentatives romanesques ont vite tourné court, a lorgné vers les haïkus. Parfois, dans la lignée de Franz Mon, un mot suffisait à son texte. Percuter prétendait-il.
2. L’ami de la campagne, de l’enfance et des vacances.
3. Sur le principe « Des dix mots pour une histoire » des Papous dans la Tête de France-Culture a écrit un roman d’aventure composé de fragments, à partir de 10 mots piochés dans le dictionnaire Robert de l’année de ses 7 ans.
4. Dans le rêve initial la scène se passait à l’intérieur d’un musée d’art contemporain marseillais. Rêve qui fut un des plus marquants par ses détails et sa force.
5. Les deux femmes de ce rêve resteront toujours une énigme.
6. Un parking neuf effectivement fréquenté pour la première fois le mois précédent la rédaction de ce texte.
7. Située à 500 mètres de la maison où, de l’enfance à l’adolescence, il a passé toutes ses vacances d’été.
8. Voir plus haut 1.
9. Mise en pratique des conseils d’Alain André : écrire quotidiennement sans interruption pendant quelques minutes puis augmenter progressivement. Souvent ses lectures pour sujets. Dura un temps mais est restée cette habitude d’une espèce de journal des lectures et de la pratique laborieuse de l’écriture.
10. L’ami de la ville, de l’adolescence et des études supérieures.
11. Le grand-père, en vieillissant, ne parlait plus qu’un patois local proche de l’occitan.
12. Affirmait penser souvent à ces grands accidentés de la route abandonnés et emprisonnés dans les douleurs de leurs corps pendant de longs séjours dans ce centre de rééducation.
13. Pour lui, moments de repli sur soi dans le calme des nuits. Temps des plongées lectures ou écriture.
14. À l’époque, les bibliothèques roses puis les vertes. Les Tintins aussi.
15. Son père, pour une fois toléré en cuisine, vidait les poissons.
16. Écrire un peu comme photographier. Décrire. La globalité de l’image mais la linéarité du texte. Aussi, le rapport au quotidien et aux lieux tristes obligés de la solitude : péages, parkings, hypermarchés, autoroutes.
17. Consigne appliquée à la lettre « sur le motif » pendant que sa voiture était à l’entretien. Depuis le fast-food, tôt le matin, découvrir le coin en retrait pour la pause des employés et voir aussi s’éveiller ses familles Roms habitant misérablement et discrètement dans de vieilles camionnettes stationnées sur le grand parking pourtant fréquenté régulièrement.
18. L’appartement des grands-parents maternels aujourd’hui vendu.
19. Les moquettes à poils ras ou à bouclettes des appartements à l’âge de son adolescence.
20. Le parquet de la vieille maison rénovée.
21. Ce jardin d’aujourd’hui gluant d’argile.
22. Encore au pays perdu de l’enfance.
23. La chambre petite et humide malgré les réserves de foin de la grange au-dessus et contre un pan de mur avec en face, le conduit de la cheminée montant de la cuisine au rez-de-chaussée. Lors de la rénovation des années 80 la ferme deviendra résidence secondaire, l’étable garage, son coin sombre salle de bain WC, l’escalier disparaîtra et la cave aura une belle porte. Sa chambre sera à l’emplacement de l’ancienne. Ne restera que le vieux, immense lit bateau au matelas de laine grise et creux vers le centre. Aux vacances, sa chambre de lecture. La fraîcheur des nuits d’étés, la chaleur des hivers sous l’édredon en plumes. Toujours un livre, tard le soir, après le déjeuner ou en milieu de mâtinée. Dans sa troisième version, la chambre du couple avec sur les quatre murs, partout, dans le placard aussi, ses livres régulièrement accumulés. Un lit plus bas, un bon matelas pour le dos, édredon répudié pour cause d’allergie.
24. La maison de famille côté du père. Construite par des générations de petits paysans granitiques et basaltiques.
25. Connu par les légendes familiales. Un casque retrouvé en très mauvais état non pas à cause des combats mais du temps passé dans un poulailler à servir d’abreuvoir.
26. Quand on taille la vigne vierge, la bouteille sombre et la pierre de la petite meule claire sont toujours visibles en façade.
27. Deux tilleuls plantés par le grand-père. Un devant la maison de chacun de ses enfants. Deux sapins pour la naissance de ses filles plantés par son père à lui.
28. Tante et oncle ont été de ces hussards noirs. Leurs cahiers d’écoliers et leurs classiques Larousse conservés, souvent recouverts de ce papier épais bleu violet.
29. Ses ancêtres il les a lus, enfant dans « La Guerre des Boutons » puis, ado, chez les écrivains du « pays perdu » (Expression reprise à Pierre Jourde) Michon, Bergounioux et, découvert grâce à eux, Faulkner.
30. Ado, emballé pour le Vieux buffet de Rimbaud, comme celui de la vieille maison.
31. Qu’aurait-il écrit sans François Bon ?