Huit heures vingt-cinq. Le panneau à l’arrêt du bus lui indique une attente de quinze minutes. Trop risqué. En marchant vite, elle pourra y arriver. Accélère, court par moments, dépasse les piétons qui avancent à pas d’escargot sur le trottoir étroit. Au passage clouté, le feu tourne au rouge. Quelques secondes d’attente. Elle commence à avoir chaud serrée dans sa veste qu’elle n’enlève pas. Des gouttes de sueur dégoulinent de son visage sur son cou et s’infiltrent, froides, dans le col du chemisier. Aura besoin d’au moins quelques minutes à son arrivée pour reprendre contenance. Un raccourci serait le bienvenu, mais elle n’ose s’engouffrer dans le labyrinthe de ruelles sombres qui s’écartent de l’avenue principale, se perdent et se confondent au cœur de la ville. Huit-heures trente-cinq. Le trottoir s’élargit alors qu’elle essaie de reprendre son souffle avant d’accélérer à nouveau. La pointe du clocher de la collégiale apparaît au-dessus des toits des maisons et c’est bon signe. En traversant le parc, elle pourra gagner quelques minutes, bifurque rapidement vers le portail sud, parcourt les allées d’ombres, ferme les yeux un instant sous la voute d’arbres qui lui offre un peu de fraicheur, soudain, coup dans l’estomac, panique. Sortie nord barricadée pour travaux. Son esprit s’embrouille dans l’absence d’une solution. Essaie de se rappeler à quelle distance se trouvent les autres sorties. N’aperçoit pas tout de suite l’ouvrier qui à force de grands gestes essaie d’attirer son attention. Quand enfin elle le remarque, comprend qu’il lui indique une porte improvisée dans la grande barricade par où passent les responsables du chantier. Remercie et sort sur la longue rue qui la mènera au prochain carrefour. Voit son bus lui passer sous le nez, au mauvais endroit comme toujours. Trébuche et dans sa hâte presque tombe. Ses chaussures sont blanches de poussière, lui lacèrent les pieds. N’avait pas prévu cette situation. Huit-heures quarante-sept. Une masse compacte de gens arrive en sens inverse. C’est quoi ? Une manif ? Un défilé ? Elle fend la muraille humaine, monde hostile, fait du coude à coude, débouche enfin libre de l’autre côté. Continue sa route. Arrive dans l’avenue des grands magasins. Drible une voiture qui vient dangereusement dans sa direction. Huit-heures cinquante-cinq. Ralentit le pas à mesure que sa destination approche, donne à son cœur quelques instants de répit. Se présente enfin devant la porte vitrée, attend un peu jusqu’à ce que sa respiration devienne régulière. Devant elle, une femme qu’elle ne reconnait pas la regarde et l’interroge en silence. Tailleur noir, chemisier de travers, jupe de travers, mèches de cheveux collées aux tempes, visage bouffi, les yeux brillants de sueur ou de larmes.
Super, cette course, Helena. Oui, arrivée quelque part en vrac et à la bourre. Super idée pour débuter. On la suit tellement bien, cette « elle ». J’attends la suite, c’est bien parti. Bien plus perdue que toi…
Merci, Anne ! J’ai perdu pas mal de temps avant de me décider. Difficile de savoir qui on voudrait « suivre » et pourquoi. Qui on veut vraiment découvrir.
Même vertige avant de poser la #2. Décider en plus si on écrit un passage isolé ou si on l’incorpore direct comme Nathalie l’a si bien réussi.
Qui n’a pas déjà vécu ça et c’est bien décrit. Remonter le courant comme un saumon.
Merci pour cette lecture et pour l’image du saumon ! C’est tout à fait cela, oui !
J’adore l’idée que c’est déjà trop tard (même si le palpitant en prend un coup à lire ce parcours de la combattante qu’on reconnaît par tous les pores). Les bonnes dramaturgies d’opéra commencent souvent comme ça. Un lapin blanc femelle et une triste reine de pique.
Merci, Emmanuelle ! Il n’y a pas de palpitant parce que je ne sais pas encore la suite. Juste le cadre où le fond se dessinera. Je galère avec le définitif. 🙂
mais quel début henela! j’en ressors toute essoufflée, ébouriffée!!! et surtout dans l’attente de la suite. et même si c’était perdu d’avance, on y croit et on imagine même que l’issue pourrait être différente.
vais lire la suite…
Suite encore fragile, mais lire ton commentaire m’encourage à poursuivre. On va voir ce que cela va donner. Merci !
Je suis sortie de la lecture de votre texte presque aussi essoufflée que votre personnage, l’effet est très réussi !
Très touchée de votre commentaire ! J’ai essayé de ne pas mettre trop d’obstacles sur son chemin, mais il en fallait quand même !