Il habite un bout du monde,minuscule, un lieu sans beauté apparente.Là, avant la forêt , à la presque fin de la ville.Il vit dans une des six maisons posées là, depuis les années soixante, une maison faite de rien, une maison qu’on remarque par sa forme, le corps de la maison a deux avancées qui portent chacune une très grande fenêtre. La maison se termine par une terrasse ; elle abrite son histoire, derrière la maison se tient un jardin avec quelques arbres fruitiers, des massifs d’aromates, de grandes herbes, quelques roses, des fraises en été, et un animal enterré quelque part. Autour de la maison il y a cinq autres maisons qui forment un îlot. Ce lieu est ignoré des gens de la ville. On vient rarement ici à pied, de rares promeneurs passent par là pour aller plus loin dans la forêt. La route conduit à la forêt comme elle conduit à la ville. Le lieu est sans attrait pour celui qui passe en voiture, remarque, peut-être l’étrange bassesse des maisons, leur couleur blanche passée, leur terrasse avec en été des plantes sur les terrasses. Il pense au premier jour où il a quitté ce lieu, voilà ce qu’il voit. Une ruelle étroite longue bordée de chaque côté de maisons protégées par de hauts murs, parfois, un portail ouvert laisse entrevoir plein de couleurs d’un jardin luxuriant. Il marche dans cette ruelle, elle permet d’accéder plus vite à la route qui mène à sa maison, quand on vient du centre de la ville. Un jour il prend un autre chemin. La présence d’un animal vu le fait fuir, le fait détourner du chemin. Plus tard il a raconté l’animal mi chien mi loup, ses pattes hautes et fines le pelage les yeux dorés. Il transporte son chemin avec lui, il tient son chemin sous ses pas chaque jour, il imprime son chemin avec ses yeux, chaque impression correspond à la couleur du jour la couleur du ciel, celle des arbres qui bordent la route, des taillis des buissons, qui deviennent rares plus il descend vers la ville. La couleur du temps, du jour de la nuit modifie le rythme de sa marche, le rythme de ses impressions. Chaque impression a son importance. La lumière ici éblouit des taillis mornes, ici quelques feuilles vertes, ici une dégringolade de feuilles, là en amas brunes et craquantes de l’automne dernier. Parfois il surprend un animal se jeter dans un fourré, un chien errer sur la route, des lézards, des insectes qui vont en colonnes le bas des murs de pierre, armées invisibles, plus rarement un écureuil ; il se souvient de l’écureuil, un matin, sa couleur brune, celle du livre d’enfant. Il porte une veste bleu de chine, un vieux jean, un tee-shirt avec une flamme rouge des livres et un slogan sur la révolution dans un pays du sud. Il creuse la distance, à la belle saison, plus de temps, plus de temps alors plus d’espace. Il court, il s’arrête, il entend le rouge gorge invisible derrière le mur, il entend le bourdonnement des guêpes gorgées de sucre, il voit le papillon posé sur la tige, il voit la danse des vilains dans le ciel, noirs annonciateurs d’orage. La lumière il la regarde longtemps, ses yeux dégorgent le trop plein de lumière par des larmes. Il s’arrête s’assure que tout est là, le lieu où il s’arrête semble lui appartenir, il connait reconnait les vieilles pierres d’un mur, il se souvient d’une nuit, assis là sur ces pierres, à garder la main fantôme d’une jeune fille. Il imprime chaque jour de nouvelles choses vues, une écriture rouge au bas d’un mur, une brisure sur le bord de la route entre le caniveau et le trottoir, le bord argenté d’un toit, un reflet mordoré sur des fleurs sans nom. Un jour il abat plus de kilomètres il dépasse le centre de la ville, prend une longue avenue, passe devant une longue place arborée, là il voit trois chevaux blancs en arrêt, deux éléphants et un homme grand et maigre habillé de rouge. Un autre jour il entre sur un chantier, le soir est là le chantier vide. Il est légèrement essoufflé, le chantier est une oasis retirée du reste de la ville, il s’assoit sur une palette. La fatigue excède son désir d’être, de rester là dans un lieu où personne ne vient, sauf pour travailler. Maintenant c’est le soir, il marche d’un bon pas, à cet endroit les arbres sont loin derrière lui, il passe devant un très vieux garage avec une enseigne bancale, la nuit elle clignote encore. Dans l’air délivré de la pesanteur du jour, il marche dans le soir. Une fleur l’arrête, une simple fleur pousser là entre goudron pierre et terre invisible sous la pierre, il s’incline sur le rouge grenat.Du rien du noir du soir le soleil accélère sa chute.La ville commence à allumer son corps et ses veines. Le ciel continue de lui demander de lever la tête, il voit la scène. L’ancien monde, le nouveau monde. Sa ville encore debout. Plus tard sa ville endormie. Et autour, tout autour des villes tombent. Sans bruit autour. Le soleil accélère sa chute. Alors il s’arrête, au loin la plus haute tour de la ville jette son premier laser.La ville commence à allumer son corps et ses veines. Le ciel continue de lui demander de lever la tête, il voit la scène. L’ancien monde, le nouveau monde. Sa ville encore debout. Plus tard sa ville endormie. Et autour, tout autour des villes tombent. Sans bruit autour. Le soleil accélère sa chute. Alors il s’arrête, au loin la plus haute tour de la ville jette son premier laser. C’est un faiseur de lieu, la réalité frappe son œil, il voit. Sa marche ouvre grand l’horizon. Il descend dans la ville au plus profond de la ville, il voit la ville ses formes changer, s’abstraire, il oublie maisons édifices immeubles tours, il voit formes, encastrement de formes, rupture de formes, ciel dans les ruptures, ciel entre les colonnes de béton, ciel comme mer du haut quand, arrivé à un certain endroit, tout se confond. Il aime la confusion de sa perception, de son impression. Son œil exprime le monde visible, celui qu’il voit. Tout existe. Il empreinte une rue la rue devient couloir brûlant sous un soleil d’été.Il pénètre un chantier, le chantier devient un chantier sous un autre ciel.
Bonsoir Ana. Ce faiseur de lieu vit un chantier permanent. Je perçois à travers ton texte l’énorme travail que c’est de marcher, de voir. Est-il infatigable ? Aurons-nous l’occasion de le croiser, sinon de le suivre ? J’aime qu’il habite un bout du monde.
Bonsoir Christophe, ah oui c’est ça , c’est un faiseur de lieu, c’est aussi un passager de lieu, un habitant clandestin, il habite un bout de monde, on ne sait pas où exactement, grand merci à vous pour vos mots.