Elle repose le livre là où elle l’a trouvé, sur un cahier d’écolier dont la couverture ressemble à ceux qu’elle connaît, lisse et brillante dans la lumière de midi qui baigne la pièce, par la fenêtre. Elle ne repère que la couleur verte, unie, de cette couverture, et ne prête pas attention à son motif démodé imitant la trame d’un tissu à carreaux. Le cahier date d’il y a trente ans. Il a été ressorti par l’habitante des lieux peu de temps avant qu’elle ne laisse sa maison pour les vacances. La jeune fille ne se demande pas ce qu’il peut bien contenir, toute à sa découverte de nouveaux objets, un ouvre-lettre en corne dans un pot à crayons, avec quelques stylos et une paire de ciseaux d’un modèle courant, une boite ronde en cuir dont les franges en demi-lunes sont retenues par de petits clous ronds et qui contient des câbles des connectique, une coupelle avec quelques perles d’un collier défait. Sur les étagères parmi les livres il n’y a que de rares bibelots, un bougeoir en laiton avec son éteignoir, une carte postale avec un paysage, un morceau de corail sur un présentoir, des cailloux ramassés en chemin, et quelques pierres plus intéressantes. Elle les regarde. Elle n’en connaît pas les noms. Les voici : une obsidienne de Lipari, noire et tranchante, un oursin fossile, du quartz hyalin, du granit bleu du Brésil, taillé en forme d’œuf et poli, et de la pyrite de La Rioja, dont les formes cristallisées en cubes entrecroisées la fascinent. Dans cette collection, il manque depuis longtemps, depuis plusieurs déménagements, un petit bloc de béton gris, de la grosseur du poing, irrégulier, avec une face plane marquée d’une large trace rouge, et ce manque est source d’agacement, car ce petit bout de rien d’un matériau vil était chargé d’une valeur symbolique particulièrement forte. Le dessus-de-lit est en coton piqué, blanc et léger. Les coussins sont moelleux. Au mur est accroché un tableau abstrait. Un original.
Au même moment, sa mère, dans son inspection des placards, est en train d’admirer des verres d’un bleu plus soutenu qu’elle n’en a jamais vu, avec un liseré d’or et un pied rond et bas, et de se demander si elle osera les utiliser pour l’anniversaire de son aînée, prendre le risque de les casser. Ces gobelets étonnants en cristal de Bohême avaient été offerts, quelques mois avant l’achat du cahier vert, par un jeune comte, tchèque et boutonneux, qui jouait du piano comme un futur professionnel, et descendait, paraît-il, de Pouchkine.
Ils ne sauront rien de tout cela, tout se fait à distance de nos jours, et il n’est pas prévu qu’ils rencontrent ceux qui possèdent non seulement ces objets, mais qui en connaissent l’histoire, ou du moins une partie. Dans le jardin, le père et la cadette ont entamé un match de badmington.
Rétroliens : #L7/ Ceci n’est pas un roman d’aventure – Tiers Livre, explorations écriture