La pierre ne vieillit pas, elle traverse le temps invariablement. Elle était là bien avant nous et le sera encore bien après. Comme l’immensité et l’infinitude de l’espace, ce banal constat me donne le vertige. Que savent les pierres ? Qu’ont-elles vu, découvert, appris, là, immobiles, sans rien pouvoir en dire ? Sur ce bout de mur-là, on observe des blocs de pierre de tailles très diverses, de forme rectangulaire généralement mais pas toujours. Certaines semblent avoir été déposées là par hasard, parce qu’elles rentraient juste, parce qu’on avait qu’elles sous la main à cet instant T où le mur a été bâti, il n’y avait qu’elle pour combler tel vide, recouvrir telle béance. Certains rocs sont longs et massifs, on se demande comment une main humaine a bien pu la soulever pour la caser par-dessus les autres. Sans doute fallait-il être à plusieurs pour la soutenir. Un mur se construit à plusieurs. Il est le fruit d’un collectif, d’une communauté. Les cailloux tiennent entre eux on ne sait par quel miracle. On peut glisser le doigt voire même la main entière en certains endroits entre les pierres. Insectes, arachnides et gastéropodes y ont élu domicile de longue date. Il faut s’en rapprocher d’un peu plus près pour les voir reposer au fond des failles entre les gros cailloux, à l’abri de la lumière, de l’humidité et de la chaleur. On hiberne sagement dans les murs de pierre à moins que l’ont ait opté pour un lieu plus insolite, plus spacieux aussi, telle cette boite aux lettres à fente unique accrochée à quelque parpaing, subsistant au milieu de ce mur d’une ruine de hameau. Légèrement inclinée sur la gauche, elle résiste malgré tout, malgré le poids des ans. Pas si vieille que les pierres mais pas loin non plus. Une boite aux lettres d’antan au jaune dépoli, à la peinture écaillée sur le haut et sur le dessus, traces de tant de mains qui s’y sont agrippées, attachées au maintien d’une vie sociale en perdition ? Érosion due au ruissellement des eaux de pluie, à la neige ? Aux lourds paquets de lettres posés dessus par un facteur trop encombré ? Toute petite riquiqui avalant les rares missives de quelque individu croyant encore au service public. Temps d’hésitation avant de glisser son enveloppe, de l’abandonner à l’inconnu, on vérifie les indications écrites, les horaires pour s’assurer que cela fonctionne bien, qu’il ne s’agit pas juste d’une relique patrimoniale appartenant au passé, réservée aux randonneurs épars, assoiffés de terroir. Soulagé par l’affichette sur la droite, plus contemporaine que le reste, qui vient camoufler en partie une inscription bien plus ancienne dont ne persistent que quelques bribes de mots : LA PROCH … AURA. En relief les lettres du mot POSTES à peine visibles de loin. Au pluriel le mot POSTES, parce qu’autrefois il y en avait plusieurs, c’était un collectif là aussi, les Postes et Télécommunications jusqu’en 1991 avant de devenir la seule, l’unique, par son article défini, LA POSTE, fini le pluriel. En lettres majuscules également tout en bas, une mention encadrée : NE JETER DANS CETTE BOITE NI JOURNAUX NI IMPRIMES. D’aucuns se servaient-ils de la fameuse boite comme d’une poubelle ? Que pouvaient bien trouver les facteurs au fond de ces boites ? Une serrure réservée au facteur, messager voyageur. Une fente horizontale d’environ un centimètre de largeur, pour voir à l’intérieur ? Y a quelqu’un par ici ? Mais la méfiance et la peur de l’oubli demeurent sur tout ce qui est vieux, distingué et inclus dans le paysage : en quinze ans, je ne me suis servie qu’une seule fois de la boite aux lettres de mon village fondue dans un bout de mur.