Aucune nostalgie pour l’acoustique entrechoquée des craquements du modem d’antan, parasites cacophoniques mourant dans les rebondissements d’une sonnette fêlée. Aujourd’hui, on se connecte à internet dans un silence complet. Tapotis de touches sur le clavier, la fenêtre Street View apparaît. On saisit un nom dans un rectangle blanc. Et on arrive ailleurs.
Ailleurs, et le cul sur sa chaise, et le cœur battant de cette ubiquité. Ailleurs, comme si on voyageait. Comme si, sans partir, on pouvait arriver. Arriver quelque part où l’on se sent ailleurs. Être pris du mal du pays. Sentir comment le plaisir de l’instant est rogné à la fois par la brièveté d’un entre-deux abstrait à sa vie de tous les jours, et par la longueur du temps d’avant le retour. Voyager est un plaisir triste qui se nourrit de ce qu’on en dira quand on sera rentré. Le défi, aujourd’hui, c’est d’extraire le récit de l’immédiateté de l’hyperconnectivité, aussitôt vu aussitôt envoyé, sans le filtre des heures de route où les impressions se laissent décanter ; c’est de porter le regard assez loin pour ne pas s’écraser le nez sur le plat du téléphone. C’est de trouver pour raconter une dynamique dans l’écho des réponses, dans la prolongation du fil du quotidien, dans la spontanéité des discussions en deux smileys. C’est de ne pas sacrifier à la surface la profondeur.
Est-on vraiment allé ailleurs ? On s’ébroue, on en revient, vainquant la fascination de l’écran, gardant en rémanence la dernière image du dernier lieu visualisé, sinon visité. Avec Street View, on avance trop lentement dans le paysage. On ferme donc le navigateur et on ouvre un atlas où, en une seule page, on traverse tout un continent, le doigt sur le Danube. On quitte le fleuve à Regensburg (en français Ratisbonne, siège de la diète d’Empire) pour pointer sur la Vltava s’écoulant vers le nord, caresser le bassin de l’Elbe, puis sauter plus loin vers l’est, suivre le cours de la Vistule (en polonais Wisła), se jeter avec elle dans le golfe de Gdańsk (en allemand, Dantzig), mer Baltique.
Lieux capturés ultra-visuels ou lieux tracés imaginaires, en tout cas, ici ou ailleurs, on n’est pas nulle part.
Merci Marion.
Rétroliens : #L7/ Ceci n’est pas un roman d’aventure – Tiers Livre, explorations écriture