Si vous cherchez dans le Larousse le verbe « soûler », on vous référera à la proposition « ivre ». Pourtant les deux termes, bien qu’associés à la boisson, n’évoque pas la même réalité dans leur mise en expression.
C’est qu’on aime ce qui nous enivre – les rencontres, les rêves, les soirs d’été en bord de mer… On se sent léger, on a envie d’esquisser quelque pas de danse, on à la tête ailleurs, incapable de se concentrer comme après quelques verres d’un bon alcool. « Ah ! quand je suis avec lui, ça m’enivre! »
Et bien ne t’enivres pas trop, il pourrait vite te soûler. Cette étape, juste après, qu’on ne voit pas venir. Celle où on titube, où on a le ventre lourd et le soupir facile. Ca me soûle; tu me soûles!; je me soûle moi-même…
Etrange expression qui à ma connaissance n’existe qu’en français. Essayez dans les langues que vous connaissez : vous verrez, ça ne fonctionne pas. Certainement est-ce dû à cette habitude de descendre en descendre un petit pour se soûler quand quelque chose nous soûle.
Pourtant regardez l’enfant qui utilise cette expression, quand on lui demande de ranger ses jouets à l’heure du coucher, lui qui pourtant n’a jamais bu un verre. Elle est là, ancrée en lui, comme ce circonflexe sur le û.
Voilà que mes patients dans mon bureau, réfugiés fraîchement débarqués, n’ayant jamais ouvert ne serait-ce qu’une bière de leur vie, dans leur accent maladroit, la soupire également, se référant à un état qu’ils n’ont donc jamais connu tout en le nommant on ne peut mieux.
A partir du moment où on est français, on est soûlés. Peu importe votre âge, votre référent religieux ou culturel, votre capacité à être effectivement ivre, à un moment ou à un autre quelque chose vous soûlera.
Pour ceux qui aiment être soûls, l’expression pourrait manquer de sens – je crois pour ma part qu’elle réfère plus à ce dont on ne peut se détacher qu’à l’état d’euphorie. On ne dessoûle pas comme on veut et on traîne misérable notre carcasse lourde au lendemain, malgré bien nos efforts. En voilà pareil de qui ou quoi nous soûle – surtout quand il s’agit de nous-mêmes. Malgré bien des tentatives, on ne peut s’en défaire.
Qui donc est l’ivrogne dans cette histoire ? Nous ou celui qui nous soûle ?
Comme le dit ma voisine à son époux quand il rentre du PMU « mais ce que tu me soûles quand tu es ivre! »
habile manière de renvoyer dos à dos enivrer et soûler
Dans l’à propos je retiens « lire dans des langues que je ne parle pas » (pour s’enivrer ?)