Elle lisait des partitions comme on lit un roman, là, debout, dans le métro. Étrange compagnes de voyages, des notes. Personne ne semblait s’étonner, peut être parce que personne ne regarde. Yeux éteints des voyageurs du métropolitain. Pourtant les siens brillaient par leur vivacité, en parcourant les notes elle chantait en silence. Ne pas déranger. Sa culture lui avait toujours appris cette discrétion. Comme ces pieds que l’on range jusqu’à la torture dans ces souliers trop petits. Elle avait hérités de ceux de sa grand-mère ; bien sûr non pas pour les mettre, juste pour savoir. Ces témoins d’un supplice d’ailleurs. La musique l’avait sauvée, elle. Sa symphonie intérieure. Les cahotements du métro devenaient des chœurs sourds et lointains, ce ronron quotidien sur lequel, chaque jour, en se rendant aux répétitions, elle faisait vibrer sa petite harmonie, modestement, contre le brouhaha de la ville en pleurs.
Il lisait aussi. Journal l’Équipe. Avait-il conscience que, ce faisant, il s’inscrivait dans une sorte d’ordinaire masculin sans originalité ? Ou bien était-ce une lecture exceptionnelle ? Non, il devait avoir acheté tous les numéros, avoir hâte de quitter son costume pour s’affaler, en short, bière à la main, se grattant les couilles de temps à autres, devant le PSG- il avait envie, là, mais ça ne se fait pas dans le métro, surtout quand on est assis dans un carré, en face de deux femmes. Un homme cliché, parce qu’il en faut, pour se rassurer.
Oui, à côté de la femme à partition, une vieille dame à chien. Un sac à chien. Pour prendre le métro sans contravention. En même temps elle n’avait pas le choix, sa sœur habitait trop loin pour qu’elles – parce que c’était une chienne- s’y rendent à pieds. Neuf stations de métro. Chaque mercredi soir. Avec les années le poil avait blanchi, les cheveux aussi. Il ne leur restait plus beaucoup de temps à vivre, le chat leur survivrait sûrement.
« Un homme cliché, parce qu’il en faut, pour se rassurer. »
Voilà, c’est important aussi d’écrire les clichés. L’importance aussi de l’Equipe quand on est un homme et qu’on lit l’histoire qu’on a vue la veille ou celle qu’on regardera le soir, comment le journal donne du sens à cette histoire de bonhommes qui tapent dans une balle avec les pieds, pédalent dans les montagnes ou se frappent à coups de poings dans un carré délimité par des cordes…
Je me demandais juste, c’était quel match qu’il lisait?
C’était le lendemain du match nul PSG OL. Merci pour ton commentaire; Oui, écrire les clichés et l’Equipe.
» Les cahotements du métro devenaient des chœurs sourds et lointains, ce ronron quotidien sur lequel, chaque jour, en se rendant aux répétitions, elle faisait vibrer sa petite harmonie, modestement, contre le brouhaha de la ville en pleurs. » La présence silencieuse et pourtant peuplée de musique intérieure en phase avec le décor contrariant assigné. Peut-on lire des partitions dans un match de foot-ball ? Les choeurs de chiens aboyant des notes existent-ils dans les couloirs du métro ? Et bien non, la RATP n’emploie pas de chef d’orchestre canin. La petite Dame avait pourtant un soliste dans son sac… Votre texte est bien sympathique et même symphonique sans le vouloir. Merci !
merci pour ce beau commentaire-écho, j’adore!