Ferme : on accédait à l’habitation par un petit jardin bordé de haies, le seuil était un bloc de pierre usé comme raboté, l’odeur tout de suite à le franchir (l’odeur des animaux des écuries du tas de purin pas loin forcément) concentrée dans le passage entre le dehors et le dedans et accompagnant le mouvement du pied en train d’enjamber la pierre pour se poser sur le sol en terre battue – pas encore cimenté dans les années soixante. Tout de la pièce s’offrait : basse vaste sombre. Elle servait à la fois de chambre, de pièce pour vivre manger recevoir se chauffer tresser l’osier en hiver avec le chien couché quelque part. Je me souviens surtout de l’obscurité. Où était le lit ? Probablement au fond. Une armoire, un buffet, une pendule, je suppose. Et la cheminée ? Sur la gauche après la porte qui donnait sur un bûcher ou une buanderie, enfin rien n’est certain. Tout un bazar en encombrait le dessus comme cette figurine accroupie avec culotte baissée dont on entrevoyait les fesses dans le miroir incliné derrière. Et quelque chose me déplaisait dans cette vision qui faisait rire le monde, cette partie de corps brusquement dénudée qui m’entraînait à détourner les yeux pour oublier au plus vite l’image choquante. Le chien était couché près du fauteuil où le vieil homme au visage maigre tirait sur sa pipe. Plus que le reste, demeure l’odeur. L’odeur des vêtements, de la pipe, du chien, du bois, du feu.
Appartement nantais : très loin ce temps mais soudain une sensation qui revient de cette suite de pièces dans un HLM où logeaient des copains dans le quartier de l’université. Presque pas de meubles. Etudiants, nous vivions avec rien, planches et briques en guise d’étagères, bureaux improvisés avec des objets récupérés. Sol assez moche en granité gris blanc noir quelque chose comme ça, vêtements abandonnés à droite à gauche, paillasses inconfortables avec des draps roulés en boule plutôt sales (des corps avaient dû y dormir une fois la nuit bien avancée, s’en étaient enveloppés, voire s’y étaient rapprochés et unis), cadavres de bouteilles de bière en quantité, cafetière posée sans doute près de l’évier avec paquet de café éventré à côté et bouts de baguette durcie. Tout le monde avait besoin de café. Et aussi de cigarettes. Les cendriers étaient toujours pleins, mais le monde était ouvert et libre.
Maison des voisins : on y allait le jeudi parce que les enfants avaient le même âge que nous et parce qu’on s’entendait bien. Une télévision était installée sur le buffet de la cuisine, véritable objet de fascination. L’espace était affreusement encombré, porte donnant sur l’escalier arrière toujours inaccessible si bien qu’il fallait passer par devant. L’entrée était assez étrange, impersonnelle, comme une cage d’escalier d’immeuble mais dans une maison. On ne se sentait pas à l’aise. Une fois dans la cuisine, tout changeait. La pièce était petite et il y faisait chaud. Madame M. nous accueillait avec sourire et seins généreux, toute la journée à ses fourneaux pour nous fabriquer des gâteaux. On les dévorait en regardant Thierry la Fronde et Zorro et on se moquait pas mal du désordre. Le reste de la maison nous demeurait inconnu, pareil à une friche intrigante.
J’aime bien cette écriture dépouillée qui donne si bien à voir.
Votre commentaire me touche particulièrement… un effort chez moi à toujours me poser la question du trop, de ce qui ne sert pas le texte… et il faut bien dire que souvent ôter offre de meilleurs résultats qu’ajouter ! merci pour votre regard, Béatrice…
Beaucoup de souvenirs qui reviennent, merci pour ce voyage !
faire revenir les choses qui semblent oubliées dans la mémoire, détails, odeurs… j’ai essayé… et c’est vrai que c’est de l’ordre du voyage finalement… merci Danièle