Au moment où une hallucination coloriait tout en violet autour de la gare où je transitais, une dame raconta à voix forte l’histoire suivante. Elle dit que plus aucun train n’entrera ni ne sortira. Tout restera immobile, hormis les humains qui se déplaceront en vain dans un univers immobile. Le voyage sera un errement, aux déplacements inutiles. Et un homme viendra qui voudra changer l’univers, lui redonner une histoire et un mouvement. À ce moment, la couleur violet devint plus vive. À ce moment, il réalisa de son corps quelques mouvements rythmés et souples, cherchant à lancer chacun un petit peu plus loin. Un train, le premier depuis longtemps, arriva dans la gare, et voilà comment le voyage reprendra. Et disparue la couleur violette.
Et au bord de la mer de la Tranquillité le controleur du train me raconta que j’aurais pu prendre un abonnement à 37 % de réduction, qu’ils auraient dû me le préciser au départ de Paris mais que maintenant il ne pouvait plus rien faire puisque nous étions sur la Lune, sans eau sans électricité, du moins il avait sa recharge portable de batterie, mais elle ne servait que pour son café, son petit plaisir en ces contrées inhospitalières. En vrai, continua-t-il, on ne choisit que rarement son boulot, c’est ce qu’il expliquait à ses enfants qui n’écoutent jamais aussi ils feront bien ce qu’ils veulent et c’est la vie qui leur apprendra comme elle lui avait appris à lui aussi, car un jour il avait passé le concours des employés de Lune, et il s’est trouvé, ce qui l’avait bien fait rire, qu’il l’avait réussi, et voilà pourquoi il était là.
La nuit d’insomnie juste avant que je parte faire mon voyage et où je n’arrivais pas à trouver le sommeil il me raconta sa vie. C’était mon voisin de palier, insomniaque notoire qui avait saisi cette occasion pour se distraire un peu : il m’avait entendu, qui marchait de long en large dans mon appartement, remachant par avance tout ce qui pourrait m’arriver au cours du voyage qui m’attendait. C’était pour me rendre service, me disait-il. Sauf que moi j’aurais préféré dormir. Lui aussi, je suppose, je comprends, je suis un peu stupide de penser ça. Il me répondit que justement ses histoires permettent de dormir, mais sauf que pour lui ça ne marche jamais, vu qu’il a cette maladie. M’avouant vaincu, je lui servais un peu d’alcool. En effet je préfère être saoul d’alcool que saoul des histoires de mon voisin de palier qui n’en finissent plus, qui n’en finissent plus. Sa voix monopolisait mon attention, sans cesse il me demandait mon avis, cherchait à avoir mon approbation, cherchait mon regard. S’il s’apercevait que je n’avais pas compris quelque chose (tout, en fait) alors il me le réexpliquait. Puis, au bout d’un moment, le plus inattendu arriva : il s’endormit, sur mon canapé !… Merci aux merveilleuses histoires !! J’éteignis la lumière le plus doucement possible, gagnais ma chambre à pas de chat, et, moi aussi, glissais avec délice dans les bras de Morphée. Merci à mon voisin de palier.