Sur une chaise haute au comptoir de bois sombre, elle attend. Elle connaît le temps de son attente, long parfois, toujours défini. L’horaire du chemin de fer est précis. Des lampes aux globes verts, vitreux et dépolis, suinte une lumière gluante qui a du mal à trouver sa voie dans l’épaisseur de l’air ambiant. Tout le décor est imprégné de morosité. La mine du serveur. Les chopes aux logos usés. La rare clientèle aux épaules voûtées. Les murs où l’on distingue à peine les bouteilles. Les photos de trophées, d’hommes en chaussettes hautes et en maillots criards. La gloire footballistique est la seule chose qui reste. Des bleus de travail survivent peut-être encore dans les tiroirs des habitués du buffet de la gare. Ils boivent sans attendre, vêtus de survêts, de jeans, de mauvaises baskets. Personne d’autre à part elle ne va prendre le train.
On lit avec les yeux, mais les mains sont les maîtresses du jeu. Ouvrir un tiroir à petite façade mais grande profondeur, pousser et feuilletter des fiches de bristol cartonnées trouées en bas et retenues par une tige métallique qui empêche de les enlever. Repousser le tiroir, ouvrir celui d’à côté, la pièce n’est remplie que de casiers de mêmes dimensions, tirer les tiroirs en bois, consulter les fiches usées aux bords, la pièce est toute de bois clair, clair et vernis, le parquet crie, lambris aux murs, silence et chuchotements, les façades des tiroirs des casiers sont munies de petites étiquettes portant, ordonnées, des lettres de l’alphabet. Le plafond est une verrière d’où diffuse doucement une lumière zénithale et tamisée.
Dans l’abside de la cathédrale, les vitraux sont plus bleus qu’ailleurs. Des taches jaune, blanc, rouge, dessinent des figures où ceux qui s’y connaissent peuvent lire la Bible, l’histoire, le monde. C’est un bleu pas couleur ciel, c’est un bleu plus profond que le ciel, c’est un bleu nuit et lumière à la fois. Il y a même un peu de vert. Et les vitraux s’élancent dans leur cadre de pierre, et la nuque se raccourcit, et les yeux s’écarquillent, la bouche s’arrondit.
Je ne publie qu'aujourd'hui mes premiers textes "d'autobiographie". Je monte dans le train avec délice, toutes ces propositions en ligne, tous ces textes à lire...
J’ai beaucoup apprécié le dernier paragraphe Laure, j’aime ces lieux de Lumière et d’ Histoire et tu retranscris si bien ce que je ressens quand j’y entre. Merci.
Merci Hélène, ton commentaire me touche.